B. Benhamou : « L’Europe doit disposer de ses propres structures de gestion de l’Internet »
Le Délégué aux usages de l’Internet aborde les enjeux de l’Internet du futur et de l’Internet des objets : sa gouvernance et la protection de la vie privée.
Vnunet.fr : Quelle est la portée de la racine Object Naming Service mise en place en France ?
Bernard Benhamou : L’ONS est l’équivalent pour les objets du DNS pour les noms de domaine. À l’origine, il existait une racine unique ONS américaine gérée par VeriSign sous contrat avec EPC Global (2). Nous avons eu l’occasion de faire savoir très tôt à EPC Global que cette centralisation de l’ONS allait à terme poser problème. En effet, si l’ensemble des flux des marchandises voire des personnes pouvaient être analysés en dehors du territoire européen, cela pourrait créer d’énormes problèmes de confidentialités vis-à-vis des entreprises mais aussi des citoyens. Du coup, nous avons insisté très tôt sur la nécessité de créer des structures locales pour gérer ces informations. Mais cela ne suffit pas. Pourquoi ? À l’heure actuelle, le code de l’ONS (dans sa version 1.01) inclut ce renvoi vers une racine unique. Pour faire fonctionner la racine européenne Il faut actuellement modifier en partie ce code qui en est open source, de manière artificielle et de façon unilatérale. À terme, on ne pourra envisager une solution de développement globale qu’à partir d’un code commun à l’échelle de la planète. D’où l’interet de structures distribuées et sans relation hiérarchique entre les racines. Un mode de gestion « peer to peer » en quelque sorte. C’est cette approche que soutiennent désormais les pays de l’Union européenne. Mais il faudra pour obtenir ce resultat faire évoluer le code sous-jacent de l’ONS. Le but est d’éviter que ne se reproduise pour les objets ce qui s’est passé pour les DNS. C’est-à-dire reproduire une situation dans laquelle un seul pays detiendrait une autorité technologique et politique sur l’ensemble du système.
Vnunet.fr : Le deuxième point validé par le Conseil Télécoms de l’Union Européenne porte sur la protection de la vie privée et de la liberté des citoyens…
Bernard Benhamou : Si des technologies jugées intrusives et destructrices pour la confiance devaient apparaître, c’est l’ensemble de la filière qui pourrait en pâtir. On le sait désormais la confiance sur Internet et le contrôle direct par le citoyen est essentiel pour que ces technologies puissent se développer. Ces puces à mesure qu’elles seront présentes sur l’ensemble des objets quotidiens pourraient constituer un élément de remise en cause de la vie privée. Le fait de pouvoir interroger une puce à distance pourrait aussi renseigner sur les objets achetés ou détenus par une personne. Ce recueil de données s’il n’était pas contrôlé par les utilisateurs pourrait contribuer à déterminer son profil de consommation mais aussi connaître ses convictions religieuses ou politiques). Le but est donc de mettre en place au sein des puces RFID un système de contrôle pour protéger la vie privée. C’est en particulier en donnant la possibilité de désactiver les puces qu’il sera possible de donner ce contrôle au citoyen. Ces processus que nous souhaitons mettre en place – par exemple le fait de désactiver la puce au passage en caisse et de les réactiver à son gré – reprendraient pour la puce RFID le principe de l’opt-in : que le consommateur donne son consentement explicite. C’est ce que l’on nomme désormais le droit au « silence des puces ».
Vnunet.fr : Quel sera l’impact de l’Internet des objets au niveau européen ?
Bernard Benhamou : Alors que l’Internet a modifié la notion de territorialité, l’Internet des objets s’ancrera dans une dimension territoriale qui permettra de valoriser un savoir-faire, des connaissances et des métiers. D’un point de vue économique et politique, ce n’est pas neutre. Nous pourrons ainsi créer des services de proximité (d’un point de vue géographique, culturel, patrimonial… ) et donc des emplois de proximité non délocalisables. Cela prend une dimension toute particulière dans la période de crise à laquelle nous sommes confrontés.
Vnunet.fr : Quel est le lien entre la migration vers le protocole IPv6 et l’Internet des objets ?
Bernard Benhamou : La migration vers le protocole IPv6 n’est pas une option, c’est une obligation. Rappelons que nous recensons actuellement 1,5 milliard d’utilisateurs Internet et 3,8 milliards d’utilisateurs de téléphones mobiles dans le monde. Nous arriverons bientôt à saturation des adresses IPv4. Cette saturation pourrait nuire au développement de l’Internet au sens le plus large. Mais l’évolution vers l’Internet des objets sera parallèle à cette migration. Dans le cadre de l’ONS, les discussions au niveau international ne portent pas sur une technologie d’adresse IP par objet. Cette transcription des adresses des objets en adresse IP est possible. Cette technologie d’Internet ubiquitaire a été expérimentée par certains pays en Asie (Japon, Corée… ). Mais cette option n’a pas été retenue au niveau international. Pour être en mesure de participer activement à la définition de l’Internet des objets, il est nécessaire de prendre en compte à la fois les aspects technologiques mais aussi « politique » dans le sens d’une possible adoption globale. Or l’ONS s’appuie sur des technologies qui existent depuis trente ans pour la gestion des code-barres. Ces technologies ont été adoptés massivement et mondialement tant d’un point d’équipements que d’usages. Voilà pourquoi l’ONS doit nous intéresser tout particulièrement pour l’avenir.
Vnunet.fr : Il reste donc encore du chemin à parcourir avant de voir émerger l’Internet des objets…
Bernard Benhamou : Avec la création d’une racine européenne et l’obtention d’un consensus européen sur la gestion distribuée pour l’Internet du futur, nous sommes désormais à la moitié du chemin. Mais maintenant, il faut concevoir et développer les nouveaux services qui bénéficieront de ces plates-formes. Les éléments de cet édifice, les « briques » fondamentales sont en place, il convient désormais de créer ces nouveaux services en Europe…
(1) GS1 : Organisme mondial actif dans le domaine de la normalisation des méthodes de codage utilisées dans la chaîne logistique (source : Wikipedia)
(2) EPCglobal France fournit aux entreprises françaises les informations et les services nécessaires pour intégrer la RFID dans leur stratégie et leur organisation.