On pouvait s’attendre à quelques pics entre les « invités disrupteurs » mais les échanges ont été finalement plutôt convenus.
Mardi matin (10 novembre), dans le cadre des Rencontres de la Direction générale des entreprises (DGE) spécial numérique, une table ronde a réuni des managers d’Airbnb, d’AccorHotels, de BlaBlaCar et de SNCF Voyageurs.
Les frictions sont évidentes entre certains protagonistes mais le débat est resté courtois, pontué de réactions quelques fois un peu plus incisives.
Sur le marché des moyens d’hébergement, Airbnb et Accor s’affrontent.
Nicolas Ferrary, Directeur général d’Airbnb France, considère que la plateforme pour les bons plans location d’appartements pour les vacances, demeure une « solution complémentaire par rapport à ce qui était disponible jusqu’à présent ».
« Dans la chaîne économique, nous redonnons du pouvoir d’achat aux consommateurs », assure Nicolas Ferrary.
D’ailleurs, une étude sur l’impact économique du service Airbnb – forcément positif – est publiée à l’occasion de la convention mondiale Airbnb Open dédiée aux hôtes qui se déroule actuellement à Paris.
« Notre rôle, en tant que marque, est de faciliter et créer des outils qui permettent la transaction entre deux individus et de générer la confiance. »
Au nom du groupe AccorHotels, Vivek Badrinath admet un « volet plutôt positif avec les nouveaux modes d’hébergement » même si « Airbnb est concurrent dans l’esprit de nos clients ».
En charge de la transformation numérique, le directeur général adjoint du groupe hôtelier (Sofitel, Novotel, Ibis, HotelF1…) a une ambition : « Reconquérir l’intérêt de nos clients en étant plus chaleureux, en leur donnant plus de temps pour qu’ils découvrent nos destinations, que le personnel soit plus accueillant… »
Vivek Badrinath vient titiller Airbnb sur l’argument commercial qui fait l’objet d’une campagne d’affichage dans les transports urbains parisiens : « Complétez vos revenus en louant votre logement à Paris. » « C’est un peu une image d’Epinal cette question de complément d’argent (…) Il ne faut pas que l’on soit aveugle. L’usage qui est fait de la plateforme se rapproche d’une sur-industrialisation qui ressemble furieusement à de l’hôtellerie ».
Sous-entendu pour la DGA d’AccorHotels : c’est de la concurrence déloyale. « Il y a matière à débat sur la symétrie des règles des principes et des obligations. »
Nicolas Ferrary ne pouvait pas en rester là : « Plus de 93% de nos hôtes sur Paris ont une seule annonce. » Tout en concédant : « A-t-on quelques agences qui gèrent quelques dizaines d’appartements [et qui passent par Airbnb, ndlr] ? La réponse est oui. »
Sur l’évolution des règles régissant les plateformes, la branche Airbnb en France est de plus en plus sollicitée rappelle notre interlocuteur : loi ALUR (location ponctuelle d’une résidence principale à des voyageurs), collecte et paiement de la taxe de séjour…
Autre match attendu sur le même plateau spécial « disrupteurs » : SNCF vs BlaBlaCar. Là aussi, on reste prudent mais la concurrence en mode multi-transports existe bel et bien.
Barbara Dalibard, Directrice Général Voyageurs du groupe SNCF, dresse un état des lieux : 80% des déplacements au quotidien se font en voiture individuelle, 10% en train et 15% avec des véhicules divers (bus, covoiturage…). « D’ici 2030, on va doubler la mobilité partagée à travers la SNCF », évalue Barbara Dalibard.
La SNCF parie sur le covoiturage de proximité avec OuiCar (disponibles dans 3000 gares). « La mobilité de porte à porte est plus simple que la voiture individuelle mais aussi plus écologique. »
Tandis que BlaBlaCar, qui a levé 200 millions de dollars en septembre pour conquérir le monde, se distingue en pariant sur les parcours de longue distance.
Une manière d’esquiver l’assaut du groupe ferroviaire sur son terrain de prédilection. Mais cette frontière semble bien spongieuse vue de l’extérieur.
BlaBaCar tient aussi à se distinguer « d’autres plateformes qui font plutôt du business » dans le covoiturage. « Chez nous, on parle d’un strict partage des coûts [entre conducteur et passager(s), NDLR] », estime Romain Fau, Directeur France et Bénélux de BlaBlaCar.
