Pour boucler une table ronde DigiWorld d’acteurs télécoms engagés sur les réseaux d’infrastructures publiques*, Antoine Darodes est intervenu en qualité de Directeur de la Mission Très Haut Débit mise en place par le gouvernement pour superviser le pilotage national du plan THD (qui comprend le déploiement de la fibre optique).
ITespresso.fr a choisi de retranscrire de manière quasi-intégrale son intervention qui a servi de clôture de la journée de jeudi au DigiWorld.
Un horaire un peu tardif au regard des enjeux liés à ce dossier en France et de la qualité de la contribution synthétique qui reflète les enjeux du développement THD perçus par le gouvernement.
Antoine Darodes en a profité pour glisser deux autres petites informations. Il a profité de l’occasion pour effectuer deux annonces d’actualité.
Une première assez légère (« On a ouvert notre compte Twitter ce matin : @FranceTHD« ) et une seconde plus institutionnelle (première conférence annuelle du Plan France Très Haut Débit prévu le 6 février 2014 pour effectuer un premier bilan).
« Le gouvernement a fait un arbitrage en retenant un plan très haut débit qui s’appuie sur les énergies, les investissements et les dynamiques déjà engagés. Avec les réseaux privés et les réseaux d’initiatives publiques.
Cette mise en place décentralisée du plan représentait aussi un défi et des risques. C’est pour cela que le gouvernement l’a associé à un pilotage national fort pour essayer de réduire les risques.
Le plan, vous le connaissez tous, 100% de très haut débit en 2022 (à ne pas confondre avec 100% fibre à domicile en 2022). Il faut être lucide. On a un objectif de 80% de FTTH. Le reste, c’est du mixte technologique assumé : montée en débit sur les réseaux cuivre ou hertziens, voie satellite…
Dans les réseaux privés, on a décidé de faire des opérateurs des partenaires. On a des relations claires, précises, engageantes avec des mécanismes de suivi. Et c’est la raison pour laquelle on a mis en place cette convention tripartite au niveau national à décliner au niveau local entre les collectivités, les opérateurs qui s’engagent vraiment dans le déploiement et l’Etat.
Elle est signée avec une exigence de de transparence de l’information et de calendrier (début et fin de déploiement pour les zones prioritaires) qui permettront de s’assurer que le plan France Très Haut Débit est bien respecté avec de l’argent privé.
Les opérateurs ont souvent décidé d’investir par plaques administratives. Et parmi celles-ci, il existe des zones et des communes très rurales. Mais il y a une certaine cohérence dans ce premier volet de plaques : 57% de la population sera traitée par des engagements des opérateurs privés. Si tous les opérateurs conventionnent partout. Cela représentera près de 7 milliards d’investissement.
Et puis, il y a tout le reste. 43% de la population à couvrir qui représente entre 13 et 14 milliards d’investissements publics d’ici 2022. L’enjeu est donc considérable, y compris en termes de finances publiques.
Dans la contribution publique de 14 milliards, l’Etat s’est engagé à 3,3 milliards d’euros. Pourquoi ? On estime que le besoin de subvention de ses réseaux publics se situera entre 6,5 et 7 milliards d’euros. Le reste sera constitué de revenus car ces réseaux seront loués demain à des fournisseurs d’accès Internet.
L’Etat s’est engagé à prendre en charge 50% de ces besoins de subvention.
A coté, un autre moyen a été mis à disposition des collectivités territoriales pour ce déploiement : ce sont des enveloppes de prêts. Notamment en mobilisant les fonds d’épargne règlementés gérés par la Caisse des Dépôts mais également les prêts de la Banque européenne d’investissement.
On a signalé tout à l’heure le cas de la Haute-Savoie. D’autres dossiers sont en cours d’instruction. On aura un package global à la fois de subventions et de prêts pour que les collectivités puissent mener à bien leur projet.
Sur l’Etat d’avancement de ce plan, nous avons 37 projets déposés qui correspondent à 4,5 milliards d’investissement (représentant 1,2 milliard de subventions de l’Etat demandées). Sachant que le guichet a été ouvert au mois de mai. 46 département sont concernés.
Comme vous le voyez, les choses avancent. On est même un peu au-dessus de nos prévisions alors que certains nous disaient beaucoup trop optimistes. On voit que la mayonnaise prend. Mais je dirais que le plus dur est devant nous.
J’aimerais revenir sur un certain nombre de grands principes :
– La solidarité : certes, l’Etat va aider les projets des collectivités à hauteur de 50% en moyenne mais de manière très inégale. Certains départements n’auront des aides qu’à hauteur de 33% et d’autres de 62%. Parce qu’il nous a semblé nécessaire d’aider davantage les territoires les plus ruraux où l’habitat est plus dispersé. Pour la Lozère, on est à 57%. Si vous ajoutez les 15% de bonus que vous avez en cas de projet gros, vous arriverez jusqu’à 65% de soutien de l’Etat. Autant dire que l’Etat est le premier contributeur financier de ces déploiements. Et il veillera à ce que l’argent public soit bien investi.
