Face à la percée d’Amazon France, la grande distribution cherche toujours à trouver ses repères dans le commerce électronique. En pariant davantage sur la dimension commerce connecté en raison de la prise en compte de leurs réseaux physiques de magasins qui pèse dans la stratégie globale.
En France, Carrefour a définitivement acquis début 2016 un pure player : Rue Du Commerce. C’est la plus grosse opération de croissance externe dans le domaine du commerce électronique pour notre champion de la grande distribution, dont l’expansion dépasse les frontières de l’Hexagone.
Aux Etats-Unis, un récent mouvement illustre les jonctions entre acteurs traditionnels et les pure players qui devraient se multiplier : le leader américain de la grande distribution Walmart vient de passer à l’offensive en acquérant Jet.com pour 3 milliards de dollars.
Actuellement, Carrefour phosphore beaucoup sur la meilleure combinaison click and mortar entre alimentaire et non alimentaire sur fond de « commerce multilocal, multiformat et multicanal » revendiqué dans son rapport annuel (35 pays, 12 300 magasins, volume d’affaires de 104,4 milliards d’euros, dont 40,6 milliards en France).
Pour couvrir le territoire national, le groupe présidé par Georges Plassat peut s’appuyer sur un réseau global de 5668 magasins (gérés directement, en partenariat ou en franchise). Il a la main directe sur 242 hypermarchés, 1036 supermarchés, 4247 magasins de proximité (sous les marques Express, City, Contact, Bio, Montagne, 8 à Huit…) et 143 magasins « cash and carry » (commerce de gros).
Soit un total de 5668 points physiques de contact (relevé fin juin 2016). Sans compter sur l’essor de la pratique du drive (commandez les courses sur Internet, récupérez-les en entrepôt) : 520 relais en France (relevé de compteur à fin 2015).
En qualité de directeur exécutif e-commerce et data clients de Carrefour France depuis mars 2015, Hervé Parizot joue le chef d’orchestre pour harmoniser l’approche.
Lors de la convention VIVA Technology organisée à Paris entre le 30 juin et le 2 juillet, l’ex-DG de Vente-Privée.com a rencontré quelques journalistes pour évoquer la stratégie e-commerce du groupe de grande distribution qui intègre une dimension d’open innovation. Un entretien à relier avec les résultats semestriels du groupe Carrefour qui ont été publiés ultérieurement le 28 juillet.
« On vise une omnicanalité qui est propre à Carrefour. On essaie de jouer les complémentarités de notre offre magasins qui reste le pilier de notre organisation », explique Hervé Parizot. « Tout ce fait autour du magasin : dans l’offre, les services et les systèmes de capillarité et de proximité vis-à-vis de nos clients (livraison). Tout ce qui se fait autour du click and collect et la préparation de commandes est réalisé autour du magasin. »
Hervé Parizot insiste : « On ne va pas vers un système de pure player. On est vraiment ancré dans le magasin. On n’essaie pas d’installer une activité online et offline. On veut répondre de façon hybride à toutes les demandes de nos clients. Jouer à fond sur la complémentarité de l’offre. On est collé au magasin pour le point de contact client. »
« On aura de multiples solutions [pour répondre aux besoins des clients, ndlr], une partie sera associée au drive, le reste se fera sous une forme de picking amélioré avec un service différent et hybride. On peut très bien avoir des expériences pilotes avec des magasins qui font du picking et qui livre d’autres magasins… », explique Hervé Parizot.
« On servira du mieux possible les intérêts de Carrefour au niveau local. Je ne crois pas une demi-seconde à une organisation unique. Avec Internet, nous avons la possible d’étendre les menus le plus largement possible pour nos clients. »
Et cela passe aussi par des nouvelles combinaisons testées dans le réseau physique. Début juillet, La Voix du Nord évoquait un test initié cinq mois plus tôt dans l’hypermarché Carrefour Denain autour du concept de file unique « pour accélérer et fluidifier le passage en caisse ».
« C’est une société qui vit de manière autonomie qui maximise les synergies groupe. On la garde pour toutes les compétences amenées : marketplace, SEO, digital marketing… », précise Hervé Parizot. « Les achats sont faits clairement par Carrefour avec les équipes de Rue Du Commerce avec une certaine agilité, notamment les produits high-tech que l’on n’a pas forcément chez nous. »
Hervé Parizot souligne la contribution de la « pépite TopAchat » au sein de Rue Du Commerce. « On estime qu’ils ont leur place un peu à part. On va les aider pour leur donner une autonomie maximale en leur donnant une entrée directe sur Carrefour.fr. » L’intégration du spécialiste de l’informatique TopAchat (ex-propriété de France Telecom devenu Orange) dans Rue Du Commerce remonte à février 2009.
Au sein de Carrefour, le site marchand (high-tech, électroménager, maison, bricolage…) constitue également un levier important en termes d’audience « pour porter l’offre non alimentaire de Carrefour ». Je ne vais pas me priver du trafic », souligne Hervé Parizot qui évoque une audience de « 4 millions de visiteurs uniques par mois » (statistique dépourvue de source). A rapprocher des 5,2 millions de visiteurs uniques moyens pour Carrefour.fr (relevé d’audience du Baromètre trimestriel de l’audience du e-commerce en France du 1er trimestre 2016 en partenariat avec la FEVAD/Médiamétrie).
