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B.Van Asbroeck (Copiepresse vs Google): ‘attaquer pour avoir une position forte’

Google va-t-il réussir à apaiser ses relations avec les éditeurs de presse belges comme il est parvenu à le faire avec l’AFP ? Le moteur de recherche vient d’annoncer la signature d’un accord à l’amiable avec l’agence de presse pour l’exploitation de ses dépêches et photos sur Google News, il reste embourbé dans une procédure judiciaire en Belgique émise par Copiepresse, la société de gestion de droits des éditeurs de presse quotidienne francophone et germanophone belge.

Pour comprendre les enjeux de ce procès en Belgique et de démêler quelques caractéristiques de procédures dans le droit belge, Vnunet.fr a interviewé Benoit Van Asbroeck, associé au cabinet d’avocats international Bird & Bird (bureau de Bruxelles) qui n’intervient pas directement dans ce procès.

Diplômé des universités de Bruxelles, Tübingen et Cambridge, professeur invité aux universités de KU Brussel et Lyon II en techniques contractuelles et propriété intellectuelle et avocat depuis 1984, Benoit Van Asbroeck dispose d’une expérience approfondie en matière de droit des nouvelles technologies, de droit des médias et des droits intellectuels au sens large. Un décryptage riche en enseignements.

Interview réalisée le 1er mars 2007 (avec la précieuse aide de Vnunet.be/Datanews)

Vnunet.fr : Où en est le procès Google ? A quel niveau de juridiction ?
Benoit Van Asbroeck : La procédure actuelle se déroule toujours devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Mais plusieurs décisions ont déjà été rendues à ce stade. La première décision, qui remonte au 5 septembre 2006, a été rendue par défaut. En fait, Google ne s’est pas présenté à l’audience. En droit belge, il est possible en cas de condamnation par défaut d’entamer une procédure dite d’opposition. Pour sauvegarder ses droits à la défense, Google a fait savoir qu’il souhaitait revenir devant le juge qui avait rendu cette décision par défaut. D’où une deuxième décision rendue par p ri ncipe. Mais, en vérité, il y a eu trois décisions émanant de ce même magistrat.

Vnunet.fr : Pourquoi trois décisions ont déjà été prononcées à ce stade de la procédure ?
Benoit Van Asbroeck : A l’audience d’introduction sur la procédure d’opposition, Google a demandé un terme à l’obligation de publier la décision par défaut sur son site. Le magistrat a confirmé sa décision de première instance et donc pour le reste a renvoyé « au rôle » c’est-à-dire à surseoir à statuer sur les autres motifs et pour reprendre l’ensemble de l’affaire au même titre dans la procédure d’opposition. Maintenant, en février, nous avons eu la décision sur opposition du même magistrat du même siège que la première décision. Pour comprendre la procédure actuelle, il faut apporter un deuxième éclairage. On se situe dans une procédure devant le président du tribunal de première instance dans le cadre de ce que l’on appelle une action en cessation. C’est une particularité du droit belge. C’est une action « comme en référé » (donc rapide) et qui se plaide devant le président du tribunal de première instance (ou un vice-président qui fait fonction) qui se prononcera néanmoins sur le fonds de l’affaire. C’est un juge unique qui entend la cause et qu’il traite avec célérité. Ce qui explique pourquoi dans des délais si rapprochés, nous avons eu trois décisions par le même magistrat. Les ordonnances en cessation ne peuvent pas octroyer de dommages et intérêts. Pour cela, il faut faire une procédure au fonds classique.

Vnunet.fr : Quand se tiendra l’appel ?
Benoit Van Asbroeck : En général, cela prend beaucoup plus de temps. En appel, on ne retrouvera pas toutes les parties à l’appel puisque des transactions sont intervenues avant que la décision de février n’ait été rendue. Toutefois, la cour d’appel siégera elle-même « comme en référé ». A noter une autre particularité de ce type de procédure : les décisions « comme en référé » sont exécutoires, nonobstant tous recours. Il n’y a pas d’effet suspensif du recours d’appel.

Vnunet.fr : Concernant les arguments, le tribunal n’a pas changé de position malgré les tentatives de Google pour se défendre?.
Benoit Van Asbroeck :
En gros, le magistrat est resté sur ses positions. Quoique les astreintes (et là encore, la définition d’astreinte est spécifique en droit belge) ont été réduites par rapport à l’ordonnance rendue par défaut et que les moyens soulevés au titre de la violation des droits du producteur de banque de données n’ont pas été reçus au prétexte que seul le titulaire originaire du droit peut assigner. Or les demanderesses n’étaient pas représentées par des titulaires originaires du droit mais par des cessionnaires (des sociétés de gestion collective). Ces derniers ne sont pas autorisés à former une demande en matière de violation des droits du producteur de bases de données.

