« Nous avons été saisis d’une réclamation à propos d’un système d’échanges de fichiers peer-to-peer que vous avez mis à disposition des internautes via AOL. » Ainsi commence la lettre que le fournisseur d’accès (FAI) a adressée à quelques-uns de ses abonnés pour leur demander de justifier « par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de 48 heures […] de tous les documents attestant de la titularité de [leurs] droits sur les jeux vidéo visés ci-dessus ». Dans son courrier, AOL France va même jusqu’à brandir la menace de clôture du compte de l’utilisateur.
« Ces lettres ont été envoyées à une vingtaine d’abonnés en six mois », nous confirme le service de communication d’AOL, qui justifie ces pratiques par le non-respect des conditions générales d’utilisation (CGU) de son service. Celui-ci stipule effectivement que l’abonné s’engage à ne télécharger ou à ne transmettre sur AOL « qu’un contenu qui ne fait pas l’objet de droits ». Les abonnés incriminés sont accusés d’avoir téléchargé ou mis à disposition sur le réseau, via une solution d’échange de fichiers comme Kazaa, des logiciels, des films, de la musique et des jeux essentiellement.
A la limite de la légalité
Si AOL agit ainsi, ce n’est pas tant par souci du droit de propriété intellectuelle – auquel le FAI reste cependant attaché en temps que pôle Internet d’une entreprise productrice de films et de musique – mais parce qu’un tiers s’est adressé à lui pour obtenir les coordonnées d’abonnés après avoir constaté leur comportement illicite. Coordonnés qu’AOL refuse de délivrer hors du cadre d’une injonction judiciaire. « Notre démarche est préventive et passe par un souci d’éducation », rappelle le porte-parole de la société. « En l’absence de réponse ou en cas d’impossibilité de justifier de leur droit d’utilisation, nous notifions aux abonnés une première infraction. Il en faudra d’autres avant de clôturer leur compte. » AOL n’a effectivement aucun intérêt à se séparer de ses clients.
Reste à savoir comment les tiers en question (sociétés de droits d’auteur, syndicats d’éditeurs, etc.) parviennent à identifier les internautes litigieux. Même s’il existe des méthodes de recoupement, ils ont probablement relevé l’adresse IP (identifiant unique attribué à chaque machine connectée au Net) de l’utilisateur. Celle-ci n’est pas nominative mais elle permet d’identifier le fournisseur d’accès qui la gère et, donc, de s’adresser à lui pour obtenir la personne recherchée. AOL n’a pas été en mesure de nous confirmer la méthode de repérage employée par les tiers en question. Ni même si les accusations sont vérifiées. Cependant, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) n’autorise pas la collecte d’informations personnelles sans le consentement préalable des utilisateurs concernés. Or, l’adresse IP est, à ce jour en France, considérée comme une donnée personnelle par la CNIL. Bref, la collecte des adresses IP se situe à la limite de la légalité et AOL, comme l’ensemble des FAI, laisse aux autorités judiciaires le soin d’autoriser la poursuite de l’abonné par un tiers dans un cadre légal. Seule une perquisition chez l’abonné permettra en effet d’apporter la preuve de son comportement illicite.
Le seul FAI engagé dans cette bataille
Si l’étau semble se resserrer autour des fans de peer-to-peer, les poursuites individuelles ne sont pas encore à l’ordre du jour. « L’industrie musicale s’attaque aux logiciels et aux FAI. Moins tolérante, l’industrie audiovisuelle estime qu’elle n’a pas de raison de passer l’éponge, même pour un seul film mis en ligne », explique Didier Wang, président de RetSpan, une association de lutte contre le piratage sur Internet. « Mais pour le moment, tout le monde s’observe et semble attendre que l’autre lance la première offensive. » Les « pirates » de tout poil ont donc encore un sursis. Mais pour combien de temps ?
A notre connaissance, AOL est le seul FAI grand public à agir de la sorte. Une rumeur similaire courrait sur Wanadoo mais la filiale de France Télécom nous a apporté un démenti formel. « Nous n’effectuons d’identifications d’internautes qu’à la demande des autorités judiciaires », explique un porte-parole de Wanadoo, « et dans ce cas, nous ne révélons pas les usages que l’abonné a faits d’Internet. C’est au plaignant d’apporter ces éléments à la justice. »
Il n’en reste pas moins vrai que le problème du peer-to-peer est désormais pris très au sérieux par les sociétés productrices de contenus et les ayants droit. Un problème qui n’a pas réellement de solution technique puisque les contenus illicitement mis en ligne ne sont pas stockés sur un site Web clairement identifiable et, à ce titre, maîtrisable, mais sur des disques durs individuels. L’échange de fichiers n’étant pas interdit, la solution d’un filtrage par les FAI, comme le propose notamment Pascal Nègre, président de Vivendi Universal Music France, nécessite de s’assurer que le contenu téléchargé est bien illégal. Chose quasi impossible techniquement et commercialement. Sinon, l’échange d’images pédophiles, par exemple, serait éradiqué depuis longtemps. Et fermer les ports utilisés par les logiciels du type Kazaa ne ferait que déporter les utilisateurs vers d’autres voies d’accès. La solution de la sensibilisation des internautes, prônée par l’association des fournisseurs d’accès français (AFA) et RetSpan notamment, reste donc la plus réaliste. Quant à la répression, elle ne concernera que les gros utilisateurs de peer-to-peer. Elle risque surtout de pousser les internautes à user de logiciels et de réseaux toujours plus efficaces dans l’anonymat…
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