Il considère dans un commentaire ultérieur que « l’économie collaborative n’a pas remplacé les services traditionnnels ». « Elle ne va pas remplacer le transport ferroviaire. C’est assez complémentaire. »
Dans ce panel spécial « disrupteurs », Henri Verdier occupe une position transversale : à la fois expert du monde numérique et Directeur interministériel du numérique et du système d’information et de communication de l’Etat.
Sur le débat global de la « disruption » et de l’économique à l’ère numérique, il considère que l’on vit une « révolution schumpéterrienne avec une phase de destruction créatrice et de constructions d’autres modèles ». « Il va falloir organiser collectivement cette transformation. »
En tant que principal référent open data pour le secteur public (il a dirigé la mission Etalab pour la libéralisation des données publiques), Henri Verdier estime que « l’on peut s’ouvrir à l’open data tout en gardant une certaine souveraineté ».
Il évoque la création de la Base Adresse Nationale, un référentiel national ouvert de l’adresse à la coordonnée géographique. Fruit d’une « intéressante coalition » avec La Poste, l’IGN, OpenStreetMap France et Etalab.
« Les règles sont identiques pour tous : la seule condition pour créer des données, c’est qu’elles soient disponibles en open data. On crée ainsi de la valeur », explicite Henri Verdier.
Dans le secteur privé, la question de l’open data suscite aussi des interrogations. « Chez BlaBlacar, on est plutot émetteur de données », constate Romain Fau.
« Il faut mettre le curseur au bon endroit. Comment partager intelligemment la donnée ? Gare au risque de réutilisation par des acteurs influents comme les GAFA [Google, Amazon, Facebook et Apple, NDLR], l’impact serait considérable sur notre business model et sur la suite de l’entreprise. »
Vivek Bardinath d’AccorHotels acquiesce : « Les données commerciales sont au coeur du business model des acteurs de l’hébergement. La donnée a une valeur différente en fonction du récepteur. Ceux qui ont le plus de données, ce sont les GAFA qui peuvent extraire le plus de valeurs. »
Au-delà des GAFA, il vaudrait mieux également se méfier d’autres cercles de disrupteurs comme les NATU. Ce club de licornes qui regroupe Netflix, Airbnb, Tesla, et Uber.
Transition numérique: « Protéger l’individu, pas les emplois » selon Emmanuel Macron |
C’est un homme pressé: mardi matin, Emmanuel Macron a interrompu la table ronde sur les disrupteurs pour intervenir lors des rencontres de la DGE. Puis il est reparti pour tenir les rênes d’un calendrier chargé. Alors qu’il avait présenté la veille la feuille de route pour son projet de loi sur les Nouvelles Opportunités Economiques, le ministre de l’Economie a évoqué les transformations nombreuses: modèles, modes de production et d’innovation, technologies, usages… »Il faut poser un cadre : ‘disrupter’ par de nouveaux modèles mais créer une concurrence loyale entre les acteurs au niveau national et/ou au niveau européen. » Tout en poursuivant : « Le virage vers l’Industrie du futur ne se fera pas sans apporter un soutien aux PME-PMI. La modernisation ne se fera pas du jour au lendemain. » Emmanuel Macron est conscient des risques qui pèsent sur la destruction d’emplois associés à cette transformation numérique. Le robot remplace souvent l’homme dans l’automatisation des tâches. On pourrait ajouter les algorithmes. « On ne pourra pas protéger tous les emplois d’aujourd’hui. C’est une évidence. Il faut protéger l’individu mais pas les emplois. Cette transformation, c’est aussi une amélioration du condition du travail avec moins de pénibilité. » Le ministre de l’Economie cherche des leviers d’amortissement pour ne pas tomber dans la précarité : « On ne réussira pas cette bataille de la disruption sans cette transformation à la formation. Il faut des nouveaux métiers pour saisir les nouvelles opportunités. » Il faut creuser des pistes pour « passer du salariat au non salariat et de faciliter les passerelles entre statuts ». Le Compte personnel d’activité – en cours de gestation – devrait intégrer la dimension de rupture de carrière au nom de la protection de l’individu. |
Illustration photo : De gauche à droite : Emmanuel MACRON (ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique), la modératrice de la table ronde, Nicolas FERRARY (Directeur France d’Airbnb), Barbara DALIBARD (Directrice générale de SNCF Voyageurs), Vivek BADRINATH (Directeur Général Adjoint du groupe Accorhotels), Romain FAU (Directeur France et Bénélux de BlaBlaCar) et Henri VERDIER (Directeur interministériel du numérique et du système d’information et de communication de l’État).
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