Vnunet.fr : Vous nous indiquiez qu’il y avait une nuance en matière d’astreinte?
Benoit Van Asbroeck : Le montant des astreintes infligées à Google a été réduit de manière substantielle mais cela reste très contraignant et très dissuasif. Mais, là encore, il faut préciser les implications dans le droit belge. On confond souvent dommages et intérêts d’un côté et astreinte de l’autre. Car cela reste de l’argent. Compte tenu du fait que le juge des cessations n’est pas censé condamner au paiement de dommages et intérêts, une astreinte est à percevoir comme une sanction si l’on ne respecte pas le libellé de l’ordonnance. A priori, Google ne doit rien payer sauf s’il traîne à mettre en oeuvre les injonctions du président du tribunal. La liquidation des astreintes est automatique, contrairement au droit français.

Vnunet.fr : Concrètement, que doit mettre en oeuvre Google vis-à-vis de cette décision ?
Benoit Van Asbroeck :
On reprochait à Google de violer les droits d’auteur à deux niveaux. D’abord sur Google News à travers lequel les titres des articles et les premières lignes du papier étaient reproduits. Le tout assorti d’une pho to en général. De plus, on trouvait un lien hypertexte profond qui permettait de transférer l’internaute vers le site propre du journal sur lequel il pouvait retrouver l’article complet. Ensuite l’aspect moteur de recherche classique : l’internaute peut retrouver sur la mémoire en cache la totalité de l’article tel qu’il a été scanné au moment où Google l’a introduit sur ses serveurs pour stocker l’information. Pour le cas de la mémoire en cache, c’est une reproduction intégrale de l’article. Alors que dans Google News, c’est une citation ou une reproduction partielle.

Vnunet.fr : Combien d’éditeurs demandent à être retiré des bases de données de Google ?
Benoit Van Asbroeck :
Cela concerne la moitié des titres belges (soit une dizaine de titres). C’est relativement important puisqu’il s’agit de l’ensemble des éditeurs de presse francophone et germanophone. Google doit avoir trente jours pour exécuter cette ordonnance. En sachant que le délai ne commence à courir qu’à partir de la signification (qui survient en général quelques jours après le prononcé).

Vnunet.fr : quels sont les réels intérêts de Copiepresse à attaquer Google, sachant que le moteur génère du trafic vers les sites des journaux ?
Benoit Van Asbroeck :
A mon avis, la stratégie consiste à attaquer pour avoir une position forte pour des négociations. Google va avoir peur du précédent, qui pourrait avoir des répercussions dans tous les pays membres de l’Union européenne. Car le droit communautaire est largement harmonisé. Google acceptera alors une transaction juteuse en échange. Nous ne sommes pas à la place des parties qui font peut-être des erreurs économiques. Un journal financier comme l’Echo était plutôt favorable à un accord avec Google car le moteur génère une partie importante de l’audience de son site Internet. Mais le droit d’auteur ne s’encombre pas de ce genre de calcul. Le défendeur qui aura violé le droit d’auteur ne pourra jamais utiliser comme argument le fait qu’il ne cause aucun préjudice au titulaire de droit et qu’au contraire, il entraîne des bénéfices pour lui. Cela n’est pas un argument opposable en droit d’auteur. Celui-ci est considéré comme un droit d’occupation et représente une forme de monopole qui déroge au droit à la concurrence.

Vnunet.fr : On a l’impression que ce procès sert à Copiepresse de prétexte pour tirer la couverture vers soi et forcer Google à trouver un accord  » gagnant-gagnant » sur le modèle économique lié à Google News?
Benoit Van Asbroeck :
Il est vrai que certaines sociétés de gestion collective dont la SCAM pour la France et la SACD pour la Belgique ont signé un accord-cadre favorable avec Google News grâce à cette procédure. L’accord est intervenu avant le prononcé de l’ordonnance de février. J’ai eu l’occasion d’entendre un représentant de la Scam en Belgique évoquer ce sujet. Il critiquait aussi l’attitude des autres demanderesses qui étaient trop gourmandes.

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