Les baisses de fréquentation des réseaux d’échange de fichiers en peer-to-peer (P2P) annoncées par certaines études ou certains professionnels ne seraient qu’un leurre. Selon l’association de lutte contre le piratage en ligne de propriété intellectuelle RetSpan, « la baisse de 40 % évoquée par certains responsables de l’industriel musicale ne dépasse pas les 15 % ». Ces erreurs seraient dues à des observations faussées. D’abord parce que nombre de ces résultats se basent sur des données relevées cet été, période de baisse d’activité évidente. « On remarque en effet que la fréquentation des réseaux P2P baisse systématiquement durant la période estivale des vacances scolaires depuis plusieurs années », écrivent les responsables de RetSpan dans leur communiqué. Et si « les menaces de procès n’ont fait qu’amplifier ce phénomène en 2003 […] cet effet s’est largement atténué après la rentrée scolaire ». Une fois revenus de vacances, les étudiants et élèves se jetteraient sur leur ordinateur pour télécharger gratuitement les derniers tubes de l’été. Hypothèse plausible dans la mesure où, parmi les internautes poursuivis par la RIAA (Recording Industry Association of America) figurait une fillette de 12 ans qui avait mis plus de 1 000 titres musicaux à disposition des internautes (voir édition du 11 septembre 2003.
Migration vers les autres réseaux
D’autre part, les amateurs de réseaux P2P se tourneraient vers des applications moins (ou pas du tout) surveillées par la RIAA. « La baisse constatée sur Kazaa est donc contrebalancée par le développement constant d’autres réseaux P2P », estime RetSpan. D’autant que cette baisse de fréquentation de Kazaa, considéré comme l’application de P2P la plus utilisée sur le Net, est loin d’être prouvée. « Depuis septembre 2003, la fréquentation de Kazaa repart à la hausse et le nombre d’utilisateurs actuels est inférieur d’à peine 15 % à celui du début d’année », estime l’association antipirate. D’autant que, après les logiciels et la musique (voire les livres), le cinéma est la nouvelle cible des amateurs de P2P. « On a par exemple trouvé sur Internet le film Le Monde de Nemo des Studios Disney quatre mois avant sa sortie sur les écrans français. De même, depuis fin octobre, des copies du film Runaway Jury, produit par la 20th Century Fox, sont disponibles sur les réseaux P2P alors que le film ne sort que dans cinq mois en France. » Même Matrix Revolution, dont la sortie mondiale a pourtant été synchronisée au 6 novembre, n’échappe pas au phénomène.
En admettant que les pressions du représentant des industries musicales américaines aient eu un succès significatif (voir édition du 6 novembre 2003), la baisse américaine des téléchargements illégaux serait compensée par une montée en charge de ces pratiques sur le continent européen, estime RetSpan, notamment depuis l’explosion récente du haut débit. Pour David Wang, responsable de l’association, la lutte contre le P2P passe notamment par le spoofing qui consiste à mettre de faux fichiers en ligne afin de décourager les utilisateurs. « C’est assez efficace lorsque les fichiers leurres sont mis en ligne avant la sortie d’un titre », explique-t-il. Une technique boudée par les producteurs de contenu malgré un coût très limité. Selon RetSpan, le spoofing représenterait moins de 1 % du budget publicitaire d’un film ou d’un disque.
La peur du gendarme
La lutte contre le piratage passe également par la peur du gendarme. « La solution des procès a un impact », confirme Didier Wang. On le sait, la RIAA est passée à l’acte aux Etats-Unis. En Europe, et en France notamment, l’industrie du disque laisse planer la menace (voir édition du 10 septembre 2003). Mais elle ne passera probablement pas à l’attaque avant le vote de la loi sur la confiance dans l’économie numérique (voir notamment édition du 26 juin 2003) dont le passage à l’Assemblée nationale est prévu pour le 12 décembre prochain. En l’état actuel du texte, cette loi permettra notamment à un tiers de demander à un fournisseur d’accès d’obtenir les coordonnées d’un internaute accusé de piratage, sans passer par un juge.
Les associations de gestion de droits commencent peut-être déjà à collecter des preuves. Après AOL (voir édition du 26 février 2003), nombre d’abonnés à Club-Internet ou Free, notamment, se plaignent dans les forums de recevoir des lettres de leur FAI les mettant en garde contre leurs pratiques illicites d’échange de fichiers. « Nous avons pris le parti de faire suivre à nos abonnés les plaintes que nous recevons de la part de sociétés de gestion de droits », confirme un porte-parole de Club-Internet. « Notre but est autant d’informer que d’éduquer nos abonnés sur l’usage du P2P pour leur éviter d’être entraînés dans une tourmente judiciaire, mais à aucun moment nous ne communiquons leurs coordonnées aux ayants droit. » Du moins, tant que le FAI n’a pas reçu d’injonction judiciaire. Si Free et Club-Internet sont cités dans les forums depuis quelque temps, la plupart des FAI sont concernés, bien qu’ils ne répercutent pas tous l’information à leur clients. Mais une chose est certaine, les pratiques des internautes sont désormais surveillées par les majors et divers éditeurs. Les méthodes de la RIAA ont donc fait des émules.
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