Pour les responsables marketing présents sur le salon E-Marketing Paris, la question n’est plus de savoir s’il faut aller vers le big data, mais plutôt quand et comment.
Lors de la table ronde dédiée au sujet organisé le 16 avril, Jérôme de Labriffe, Directeur « valeur data » chez le groupe BNP-Paribas (et ex-président de l’IAB) évoque les perspectives.
« Demain, notre concurrent ne sera pas la Société Générale, ce sera Amazon, Google, Facebook, ce sont ces dépositaires de la donnée. Demain, ils pourraient mettre en place leurs propres services bancaires et ils y réfléchissent déjà. C’est pour cela que nous devons mettre en place une stratégie efficace de la donnée pour faire face, demain, aux GAFA. »
Si le responsable BNP Paribas s’est montré particulièrement discret sur ce que la banque française a déjà déployé en matière de big data, il a livré quelques pistes : « Une banque est propriétaire des données de transaction de ses clients », explique-t-il.
C’est un élément précieux. « Elle a une vision à 360° de ce que ses clients dépensent. Lorsqu’un client dépense 100 euros chez Carrefour, puis 100 euros chez Total, puis chez Boulanger, nous savons ce que le client a fait chez toutes ces enseignes, nous pouvons évaluer exactement ses capacités de dépense », explique le représentant de BNP-Paribas.
Tout en poursuivant : « Reconstituer cette vision transactionnelle du client, c’est facile. Cela permet d’imaginer de nouveaux modèles de cashback, ou aller voir les enseignes et dire à Boulanger que si les clients BNP dépensent en moyenne 100 euros chez lui, cette moyenne est de 150 euros chez Darty. Nous sommes capables de créer de nouvelles activités chez BNP-Paribas à partir de ces données de transaction. »
Pluridisciplinaire et pouvant être exploité dans de multiples domaines, l’arrivée du big data dans les entreprises se traduit souvent par la création d’une cellule dédiée.
Fabien Versaveau, Directeur marketing digital du Figaro, explique comment le groupe média, qui réalise aujourd’hui la majorité de son chiffre d’affaires digital dans le Classified (les petites annonces) et l’e-commerce (notamment son site de vente de billets TickeTac), a instauré le big data dans sa structure.
« En termes d’organisation, il y a deux manière de voir les choses. Soit on décentralise et on met un peu de big data partout, soit on concentre le sujet au sein d’une équipe dédiée pour gagner en vitesse de réalisation. C’est ce choix que nous avons fait il y a 18 mois en créant une équipe rattachée au ‘corporate’. Cette cellule travaille en transverse pour l’ensemble des entités du groupe. »
L’équipe constituée par le Figaro se compose de data scientists, d’informaticiens, d’analystes Web, d’une personne venant du CRM.
Fabien Versaveau prévoit de faire grossir cette cellule de 2 à 3 personnes supplémentaires en 2015. Le responsable souligne une plus grande maturité des outils qui simplifie l’accès au big data.
« Il y a eu un choc de simplification des outils ces dernières années. Ce qui, il y a encore 10 ans était extrêmement compliqué, est devenu beaucoup plus simple. Pour prendre un exemple, faire de l’A/B testing était très lourd à réaliser. Maintenant, c’est extrêmement facile pour une équipe marketing, sans même le concours de l’IT. »
Les pure players du digital, les acteurs des médias qui disposent d’énormément de données sur leurs visiteurs, leurs clients ont été les premiers à s’intéresser au big data, mais aujourd’hui toutes les entreprises doivent s’interroger sur l’impact que va avoir la data sur leur business.
Ainsi, c’est le cas de Kia Motors, quatrième constructeur automobile mondial mais qui n’occupe que la 14ème place sur le marché français. La marque n’a une véritable présence en France que depuis 2007 et si le coréen ne compte encore que 70 personnes dans l’Hexagone, son informatique s’est rapidement complexifiée.
« Entre 2007 et 2011, notre activité à explosée en France et même si nous ne sommes encore que 70, les plateformes informatiques se sont multipliées ces dernières années », confie Fabrice Kobik, Manager Digital de Kia Motors.
