C’est rare de fédérer un panel de Net-entrepreneurs de cette qualité.
Mais la commission des Affaires économique de l’Assemblée nationale a réussi ce tour de force : monter une table ronde avec des sociétés membres du club des « licornes » françaises ou candidats potentiels à ce cercle restreint des sociétés high-tech non cotées valorisées à plus d’un milliard d’euros.
La liste des personnalités attire tout de suite l’attention : Éric Carreel (Withings), Céline Lazorthes (Leetchi), Frédéric Mazzella (Blablacar), Ludovic Le Moan (Sigfox) et Simon Baldeyrou (Deezer France).
Sous l’égide de Frédérique Massat (Vice-Présidente de la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale), il s’agissait « d’identifier les priorités d’action pour une France numérique en échangeant avec les ‘Licornes’ françaises en la matière.
Etonnante rencontre qui confirme que le monde politique et l’écosystème IT restent deux univers parallèles avec des codes bien distincts.
Même si certains députés se montrent admiratifs du travail effectué par les start-uppers et même si quelques élu(e)s conscient(e)s des problématiques du numérique montent des passerelles comme Laure de la Raudière (Les Républicains), Corinne Erhel (PS) ou Lionel Tardy (Les Républicains).
ITespresso.fr vous propose une compilation de la substantifique moelle des interventions des dirigeants Internet.
Les problématiques sont assez récurrentes : financement, recrutement, formation, french bashing, esprit d’entrepreneur agile vis administration rigide et frileuse…
Frédéric Mazzella, fondateur et président de Blablacar
L’actualité : le service Internet leader du covoiturage vient de lever 200 millions de dollars auprès des fonds d’investissement Insight Venture Partners et Lead Edge Capital, avec la participation de Vostok New Ventures.
Les points saillants de l’intervention à l’Assemblée nationale :
« On a tout pour faire des choses [dans le numérique, ndlr] avec le terreau français mais on est quand même un peu en retard. »
Investissement : « La scène des ventures capitalists en France est 50 fois moins grande que celle aux USA. Il faut aider à la structuration de cet écosystème. »
Single market en Europe vs USA : « C’est la différence entre un 110 mètres haies et un 100 mètres. L’Europe, c’est un casse-tête pour chaque pays membre (régime TVA, code du travail, gestion des données…) tandis que les Etats-Unis constituent un seul marché adressable. »
« Une grande valeur à faire partager : le changement, c’est bien. Je ne dis pas que c’est maintenant (:-). Ce qui est change, c’est bien, et il faut l’accompagner. Chez BlaBlaCar, la seule constante, c’est le changement. »
Taxation en entreprise : « Il faut taxer davantage les dividendes que les plus-values. On aura alors une chance que les capitaux aillent vers le futur plutôt que dans le présent des rentes. »
Éric Carreel, président et co-fondateur de Withings (mais aussi de Sculpteo et Invoxia)
L’actualité : en juillet 2013, Withings a levé 23,5 millions d’euros auprès de Bpifrance, Idinvest Partners, 360 Capital Partners et Ventech. La société dédiée à la conception d’objets connectés (montres, balances, dispositif de sommeil intelligent…) étoffe sa gamme de produits.
