Que ce soit de par l’existence d’un processus de recrutement avec une forme d’entretien d’embauche, d’un système d’évaluation pouvant déboucher sur des pénalités ou d’une possibilité de modification unilatérale des conditions d’utilisation, il existe un lien de subordination entre Uber et ses chauffeurs, qui doivent par là même être considérés comme des salariés.
C’est, en substance, le constat qu’établit l’équivalent britannique de notre Conseil des prud’hommes (Employments Tribunal) dans un jugement – document PDF, 40 pages – du 28 octobre 2016.
La juridiction de première instance avait été saisie l’année passée par les dénommés Yaseen Aslam et James Farrar, qui, au nom de plusieurs lois dont l’Employment Rights Act de 1996 et le Minimum Wage Act de 1998, accusaient Uber de ne pas avoir respecté ses obligations en matière de salaire minimum et de congés payés.
La plainte couvre l’ensemble des services que l’entreprise américaine propose à Londres. C’est-à-dire, outre uberX, des offres comme uberXL (véhicules de 6 places ou plus), uberWAV (accessibilité aux handicapés), uberEXEC (haut standing) et uberTAXI.
Uber a d’ores et déjà annoncé son intention de faire appel de ce verdict qui remettrait profondément en cause son modèle en le soumettant aux exigences de protection sociale des travailleurs.
Jo Bertram, qui supervise l’activité de la société outre-Manche, est formel : « À Londres, des dizaines de milliers de personnes choisissent Uber précisément pour être leur propre patron. L’écrasante majorité des chauffeurs qui utilisent l’application Uber veulent conserver cette flexibilité qui leur permet de travailler quand et où ils le désirent ».
Pour sa défense, Uber a prétendu n’être qu’un « facilitateur d’affaires ». Ou, en ses termes utilisés lors des audiences, un « générateur de leads ».
Un document à l’attention des chauffeurs – le « Driver Addendum » – est rédigé dans ce sens. Uber y établit une relation contractuelle par le biais d’une société tierce et affirme ainsi ne pas être organisateur d’un service de transport.
À la lecture dudit document et plus globalement des CGU à l’adresse des chauffeurs, l’Employments Tribunal conclut à une « absurdité » dans cette relation contractuelle avec une personne dont l’identité n’est jamais connue, qui impose un trajet et définit un prix que ne le passager lui-même ne connaît pas précisément (on ne lui communiqué que le total à payer).
Les magistrats pointent aussi du doigt les « pirouettes langagières » et la « toute nouvelle terminologie » qu’Uber utilise pour faire valoir sa vision.
Plusieurs pièces à conviction ont orienté leur réflexion, à l’image de cet e-mail envoyé à une personne intéressée par une affiliation à la plate-forme et l’incitant à… réserver un créneau pour un entretien d’embauche.
Du côté d’Uber, on assure ne pas faire de recrutement (la société parle littéralement d’un « embarquement » ; « onboarding » en anglais dans le texte). On se défend aussi d’imposer quelque tarif que ce soit aux chauffeurs.
L’Employments Tribunal reconnaît que dans l’absolu, rien ne les empêche de pratiquer des prix plus bas dans une logique de mise en concurrence ; ou, à l’inverse, de demander un supplément. Mais dans le premier cas, Uber prélève une commission sur le tarif déterminé par ses soins. Et pour ce qui est des pourboires, la société y est fermement opposée, comme en témoignent plusieurs documents.
Les prud’hommes britanniques dénoncent également le fait qu’Uber se réserve le contrôle de certaines « informations-clés » jamais transmises aux chauffeurs (l’identité des clients, par exemple) ou communiquées au dernier moment (la destination, notamment).
Les chauffeurs sont par ailleurs tenus de respecter des « standards de qualité », tout en se soumettant à une surveillance constante pouvant donner lieu à la rétention de données. Quant à l’annulation et à la non-acceptation de trajets, elles sont « à l’appréciation d’Uber », qui se réserve le droit de prendre des mesures à l’égard des deux pratiques.
Dans le même esprit, le droit d’exercice sur chacun des services exploités au Royaume-Uni est soumis à un niveau minimum d’évaluation (par exemple 4,4 étoiles sur uberX) en dessous duquel les chauffeurs peuvent être temporairement ou définitivement radiés de la plate-forme.
Autant d’arguments – additionnés de nombreuses consignes sur les véhicules ou encore la relation client – qui font dire à l’Employments Tribunal qu’Uber organise bien un service de transport et emploie, à ces fins, des salariés.
On restera attentif aux éventuelles retombées de ce dossier sur une procédure similaire ouverte en France par la caisse nationale du réseau des Urssaf pour obtenir la requalification des chauffeurs Uber en salariés.
Crédit photo : Uber
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