– La mutualisation : l’idée du Plan France Très Haut Débit est qu’il y ait un seul réseau par territoire, ouvert et partagé sur lequel les opérateurs pourront investir. C’est un point important : on ne soutiendra qu’un seul réseau mutualisé.
– Harmonisation et standardisation. Il existe un réel risque sur la construction de ces réseaux et le lien entre la construction et l’exploitation. On cherche à définir des référentiels avec les opérateurs que l’on rendra public et auxquels on demandera aux collectivités de s’y soumettre. Pour éviter une balkanisation (pleins de bonnes idées dans son coin), il vut mieux avoir un certain nombre de règles et de principes techniques communs à l’ensemble des déploiements.
Soyons clair : l’harmonisation dépendra du nombre d’opérateurs qui construiront ces réseaux. Il y a ici une dimension de politique industrielle. En Nouvelle-Zélande, il existe quatre opérateurs réseaux. En France, on ne dépassera pas probablement cinq. C’est important pour les collectivités de savoir qu’il existe un écosystème stable sur lequel on peut compter avec des opérateurs suffisamment gros qui peuvent s’inscrire dans la durée.
– Le pragmatisme. La fibre jusqu’à l’abonn2, c’est bien. C’est de l’or masisif mais c’est long et cher. On a parfaitement conscience que, dans certains territoires, la fibre ne viendra pas avant longtemps. Le risque avec le déploiement de la fibre et du très haut débit, ce n’est pas le maintien de la fracture numérique mais son accroissement. Au moment où certains auront du Gbit/s, d’autres n’auront pas accès au moins à un bon débit (3 ou 4 Mbit/s). Et donc on pense qu’il est utile de mobiliser l’ensemble des technologies qui existent (hertziennes, satellitaires, terrestres…) pour répondre à toutes les demandes.
Je voudrais conclure par quatre points :
– J’ai entendu la dimension politique voire politisé du débat comme c’est le cas pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande. En France, et c’est une certaine surprise, nous avons un consensus politique assez exceptionnel sur le sujet au niveau national mais encore plus au niveau local. Nous nous déplaçons pas mal dans les départements. Et la règle, c’est que les plans de déploiement sont votés à l’unanimité. Mise à part une exception que j’ai en tête. Cela réduit un risque politique qui peut être lourd.
– La question de la transition cuivre – fibre semble systématiquement appréhendée. Le gouvernement l’a bien compris. Il a mis en place une mission présidée par Paul Champsaur qui vise à faire une étude d’impact. Concrètement, cela signifie quoi de se passer de ce réseau qui est le système nerveux de nos économies. Couper du jour au lendemain comporte des risques et il faudra voir cela en détail avant d’envisager la transition. A titre personnel, je ne crois pas au grand soir. Ce sera quelque chose de progressif. Pas forcément long mais progressif..
– Le rôle de la régulation et du régulateur, qui a stabilisé le cadre depuis quelques années. Il continuait encore de boucher les trous au cours des derniers mois. Encore hier, l’ARCEP a publié des recommandations (relatives aux modalités de l’accès aux lignes FTTH pour les immeubles de moins de 12 logements ou locaux à usage professionnel des zones très denses). C’est plutôt satisfaisant et on ne peut que s’en féliciter. Mais je pense qu’il faut aller au-delà. Nous avons besoin d’un régulateur fort pour nos réseaux d’initiatives publiques de demain et pour les réseaux FTTH.
Pour en sécuriser l’équilibre économique et donner de la pérennité. Le régulateur a aussi un rôle à jouer sur la visibilité des tarifs. C’est important dans un business plan : à quel tarif je vend mon produit. Nous avons demandé aux collectivités que nous avons aidées à combien elles voulaient vendre l’équivalent d’un dégroupage fibre : la fourchette va de 8 euros à 16,40 euros. Cela fait peur. Quand on est investisseur, on pourrait ressentir un certain malaise. Il faudra donc que la tarification du cuivre s’articule intelligemment avec la tarification de la fibre.
– Un dernier point sur le financement, nous discutons beaucoup avec des investisseurs à long terme. Les Français ont placé beaucoup d’argent dans les Livrets A et il y a de l’argent public mis à disposition massivement dans les projets d’infrastructures à long terme. Nous le proposons aux collectivités à des taux très attractifs : 2,25% sur 40 ans.
Je ne suis pas sûr que le private equity accepte les même taux. Cela apporterait quoi en plus si on allait chercher du private equity à des taux plus élevés ? Et c’est bien cela qu’il faut que l’on identifie.
J’ai noté un point évident pour les élus locaux . On n’est pas que sur un investissement financier. Il y a un investissement social et sociétal fort. Et le retour sur investissement doit aussi être appréhendé à ce niveau-là. »
*Il figurait notamment à cette table ronde des représentants d’Eutelsat, d’Altitude Infrastructure, de Cube Infrastructure et d’Axione.
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