Contexte de création d’entreprise : « Ca va de mieux en mieux, c’est infiniment plus facile depuis 20 ans. Le CIR s’est simplifié au cours du temps, tout comme le JEI. Le cadre des plus-values sur cession s’est stabilisée. Et les Français sont très favorables à ce que nous faisons, ce qui n’était pas le cas il y a 20 ans. »
Les points négatifs relevés : – « Manque de conscience globale de ce que va engendrer la transformation numérique. Tous les métiers du pays seront bouleversés jusqu’à l’ouvrier de l’usine. C’est flagrant dans les entreprises et les administrations. »
– « Bpifrance pourrait aller encore plus fort dans la prise de conscience du numérique en entreprise. »
– Utilisation du principe de précaution : « Une aberration totale dans ce pays. Personne ne prend de risque donc personne ne bouge. Il faut valoriser le risque. »
– Epargne : « Les flux financiers devraient être plus fluides qu’aujourdhui. Pour que l’épargne soit mise au service de l’économie. Mettons le paquet sur l’investissement : c’est une affaire sans risque au niveau de la société française. »
– Environnement législatif : N’essayez pas de faire des lois françaises. A minima, faîtes des choses avec les collègues européens. Inutile de se battre entre députés de gauche et de droite sur des textes : cela ne peut pas être être respecté à long terme. » « Personne ne connaît le code du travail : source de complexité. »
– Rapatriement industriel : « Cela fait 5 ans que j’essaie de fabriquer les produits [objets connectés Withings] en France. D’un point de vue de modèle économique, c’est impossible de localiser la fabrication ici. »
Céline Lazorthes, Présidente et fondatrice de Leetchi
L’actualité : Fondée par Céline Lazorthes en 2009, Leetchi, éditeur d’une cagnotte en ligne pour les particuliers et fournisseur d’une solution de paiement (MangoPay), a été acquis par Crédit Mutuel Arkéa (86% du capital de la société Internet pour plus de 50 millions d’euros).
« Nous allons garder notre autonomie pour poursuivre notre développement à l’international et Crédit Mutuel Arkéa apportera son expertise bancaire », a-t-elle commenté en guise d’introduction. Tout en confiant que Leetchi a reçu des propositions de rachats émanant de « boîtes américaines ».
« Nos entreprises doivent devenir des leaders internationaux. La France doit nous accompagner dans notre développement pour l’accès à l’international. »
Financement initial : « J’ai rencontré de vraies difficultés pour démarrer. J’ai eu une subvention jeune via OSEO pour mettre les pieds à l’étrier »
Recrutement : « C’est difficile en France de recruter sur des métiers techniques. »
Marché du travail : « La flexibilité du contrat de travail n’est pas facile. A Londres, le contrat de travail se termine en un mois (mais trois mois pour la France). Je ne dis pas cela pour virer mais pour recruter. »
Fonctionnement administratif : « On est perdu. Commment comprendre le Crédit d’Impôt Recherche ? Comment devenir une Jeune Entreprise Innovante ? Un vrai challenge. Nous perdons notre statut de JEI en étant acquis par CM Arkéa (…) C’est un dispositif extraordinaire. Il faut l’ouvrir aux entreprises innovantes de services au sens large. »
Alternance politique : « Les changements de règles et de fonctionnement sont terribles. On doit apprendre à s’adapter en fonction des gouvernements. Si vous pouviez arrêter, ne plus rien faire… »
Règlementation européenne : « La transposition de la directive DME2 [monnaie électronique, ndlr] du 16 septembre 2009 n’a toujours pas eu lieu en France. Nous avons dû ouvrir une filiale au Luxembourg pour disposer de son application mais notre image d’entreprise en souffre [Le Luxembourg étant souvent perçu comme un paradis fiscal, ndlr]. »
Ludovic Le Moan, fondateur et président de Sigfox
L’actualité : En février, l’opérateur qui développe un réseau mondial pour développer la connectivité des objets a annoncé une levée de fonds de 100 millions d’euros auprès de trois opérateurs télécoms internationaux (Telefonica, SK Telecom et NTT Docomo Ventures), un fonds américain (Elliot Management Corporation) et des partenaires industriels (GDF Suez, Air Liquid et Eutelsat).
« Nous étions 2 à Toulouse en 2011. Nous sommes maintenant 150 dans le monde. On veut déployer un réseau mondial dédié à l’IoT. 80% de notre chiffre d’affaires est réalisé à l’international. »
Régulation : « L’Internet des Objets est quelque chose de gigantesque. L’Enjeu de régulation est important. Comment trouver un accord au niveau européen ?