« Nous en comptons aujourd’hui 27 pour collecter de la donnée, ce qui ne sert à rien pour une marque comme la nôtre qui a un gros défi de prospection. Il y a eu une réelle prise de conscience de Kia au niveau monde avec un objectif donné qui est de centraliser la donnée et assainir tous ces systèmes. »
A l’heure où les voitures sont de plus en plus connectées, mais aussi où les usages et les pratiques d’achat automobile changent, Kia doit innover pour gagner des parts de marché face aux constructeurs prédominants sur le marché français.
« Nous devons leur apporter de nouveaux services via la Data, mais pour nous, le premier challenge est interne. Nous ne sommes pas propriétaire de notre réseau de concessionnaires et nous devons leur prouver qu’ils doivent collecter de bonnes informations et saisir de bonnes données. Nous devons lui apporter de vrais services en échange, le prospect doit recevoir des offres réellement personnalisées. »
De plus en plus, le big data est vu comme un moyen de casser ces silos de données qui se sont constitués ces dernières années. « La data est un levier d’intégration de données pour le groupe et de création de synergies majeur entre des métiers qui se complètent dans la chaîne de valeur digitale », confie Fabien Versaveau du Figaro.
L’entreprise de presse combine ainsi l’ensemble des données issues des médias, les données transactionnelles de notre activité e-commerce et les données sociales. « Quand vous faites tourner des algorithmes prédictifs sur cet ensemble de données, cela vous permet d’engager le client quel que soit le canal et de façon très personnalisée. »
L’investissement consenti par Le Figaro dans sa stratégie big data est important – de l’ordre de plusieurs millions d’euros sur les 3 années qui viennent – mais les premiers résultats sont là : 40% de la croissance du chiffre d’affaires de TickeTac provient très directement de la « data ».
Le taux de réachat sur le site a pu être accru de 30% en 2014. 100 000 clients dormants ont ainsi été réactivés.
De son côté, Xavier Perret, Vice-Président Marketing en charge des partenariats d’Orange, souligne l’importance suscitée par le traitement big data, tant au niveau tactique que de la stratégie de l’entreprise.
« Le big data, c’est une condition de survie pour les entreprises. C’est pour cela qu’il faut distinguer les projets pilotes sur lesquels on va réaliser des ‘quickwins ‘[retours rapides gagnants, ndlr]. Mais il ne fait pas négliger un volet stratégique, qui implique des investissements pour penser le réseau Orange différemment, offrir des services différents. »
Le représentant d’Orange évoque notamment l’écoute des clients pour identifier des zones où le réseau est perçu comme insuffisant, des zones où il pourra éventuellement surinvestir pour améliorer la satisfaction client.
Si ce recoupement de données entre fichiers et cet enrichissement via des données glanées sur les réseaux sociaux par exemple semble aller de soi quant on est une start-up californienne, les entreprises européennes et notamment françaises doivent prendre bien plus de précautions quant aux données personnelles.
Comme le souligne Xavier Perret qui pointe les différences d’approche quant à la protection des données en Europe et en particulier en France, face à une approche anglo-saxonne beaucoup plus libre : « La sensibilité sur les données personnelles, sur ce que l’on appelle la privacy entre l’Europe et le monde anglo-saxon est différente », fait-il remarquer.
« Ici, on assume le fait que l’écosystème ne pourra grandir que dans le cadre d’une sensibilité européenne assez forte sur le domaine et un cadre assez contraignant. Ce serait bien que les autres acteurs d’Internet soient régulés de la même façon. »
Tout en poursuivant : « En Europe, les données sont personnalistes, c’est-à-dire attachées à la personne tandis que dans le monde anglo-saxon, ces données sont utilitaristes, c’est-à-dire qu’on peut en faire ce que l’on veut et la régulation suivra. C’est ce qui nous empêche d’innover et d’avancer de manière brutale comme peuvent le faire les Anglo-Saxons, mais qui, à l’inverse, nous permettrons de bâtir de nouveaux modèles de type ‘Privacy by Design’.
article : Alain Clapaud
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