Les « vieux » utilisateurs de Mac sont-ils indispensables à son existence ? La question mérite d’être posée à la lumière du remue-ménage réalisé par Apple pour gagner de nouveaux clients (voir édition du 1er juillet 2002) et de l’engouement suscité par Mac OS X dans sa version Jaguar, dont 100 000 copies se sont vendues dans le monde le week-end de sa sortie ! Avec elle, Apple boucle son marathon logiciel : son système d’exploitation semble désormais fournir les fonctionnalités et les performances attendues par les anciens utilisateurs de Mac, sans même parler des nouvelles que les aficionados goûtent généralement avec plaisir (mémoire protégée, multiprocessing, mémoire préemptive, Rendezvous, etc. Mais il n’est pas seulement au goût des assidus d’Apple : ce système dispose d’une interface inégalée dans le monde Unix et se voit proposer de plus en plus d’outils et de programmes par des sociétés qui n’étaient jamais venues au Mac ou alors il y a très longtemps !
Et les éditeurs ne semblent pas être les seuls à se tourner vers le Mac : Apple communique énormément aux Etats-Unis sur son intérêt pour les switchers, ceux qui passent d’un système d’exploitation à l’autre. Dans l’esprit, il s’agirait plutôt de passer de Windows à Mac OS. Selon Business Week, un peu moins de 1 % des utilisateurs de Windows auraient déjà été tentés par le changement en avril dernier (avant que la campagne d’Apple ne commence). Le constructeur californien avait indiqué qu’il ciblait 5 à 10 % de parts de marché pour les cinq ans à venir. Et les prévisions s’accordaient pour qu’autour de 2 % de part de reconquête, l’opération soit déjà un réel succès, générant théoriquement entre 40 et 50 millions de dollars de revenus supplémentaires par trimestre. Une goutte d’eau par rapport à son chiffre d’affaires (1,4 milliard de dollars trimestriels actuellement), mais l’équivalent de son bénéfice net moyen depuis un an. Apple se trouve donc actuellement au milieu du gué.
Des fidèles déçus
Reste que la grande majorité des utilisateurs de Mac eux aussi doivent changer et passer de Mac OS 9 à Mac OS X (voir édition du 19 août 2002). Un chemin souvent plus aisé pour le grand public que pour les professionnels. « Après l’euphorie des articles sur OS 10, les lendemains sont douloureux. Je constate avec un certain plaisir que l’on se souvient que la grande majorité des professionnels utilisent des outils non compatibles avec ce nouvel OS », écrit un lecteur de VNUnet habitant La Réunion et dont les remarques corroborent l’opinion de nombre d’utilisateurs. « L’addition est très salée depuis 6 ans. Pour ce qui est des logiciels compatibles X, Indesign n’a pas encore détrôné Xpress, qui se hâte lentement. Beaucoup tournent encore avec la version 3.32. (…) L’OS 9 a donc encore de beaux jours devant lui, car il est transparent, ne marche pas si mal et tous mes outils y fonctionnent. Pour ma part, je ne sauterai le pas de l’OS X que lorsque j’obtiendrai des performances identiques avec une palette d’outils adaptés suffisante, et quand les prestataires de services pourront utiliser ces fichiers. Là encore, ce n’est pas gagné. » Mettre à jour ses logiciels… et ses habitudes !
Voilà bien le dilemme auquel doit faire face Apple : certes, la firme sait déjà que près de 2,5 millions de machines tournent sous Mac OS X ; certes, 20 % du parc de Mac tournera sous Mac OS X à la fin de l’année 2002 ; certes, les trois quarts des Mac vendus tournent sous Mac OS X (le système installé par défaut), mais la résistance des vieux routiers du Mac est compréhensible. Mis à part l’ordinateur (un modèle de moins de quatre ans de préférence) et le système, c’est toute la logithèque qu’il faut renouveler ou mettre à jour. Et certains éditeurs – dont un très important, Quark (voir édition du 28 janvier 2002) – n’ont pas sauté le pas. Le plus difficile n’est pas là : Mac OS X, c’est également une nouvelle interface à laquelle il faut s’habituer, des réflexes modifiés, une nouvelle localisation des tableaux de bord et une productivité remise en cause. Alors les créatifs, les habitués des métiers des arts graphiques sont encore loin de sauter le pas. Et avec les rumeurs qui veulent que les prochains Mac ne pourront pas fonctionner autrement que sous Mac OS X, les professionnels se posent des questions.
La chasse aux fatigués du PC
Du coup, l’effort d’Apple pour gagner de nouvelles parts de marché se comprend : les 20 millions d’utilisateurs de Mac qui ne sont pas encore passés sous X ne le feront sans doute pas tout de suite. Ou alors contraints et forcés, ce qui ne redorerait pas le blason d’Apple. Pour elle, mieux vaut prendre les devants et aller chercher les utilisateurs là où ils sont ! Dans les amples rangs des utilisateurs de PC désabusés, chez les scientifiques en quête de machines à tout faire, auprès des myriades de développeurs ayant besoin d’utiliser des logiciels commerciaux comme Office de Microsoft et, autant que faire se peut, auprès des entreprises lasses du système de tarification de ses logiciels par Microsoft. La question n’est donc pas seulement de savoir si Apple parviendra à faire adopter Mac OS X à ses fidèles, mais bien de se demander si la firme va toujours avoir besoin d’eux pour préserver sa part de marché. Son effort semble mettre en doute cette seconde hypothèse. En fait, elle tâche actuellement de se bâtir une nouvelle base installée en espérant que ses anciens clients la rejoindront un jour. Et cela ne dépend plus d’elle, mais des éditeurs qui n’ont pas encore migré sous Mac OS X… et accessoirement de quelque 20 millions de clients !
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