Small Business Act à la française : « On a tous les opérateurs télécoms français à dos et on travaille uniquement avec les opérateurs étrangers. A mon avis, ils vont se planter. Ils n’ont pas été capable de venir nous voir. Beaucoup de start-up rencontrent ce souci-là dès que l’on arrive avec une innovation. Il y a comme une espèce de phénomène de rejet alors qu’il faudrait nous aider à créer de la valeur. »
Développement numérique : « Uber s’applique aux taxis. Demain, ça s’appliquera à tous les métiers. Il vaudrait mieux anticiper le phénomène de désintermédiation plutôt que de le freiner. »
Financement & prospective : « Les subventions de Bpifrance ressemblent parfois à un miroir aux alouettes. Certains projets financés servent à créer des proto qui ne verront jamais le jour car le marché n’existe pas. »
« Pourquoi les grandes fortunes de France n’investissent pas plus dans les start-up en France ? Il pourrait être davantage contributeur par la finance et par leur rayonnement. »
Education – formation : « Pourquoi ne pas effectuer une veille sur ce qui existe en termes de MOOC (cours en ligne). C’est une belle opportunité pour sortir des cadres classiques de l’Education Nationale. Il faut peut-être avoir des cursus scolaires et rester chez soi. »
Simon Baldeyrou, Directeur général de Deezer France.
L’actualité : Deezer a entamé un processus d’introduction en Bourse en vue d’une cotation sur Euronext Paris d’ici à la fin de l’année.
Créée en 2007, la société, qui exploite une plateforme de musique en streaming, dispose d’un effectif de 300 personnes, dont les deux tiers en France (une centaine dans dix pays). Elle a réalisé un chiffre d’affaires de 142 millions de chiffre d’affaires en 2014 et escompte un CA de 200 millions en 2015.
Les concurrents sont connus : Google-YouTube, Apple Music, Spotify (le champion suédois du streaming musical atteint un chiffre d’affaires d’un milliard).
Parmi les thèmes évoqués dans son intervention :
– Incitation salariale : Comment inciter les salariés à entrer dans le capital de sa société en vue de participer à son succès ? La loi Macron, qui relance les attributions gratuites d’actions, va dans le bon sens, selon le DG France de Deezer.
– Règlementation européenne : « On est dans une logique d’internationalisation. Le service est disponible partout. Mais il faut négocier les droit d’auteurs dans tous les pays d’europe.
– Recrutement : « On embauche de plus en plus de gens à Londres en raison de la flexibilité du droit de travail. Mais on a les meilleurs développeurs à Paris grâce aux incroyables écoles d’ingénieurs. L’ expertise technologique restera en France. Mais, pour les profils commerciaux, c’est plus facile de les trouver à Londres qu’à Paris. »
– Liens avec les grands groupes : « Notre principal client, c’était Orange par le biais de l’intégration de l’offre Deezer dans ses offres télécoms. Nous représentons le succès d’une start-up qui a réussi à s’intégrer dans un grand groupe français. Et c’est un modèle que l’on a développé dans une quarantaine de pays (40 opérateurs). »
La vingtaine de députés membres de la commission des Affaires économiques, tous bords confondus, présents à cette table ronde ont souhaité avoir des réponses sur des problématiques comme le crowdfunding, la formation professionnelle en continu des salariés, la transformation des modèles liés à l’économie numérique, le phénomène « d’Ubérisation » qui inquiète sous l’angle des risques de dérèglementation, les risques de destructions d’emplois dans les cycles d’innovation comme dans la robotique par exemple, les craintes de discrimination des compétences par le numérique, comment les personnes senior mais toujours actives sur le marché du travail pourraient s’intégrer dans l’écosystème IT….
Les cinq intervenants de la Net-économie ont été assaillis de questions de fond intéressantes mais il était bien difficile de répondre à toutes ces problématiques en simultané.
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