C’est un grand soulagement pour StreamCast Networks, société américaine qui exploite le service peer to peer Morpheus, et pour son homologue Grokster. Le 20 août 2004, la neuvième chambre d’appel fédérale (9th Circuit Court of Appeals) a estimé que ses deux sociétés high tech ne pouvaient pas être accusé de violation des droits de propriété intellectuelle. Autrement dit, la justice a validé le principe de légalité des logiciels P2P. Mais la polémique entre industries du cinéma et du disque et les sociétés de développement d’applications P2P ne se sont pas éteintes pour autant. C’est l’avis d’Adam Eisgrau est le porte-parole du collectif P2P United rassemblant les principaux acteurs du secteur (BearShare, Blubster, Grokster, eDonkey et Morpheus par exemple). Car les débats glissent doucement du terrain juridique vers celui de la politique.Vnunet. Considérez-vous la décision du tribunal fédéral comme une victoire pour le collectif P2P United ? Adam Eisgrau. La décision rendue par le tribunal fédéral est importante car elle indique clairement que la conception et la diffusion d’un logiciel peer to peer à destination du grand public est une activité complètement légale. En guise de commentaire, les juges fédéraux ont estimé que lorsque la justice ou les législateurs souhaitent aller aussi vite que les nouvelles technologies, cela donne la plupart du temps un résultat négatif. Toujours selon les termes du tribunal, c’est au marché économique de trouver son propre équilibre. C’est le fondement même du combat de P2P United : trouver une solution liée au marché et non pas à coup de changements de lois ou d’actions devant la justice.Cela signifie-t-il que tous les services peer to peer sont considérés comme légaux ? Oui. A condition que les services P2P respectent la loi copyright et ne commettent pas d’autres infractions légales. La décision du tribunal de justice fédéral est vraiment une bonne nouvelle pour les développeurs et les exploitants de services P2P. En revanche, de manière plus large, c’est l’environnement politique actuel qui nous semble moins rassurant. Les industriels du monde du divertissement n’hésitent pas à exercer un lobby auprès du Congrès afin de convaincre les législateurs de changer la Betamax doctrin* qui remonte à 1984. Ils font pression auprès des membres du Congrès pour exiger le vote d’une nouvelle loi plus stricte dans le domaine du copyright, destiné à contrebalancer cette décision de justice très favorable envers les services P2P. La Record Industry Association of America (RIAA) a-t-elle la possibilité de faire appel de cette décision fédérale ? Deux recours juridiques sont possibles. La RIAA peut à nouveau demander à la 9th Circuit Court of Appeals de procéder à un ré-examen du dossier «en banc » [NDLR, dans ce cas, le panel de trois juges fédéraux qui a rendu la première décision est élargi à onze juges] . Ils peuvent également demander à ce que cette affaire soit tranchée directement par la Cour Suprême des Etats-Unis.Quels types de solutions P2P United propose pour négocier avec les groupes industriels du divertissement ? P2P United est prêt à discuter avec les maisons de disques pour négocier une forme de licences collectives à destination du grand public comme elles le proposent pour les campus à travers les Etats-Unis. Nous souhaitons que les consommateurs ne soient plus inquiets par les problématiques de licences accordées par les maisons de disques. Un système de licences collectives à très grande échelle servirait de socle pour rémunérer les maisons de disques mais aussi les artistes indépendants.Avez-vous entamé des discussions dans ce sens ? Michael Weiss, le CEO de StreamCast Networks qui produit Morpheus, en est au tout début. Nous avons exprimé nos inquiétudes à travers un témoignage éclairant sur les pratiques actuelles devant la commission du commerce au Sénat. Nous avons pu démontrer l’influence que les maisons de disques exercent sur les distributeurs numériques, qui ont obtenu des licences légales pour développer des services de musique en ligne sous forme d’abonnement. StreamCast était sur le point de négocier un accord avec RealNetworks. Mais, à la dernière minute, celui-ci a reculé. Car les maisons de disques ont fait savoir à RealNetworks que StreamCast figurait sur leur liste noire. Ce type d’influence est probablement illégal.Considérez-vous The Induce Act , perçue comme une loi anti-P2P, comme une menace réelle ? Quand on lit le texte de loi en cours de discussion, c’est effrayant car les développeurs de services P2P seraient considérés comme des criminels potentiels en cas d’application. Ce texte vient juste d’être introduit au Congrès. Cela prend du temps pour l’examen du texte. Pour l’instant, seule la commission juridique du Sénat a consacré une audience à The Induce Act . Toutefois, nous y prêtons une grande attention car lorsque ce texte de loi a été déposé au Congrès, il a été soutenu par les deux principaux represéntants du Parti républicain et du Parti démocrate au Sénat. C’est un signal important qui prouve que les acteurs industriels du monde du divertissement ont trouvé des relais d’influence au sein du Congrès. Quels acteurs du monde des nouvelles technologies vous ont rejoint dans ce combat contre cette loi anti-P2P ? Intel, Google, Yahoo, Verizon et bien d’autres. Il y a deux semaines, le Wall Street Journal a publié un éditorial critiquant vivement The Induce Act .En général, le P2P est considéré comme une activité pirate. Comment comptez-vous changer cet état d’esprit avec P2P United ? Nous conseillons aux utilisateurs d’avoir recours à nos services P2P dans le respect de la loi copyright. Mais nous savons que, malheureusement, des utilisateurs commettent des infractions à la loi. En 1984, la Cour Suprême avait fait le même constat en rendant sa décision Betamax. C’est une responsabilité directe qui incombe à l’utilisateur et non pas à la société qui fournit l’outil. Le peer to peer dispose d’un potentiel de développement qui dépasse celui des divertissements. Il ne faut pas anéantir cette technologie novatrice parce qu’on la considère comme une menace. Nous sommes d’accord pour faire des efforts d’information vis-à-vis de nos utilisateurs. Mais c’est une co-responsabilité à partager avec les détenteurs des droits sur les oeuvres.* En 1984, dans un procès opposant Sony Corporation et America Universal City Studios concernant la commercialisation des magnétoscopes, la Cour Suprême des Etats-Unis a décidé que « la vente de matériel de duplication, tout comme la vente des autres articles de commerce, n’est pas constitutive d’une violation accessoire si le produit est généralement utilisé dans un but légitime et acceptable. ».
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