L’ensemble rôderait autour des 10 millions de VU par mois…Ce qui lui permettrait de se rapprocher du podium de l’audience de l’e-commerce (composé actuellement d’Amazon.fr avec 18,1 millions de VU, Cdiscount avec 11,1 millions de VU et FNAC avec 9,3 millions de VU).
Lors de ce même rendez-vous trimestriel de l’audience Internet marchand en France, un focus sur sur les sites de drive les plus visités a été réalisé : Courses.carrefour.fr apparaissait en deuxième position avec une moyenne de 985 977 visiteurs uniques par mois talonné par Auchan (927 407) mais loin derrière Leclerc (1,92 million).
Une approche drive qu’il faudra rationaliser avec l’enseigne cyber-marchande Ooshop dont la création remonte à la fin des années 90. En août 2015, le magazine spécialisé Linéaires évoquait une fusion à terme entre Ooshop et les drives.
Hervé Parizot a du mal à évoquer Amazon, le concurrent le plus sensible. « On est très vigilant mais c’est notre business model qui nous intéresse : comment fait-on avec notre réseau de magasins ? ». Tout en poursuivant : « On a des concurrents partout. Alibaba, Google, Facebook… »
Le Mr e-commerce de Carrefour France reconnaît « qu’il y a du travail à faire sur la livraison » alors qu’Amazon France a lancé au printemps Amazon Prime Now (livraison des produits en une heure sur Paris et petite couronne). « On s’y attaque étapes par étapes. Il faut gratter dessus. Je vise plus la qualité du service que le service en lui-même. La livraison rapide, ce n’est pas adapté à tous nos clients. Ils ne sont pas toujours localisés à domicile. »
Le magazine Linéaires avait néanmoins révélé en juin que trois Carrefour Market localisés dans Paris devaient tester ce mois « un service de livraison à domicile dans l’heure » baptisé en interne Carrefour Now. « Je ne sais pas si on le fera sous cette forme-là. Cela reste un test », commente Hervé Parizot. « On travaille sur pas mal d’options : comment fait-on en étant si proche du client avec autant de magasins en région parisienne et sur Paris pour leur offrir ce qu’ils attendent. »
Sur son pôle retail érigé sur VIVA Technology, Carrefour a invité 47 jeunes pousses qui collaborent avec le groupe de grande distribution sur divers domaines : commerce, modes de consommation, nouvelles tendances alimentaires ou lutte anti-gaspillage…
On apprend à cette occasion que Carrefour peut parfois dépasser le stade de la collaboration en acquérant des start-up. Et que la contribution de la filiale espagnole du groupe de grande distribution est précieuse pour avancer dans le domaine de l’open innovation.
« Il s’agit de trouver la bonne formule avec les start-up en préservant les fondateurs, son approche, sa flexibilité, son agilité…Si on absorbe une start-up et qu’on la tue, ça n’a aucun intérêt », explique Hervé Parizot. Ainsi, GrandsVinsPrivés a été adossé à la La Maison Johanes Boubée [négoce de vins, filiale de Carrefour].
Tandis que Croquettesland (acquis en février 2016, start-up créée par un vétérinaire qui affiche un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros) « a un accès incroyable à une offre et à une connaissance clients que Carrefour ne dispose pas forcément ».
L’objectif est de rendre l’offre accessible à tous les clients et prospects en misant sur la marque forte Carrefour dans une stratégie cohérente de branding.
Hervé Parizot déclare que l’enseigne « regarde tout et teste tout » en matière de paiement mobile et/ou sans contact.
Alors qu’un partenariat connexe a été récemment révélé avec BNP Paribas autour de l’expérimentation d’une app multi-services pour smartphone (baptisée Wa !) : paiement, fidélité et couponing.
« On est aussi intéressé par Apple Pay. » Un partenariat via Carrefour Banque a été annoncé dans ce sens le 13 juin. De nombreuses solutions innovantes pour faciliter les achats en magasins sont testées comme sont celles de Think&Go (acquis par Ingenico) autour d’écrans et de chariot connectés. « Il faut aller au rythme de nos clients pour leur faciliter leur parcours. »
Lors de la présentation des résultats du premier semestre 2016, le groupe Carrefour a effectué un focus sur sa stratégie digitale dans le monde, en évoquant une « intégration et une première contribution de Rue du Commerce en France ».
Plus globalement, Carrefour assure « continuer sa migration digitale en s’appuyant sur la densité de ses réseaux physiques et sur le développement de services e-commerce dans l’ensemble des pays du groupe. » Tout en maintenant le cap sur le « déploiement du multi-format et de l’omni-canal dans tous les pays ».
L’accent a été mis à la fin du semestre sur le « démarrage de l’omnicanal focalisé sur l’alimentaire » et « l’accélération des investissements SI et dans l’omnicanal (15% du CAPEX) ».
Malgré un petit effort de transparence des chiffres en raison de son exposition à la Bourse et sur le CAC 40, il est bien difficile d’avoir une idée claire de ce que pèse vraiment l’e-commerce ou le commerce connecté dans un groupe géant de la distribution comme Carrefour.
A lire en complément : Comment le Big Data a envahi les hypermarchés (Les Echos, 15 août 2016)
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