Après l’échec patent du cloud souverain et le retour au premier plan du fameux OS souverain dont Arnaud Montebourg fut l’un des chantres, voici venir… le clavier souverain.
Dans la lignée d’un rapport du Parlement sur l’emploi de la langue française, le ministère de la Culture et de la Communication a fait part de son intention d’établir « une norme française pour les claviers informatiques ».
La feuille de route est officialisée au chapitre II d’un document établi par la délégation générale à la langue française et aux langues de France (rattachée au ministère), en partenariat avec l’AFNOR (Association française de normalisation), en lien avec les industries et les représentants des utilisateurs du secteur.
Le postulat est le suivant : le clavier azerty « porte atteinte à l’écriture en langue française […] et dans les langues régionales ».
Quels arguments pour étayer cette affirmation ? La saisie « complexe » de nombreux caractères dont les majuscules accentuées, les ligatures « æ » et « œ » ainsi que leurs équivalents en capitales, les doubles chevrons (« guillemets français ») ou encore les chiffres (il faut appuyer sur la touche « Shift » ou disposer d’un clavier numérique).
C’est sans compter l’hétérogénéité des claviers en fonction des fabricants, mais aussi de leur prise en charge par les différents systèmes d’exploitation : certains caractères accessibles sur Windows ne le sont pas sur OS X, ou alors avec une combinaison de touches différente (et vice versa).
Comme le note le ministère de la Culture, il existe des palliatifs, essentiellement logiciels avec en tête de liste des pilotes « étendus », mais tout le monde ne peut pas y accéder.
Dans le sillage de la Belgique, de la Suisse et du Canada, qui ont amorcé des réflexions similaires sur de nouvelles dispositions de touches, il est question de « donner de nouvelles possibilités, respectueuses des particularismes d’écriture, pour répondre aux besoins du marché ». Le tout sans bouleverser la disposition azerty.
Le texte finalisé sera présenté en enquête publique à l’été 2016. Son élaboration est ouverte à tous.
Dans la pratique, il sera sans doute difficile de se détacher du clavier azerty, utilisé en France depuis plus d’un siècle, et qu’aucune alternative (le zhjayscpg dès 1907 ; le Dvorak-fr et le bépo plus récemment) n’est parvenue à détrôner.
Il est pourtant communément admis qu’il ne s’agit que d’un dérivé du qwerty américain, conçu spécifiquement pour… les machines à écrire.
Dans ce domaine, on attribue le premier clavier au dénommé Christopher Latham Sholes. La disposition était alphabétique, avec une rangée supérieure composée du trait d’union, des chiffres 3, 5, 7, 9 et des lettres de N à Z (les chiffres 2, 4, 6, 8 et le reste de l’alphabet figurant sur la rangée inférieure, avec le point).
Au fil des années, la disposition évolue (avec notamment une version dotée de toutes les voyelles sur une même rangée), jusqu’au dépôt, en 1878 du premier brevet faisant mention du qwerty.
La raison la plus fréquemment évoquée tient au fait qu’avec les autres agencements, les utilisateurs tapaient souvent sur des lettres très proches les unes des autres, entraînant un blocage des tiges de leur machine à écrire.
L’objectif du qwerty était précisément d’écarter le plus possible les lettres les plus fréquemment contiguës dans la langue de Shakespeare – une théorie qu’on peut mettre par l’exemple : la séquence « er » est très utilisée en anglais*.
Parallèlement au dépôt de son brevet, Sholes s’allie à l’armurier Remington, qui vend alors, en l’espace d’une décennie, plus de 100 000 machines à écrire, contribuant à la popularisation du qwerty.
Dans les années 1890, le qwerty traverse l’Atlantique, adapté en azerty, sans que la raison exacte en soit connue. Une étude de l’université de Kyoto explique que ce sont tout simplement les opérateurs de télégraphe qui ont dicté l’évolution du clavier – également aux États-Unis – à mesure qu’ils retranscrivaient du morse.
Depuis lors, des adaptations ont été proposées, plus ou moins radicales dans leur approche. On retiendra cette proposition faite en 1985 dans le cadre du plan « Informatique pour tous » et orientée sur des « blocs logiques » isolant des caractères tels les lettres accentués et les signes de ponctuation.
On notera que la réflexion évolue avec les méthodes de saisie tactile. Outre-Atlantique, on étudie notamment un clavier KALQ adapté à une utilisation avec les deux pouces.
* Mental Floss évoque un clavier qwerty « déséquilibré » : environ 300 mots de la langue anglaise peuvent être tapés uniquement avec la main droite, contre plus de 3 000 avec la main gauche.
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