Bernard Benhamou : « La gouvernance de l’Internet va évoluer »
Maître de conférence à Sciences Po, cet expert des technologies de l’information dresse un bilan du SMSI de Tunis.
Pourquoi troubler la vue d’ensemble avec cette double initiative ?
Le sommet devait aborder à la fois les grandes problématiques liées aux usages de l’Internet et le volet spécifique – et conflictuel – de la gestion des infrastructures critiques. Ces phénomènes qui affectent la confiance des utilisateurs ne sont pas nécessairement liés à la gestion des noms de domaine. Parmi les grands sujets transversaux, on note la lutte contre cybercriminalité et la collaboration pour lutter contre les « pathologies de système » comme le spam. Les problématiques liées aux usages de l’Internet doivent faire l’objet d’une triple coopération : juridique, technique et d’éducation ou de sensibilisation vis-à-vis des utilisateurs. Ainsi en 2003, Bill Gates assurait au Forum de Davos que le spam disparaîtrait en un an… On voit bien qu’il reste des efforts à fournir et que ceux-ci ne peuvent être purement techniques ou même juridiques. Il doit s’agir, comme souvent lorsqu’il est question de l’Internet, d’une coordination des acteurs sur les trois volets : légal, technique et éducatif. Trouver un mécanisme unique pour régler tous ces problèmes ne semblait pas la meilleure approche.
Au premier abord, on a l’impression qu’au sein de l’Internet Governance Forum, on va débattre de tout sauf de la gouvernance de l’Internet…
Il y sera question de gouvernance de l’Internet mais pas uniquement sous l’angle des noms de domaine. Le groupe de travail qui s’est réuni auprès des Nations unies a établi une définition à la fois plus large et plus dynamique de la gouvernance. Cette définition inclut aussi les risques liés aux usages de l’Internet. Celui-ci est aussi une entité dynamique qui est amenée à évoluer en profondeur. Ces mutations s’accompagneront nécessairement de changements dans la manière dont on perçoit la gouvernance de l’Internet et le Forum sur la Gouvernance sera le lieu privilégié de la réflexion sur ces évolutions.
Quelles mutations technologiques envisagez-vous ?
L’un des mutations majeures concernera l’évolution vers l’Internet des objets. Nous avons un aperçu de ce que sera cet « Internet des objets » à travers la technologie des puces RFID qui remplaceront progressivement les codes à barres sur les produits manufacturés, mais aussi sur les cartes « sans contact » ou encore les passeports. À l’avenir, le code présent dans la puce donnera accès via Internet à des informations dynamiques réactualisées sur l’objet en question (informations sur l’origine, le transit de la marchandise, la traçabilité des denrées alimentaires, etc.?). Chaque objet sera en quelque sorte lié à un mini-site qui lui sera dédié sur Internet. Ce lien repose sur la création d’un nouveau sous-ensemble du DNS qui s’appelle l’Object Name System (ONS). Le fait d’avoir le contrôle du DNS (et donc de l’ONS) impliquera aussi d’avoir le contrôle sur l’ensemble des flux de biens de marchandises mais aussi des informations liées aux déplacements des personnes. Les enjeux en termes de souveraineté ainsi que de maîtrise économique de cet « Internet des objets » seront considérables. Les États qui sont désormais conscients de ces évolutions n’accepteront plus que la supervision du DNS ne puisse être le fait que d’un seul État.
Mais les États-Unis ne vont-ils pas se montrer réticents à l’idée de partager cette gouvernance de l’Internet ?
Les États-Unis ont un rôle historique fondamental dans le développement de l’Internet. Ils sont conscients du caractère crucial du Réseau pour le développement économique de leurs entreprises. Ils estiment en particulier que l’Internet est le moteur de la croissance de leur économie. En juin, le ministère du Commerce américain a décrit la position des États-Unis sur la gouvernance de l’Internet en quatre points. Le premier soulignait leur intention de maintenir la supervision des infrastructures que sont le DNS et la gestion des serveurs racines. C’est la position des États-Unis sur le court terme mais au vu des évolutions du réseau cette position pourrait, elle aussi, être amenée à évoluer. Les États-Unis ont ainsi adopté la Déclaration de Principe à Genève en 2003 et ont signé l’Agenda de Tunis, tout comme l’ensemble des pays membres des Nations unies. Le Sommet de Tunis ne doit pas être perçu comme une fin en soi. Bien au contraire, le mécanisme d’une coopération internationale renforcée est clairement engagé. Il s’agit maintenant de lui donner une forme qui respectera nos principes fondamentaux (en particulier les principes démocratiques de liberté et de transparence) et aussi de permettre à l’Internet de continuer à être le moteur des innovations sociales, culturelles et économiques qu’il a été jusqu’ici.