Plate-forme électronique ou entreprise de transport ?
Dans la lignée des conclusions que son avocat général Maciej Szpunar avait rendues en mai dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a retenu la deuxième option pour caractériser l’activité d’Uber.
L’activité en question est plus précisément celle que la firme américaine a exercé en Espagne entre avril et décembre 2014 avec le service uberPOP, consistant à mettre des passagers en relation avec des chauffeurs non professionnels.
Le dossier avait été ouvert en août 2015, après réception d’un demande de décision préjudicielle en provenance du tribunal de commerce no 3 de Barcelone.
La juridiction de première instance avait sursis à statuer d’un recours formé le 29 octobre 2014 par Elite Taxi, association professionnelle regroupant des chauffeurs de taxi de la ville de Barcelone.
Cette dernière accusait la société de droit espagnol Uber Systems Spain SL d’exercer dans l’illégalité avec uberPOP et plus globalement de bénéficier d’avantages concurrentiels indus face aux exploitants de taxis, en matière de licences, d’assurance ou encore de sécurité.
Pour juger de cette prétendue concurrence déloyale, le Tribunal de commerce avait estimé nécessaire de déterminer si Uber devait ou non disposer d’une autorisation administrative préalable. Ce qui impliquait de définir la nature d’uberPOP, entre service de transport, service propre à la société de l’information… ou combinaison des deux.
Du côté d’Uber, on affirme exploiter un « service de la société de l’information », encadré par les directives européennes 98/34/CE et 2000/31/CE.
Maciej Szpunar n’est pas de cet avis. Il estime être en présence d’un service « mixte », composé d’un élément fourni par voie électronique et d’un autre qui n’est pas fourni par cette voie.
Selon son analyse, la partie de la prestation qui n’est pas fournie électroniquement n’est pas « économiquement indépendante » du service fourni par voie électronique : Uber exerce « une influence décisive, de sorte que les deux forment un tout indissociable ». En conséquence, uberPOP tel qu’exploité en Espagne, n’entre pas dans le champ des directives 98/34/CE et 2000/31/CE.
La première, abrogée en octobre 2015, reste applicable à ce litige. Elle définit un « service de la société de l’information » comme étant presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.
La deuxième pose les modalités selon lesquelles les États membres de l’UE peuvent prendre des mesures à l’égard d’un « service de la société de l’information ».
La vision de Maciej Szpunar se retrouve dans l’arrêt que la CJUE a rendu ce 20 décembre.
La juridiction suprême pour le droit de l’Union considère que le service pointé du doigt par Elite Taxi ne se résume pas à de l’intermédiation : Uber « crée en même temps une offre de services de transport urbain […] dont il organise le fonctionnement général ».
Son application lui permet par ailleurs d’exercer « une influence décisive sur les conditions de la prestation », notamment en établissant le prix maximum de la course. En parallèle, s’opère « un certain contrôle sur la qualité des véhicules et de leurs chauffeurs ainsi que sur le comportement de ces derniers, pouvant entraîner, le cas échéant, leur exclusion ».
Bilan : le service d’intermédiation doit être considéré comme faisant partie intégrante d’un service global dont l’élément principal est un service de transport.
La CJUE invoque, à cet égard, une jurisprudence de 2015 selon laquelle la notion de « service dans le domaine des transports » englobe non seulement les services de transport pris en tant que tels, mais également tout service intrinsèquement lié à un acte physique de déplacement de personnes ou de marchandises d’un endroit à un autre grâce à un moyen de transport.
Sur cette base, l’application du principe de liberté de prestation de services dans l’UE – garanti par les directives 2000/31/CE et 2016/123/CE – doit être réalisée par la mise en œuvre de la politique commune des transports.
Or, les services de transport urbain non collectif de type uberPOP n’ont pas donné lieu à l’adoption, par le Parlement ou le Conseil, de règles communes ou d’autres mesures. C’est donc aux États membres de réglementer les conditions de prestation.
Dans l’agglomération de Barcelone, les services de taxi sont régis par la Ley 19/2003 del Taxi, assortie du le Reglamento Metropolitano del Taxi, adopté en 2004. L’ensemble impose l’obtention d’une licence pour fournir un service de transport urbain et d’une autorisation du gouvernement régional compétent pour un service interurbain.
Les réglementations au niveau des communautés autonomes et des municipalités complètent la législation nationale, notamment la loi 16/1987, relative à l’organisation des transports terrestres, et qui impose l’obtention d’une autorisation de transport public de passagers pour réaliser aussi bien des transports de cette nature qu’une activité d’intermédiaire dans la conclusions de tels contrats.
On surveillera l’évolution d’un dossier similaire ouvert sur requête du tribunal de grande instance de Lille dans le cadre d’une procédure pénale à l’encontre d’Uber France SAS.
Lors de l’audience qui a eu lieu le 24 avril dernier devant la CJUE, Uber a fait le parallèle avec le fonctionnement de Booking.com – « qui ne fournit pas les chambres » – et réaffirmé fournir exclusivement un « service électronique d’intermédiaire ».
Le 4 juillet, Maciej Szpunar avait rendu des conclusions similaires à celles apportées dans le cadre du dossier à Barcelone, estimant que la France était dans son droit en réclamant l’interdiction d’uberPOP au nom d’une disposition de la loi Thévenoud.
Crédit photo : Senator Mark Warner via Visualhunt.com / CC BY
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