Airbnb se livre-t-il au blanchiment de fraude fiscale ?
L’AhTop (Association pour un hébergement et un tourisme professionnels), qui revendique « près de 30 000 adhérents », attaque la plate-forme américaine sous cet angle.
Le GNI (Groupement national des indépendants de l’hôtellerie-restauration) accompagne la démarche et demande « une réaction extrêmement ferme » des pouvoirs publics.
Leur appel fait suite à une enquête de Radio France autour du partenariat qui lie, depuis 2014, Airbnb à Payoneer.
Cette entreprise venue des États-Unis a son siège européen à Gibraltar*, où elle dispose d’un statut qui lui permet d’émettre des moyens de paiement dans l’Union européenne.
Elle fournit ses services à Airbnb par l’intermédiaire d’une carte de débit prépayée adossée à un compte sur lequel les propriétaires peuvent demander à recevoir leurs revenus locatifs.
Cette MasterCard peut être obtenue sur demande en ligne, avec simplement un numéro de passeport. Airbnb la crédite depuis le Royaume-Uni. Elle peut ensuite être utilisée pour faire des achats ou retirer du liquide, avec des plafonds élevés.
Pour les propriétaires qui louent en France et habitent à l’étranger, c’est un moyen de réaliser des transferts d’argent avec des frais moins élevés que les virements bancaires internationaux.
La perspective est tout autre pour les résidents français : les comptes adossés aux cartes prépayées ne sont pas des comptes bancaires. Ils échappent par là même aux accords sur l’échange d’informations bancaires que la France a signés avec Gibraltar, selon Éric Vernier.
Ce spécialiste du domaine, auteur de plusieurs ouvrages dont « Techniques de blanchiment et moyens de lutte » (Dunod), estime qu’un tel montage, susceptible de faciliter la dissimulation de revenus, pourrait constituer une infraction à l’article 324-1 du Code pénal.
« Par son inaction, [le gouvernement] protège les fraudeurs, comme le précédent », clame-t-il, faisant écho à l’AhTop, qui demande d’agir « au plus vite pour empêcher ces mécanismes d’incitation à la fraude fiscale ».
Du côté de Didier Chenet, président du GNI, on dénonce un partenariat « moralement très contestable ».
Airbnb affirme pour sa part ne pas avoir connaissance de plaintes concernant Payoneer, dont d’autres entreprises – comme Amazon et Cdiscount – utilisent les services, sans toutefois proposer une carte de paiement sous leur marque.
Difficile d’estimer combien d’hébergeurs sur les 300 000 qu’Airbnb revendique en France ont choisi l’option Payoneer. La firme américaine dit compter 4 millions de clients dans le monde.
Ce n’est pas la première charge des hôteliers contre les plates-formes de réservation de logements « chez l’habitant ».
Cette année, l’AhTop et le GNI se sont déjà associés à des organisations professionnelles de l’immobilier (Fnaim, SNPI, UNIS), portant plainte pour plusieurs motifs dont la non-détention de carte professionnelle, l’absence d’immatriculation sur un registre public et l’offre de garanties financières sans statut d’assureur.
L’AhTop s’est aussi alliée au collectif Padhocmi (Pas d’hôtel clandestin dans mon immeuble), qui fédère des propriétaires excédés par les nuisances sonores liées aux locations de de courte durée.
Le tandem a attaqué en justice sur la foi d’une clause qu’il dit présente « dans la grande majorité des contrats de copropriété » et qui interdit, dans les lots dédiés à l’habitation, toute activité commerciale… dont relèveraient les locations de type Airbnb.
Sur le volet fiscalité, Airbnb tente de montrer des signes de bonne foi, notamment en envoyant aux hôtes un récapitulatif des gains à transmettre au fisc et en leur rappelant leurs obligations au moment de l’inscription à la plate-forme.
La déclaration automatique des revenus par les plates-formes a été votée dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2016. Elle doit concerner les revenus perçus à compter du 1er janvier 2019, sauf que le décret d’application se fait toujours attendre et que le gouvernement Philippe ne semble pas en faire une priorité, comme le laisse entendre France Inter.
* Plusieurs États membres de l’Union européenne, dont l’Espagne de longue date, considèrent Gibraltar comme un paradis fiscal. L’ONG Oxfam place aussi le territoire britannique sur sa liste noire publiée la semaine passée. Les SARL implantées sur place sont exonérées d’impôts si elles gèrent leurs affaires en dehors du territoire et que ses bénéficiaires ne sont pas résidents.
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