La tension monte encore d’un cran entre Apple et Qualcomm.
Le premier vient de réactualiser la plainte qu’il avait déposée contre le second au mois de janvier, lui réclamant, à cette occasion, un milliard de dollars de dommages-intérêts au titre d’une exploitation abusive de propriété intellectuelle dans le domaine de la téléphonie mobile.
Les documents transmis ce 20 juin à la juridiction chargée du dossier (un tribunal fédéral de San Diego, en Californie) illustrent le nouvel angle d’attaque du fabricant de l’iPhone : tenter de démontrer qu’une partie des brevets que monnaye le spécialiste de semi-conducteurs sont invalides, que ce soit par obsolescence ou par conflit avec d’autres brevets.
Apple en réfère aussi à un jugement rendu le mois dernier par la Cour suprême des États-Unis, qui a décidé que le fabricant d’imprimantes Lexmark ne pouvait faire valoir sa propriété intellectuelle pour empêcher d’autres sociétés de vendre des recharges d’encre.
Par analogie avec ce verdict qui tend à limiter la possibilité, pour les détenteurs de brevets, de contrôler l’utilisation de leurs produits une fois vendus, Apple estime que ses sous-traitants ne devraient pas avoir à verser de royalties à Qualcomm… qui affirme, pour sa part, que la firme de Cupertino s’est volontairement engagée sur ce modèle.
La plainte d’Apple avait suivi, à quelques jours d’intervalle, des poursuites engagées par la Federal Trade Commission.
Le gendarme américain de la concurrence dénonce des pratiques ayant eu pour effet, sur le marché des chipsets de bande de base 3G et 4G, d’exclure des rivaux ou d’imposer une forte pression sur leurs marges, tout en mettant un frein à l’innovation et en faisant monter les prix pour les consommateurs.
Deux entités sont visées. D’un côté, Qualcomm CDMA Technologies, qui assure la commercialisation des modems auprès des OEM, et dont le dernier C.A. annuel dépasse les 15 milliards de dollars. De l’autre, Qualcomm Technology Licensing, qui monnaye le portefeuille de brevets du groupe (7,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires sur l’exercice 2016).
Qualcomm possède un certain nombre de brevets relatifs à des technologies ayant fait l’objet d’une standardisation.
À l’invitation des principaux organes chargés de cette standardisation, l’entreprise dirigée par Steve Mollenkopf s’est engagée à concéder des droits d’exploitation des brevets en question selon des termes « justes, raisonnables et non discriminatoires » (FRAND, pour « Fair, Reasonable and Non-Discriminatory »).
Sauf que, comme le souligne le régulateur, les négociations se font pour partie indirectement, en l’occurrence auprès des OEM, à des prix nettement plus élevés que ce que proposent les concurrents… et sous des conditions pour le moins particulières, dont des royalties plus importantes en cas d’utilisation de modems fournis par d’autres sociétés.
Un accord a été noué dans ce sens avec Apple, qui aurait accepté de ne pas solliciter d’autres fournisseurs pendant cinq ans, entre octobre 2011 et septembre 2016 – ce qui explique qu’Intel ne soit entré dans la boucle qu’avec l’iPhone 7.
La firme de Santa Clara est aussi l’une des pierres angulaires du conflit. Qualcomm estime qu’Apple a délibérément bridé ses composants pour ne pas que les consommateurs puissent percevoir la différence avec ceux d’Intel.
Selon Bloomberg, il en serait de même avec l’iPhone 8 : la fonction LTE Gigabit des modems Qualcomm ne serait pas activée, ceux d’Intel ne la proposant pas.
Qualcomm en a fait l’un des arguments d’une plainte déposée en avril et selon laquelle Apple a échoué à « engager des négociations honnêtes afin d’obtenir une licence sur [des] brevets essentiels des standards 3G et 4G d’après des critères justes, raisonnables et non discriminatoires », en plus de présenter à la justice « une fausse version des faits » nourrie de « rétention d’information ».
Se préparerait également une action auprès de l’ITC (organisme de régulation des marchés commerciaux aux États-Unis) en vue d’obtenir une interdiction de vente de l’iPhone sur le territoire américain.
On peut voir, dans cette procédure, une réponse à la décision d’Apple de suspendre le versement de royalties – et d’inviter ses partenaires à faire de même. Qualcomm a d’ores et déjà révisé ses revenus prévisionnels pour le 3e trimestre de son exercice fiscal 2017 : de 5,3 à 6,1 milliards de dollars, la fourchette est passée à 4,8-5,6 milliards.
Si son argumentaire est globalement sur la même ligne que celui de la FTC, Apple va plus loin en évoquant un « chantage ». Au fait de discussions entreprises avec le régulateur antitrust en Corée du Sud*, Qualcomm aurait lui-même bloqué des fonds dus à Apple (près d’un milliard de dollars). Ce dernier devait, pour percevoir la somme, accepter de « changer de discours ».
* La Korea Fair Trade Commission a signifié à Qualcomm son intention de la sanctionner à hauteur de 1,03 milliard de wons, soit environ 800 millions d’euros. Le groupe américain redoute l’influence des « champions locaux » tel Samsung sur la décision rendue à son encontre.
Crédit photo : Qualcomm
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