L’entreprise libérée fait beaucoup fantasmer. Popularisé en France à partir de 2009 par Isaac Getz, professeur de management à l’ESCP Europe et qui tient un site sur le sujet, ce mode d’organisation consiste à supprimer au maximum la pression hiérarchique, les reporting et autres processus de contrôle.
Autonomes et responsabilisés (empowerment), les employés s’organisent ensemble pour atteindre l’objectif défini en amont. Ce qui favorise leur engagement. L’entreprise est alors libérée des chaînes et des lourdeurs qui entravent l’esprit d’innovation. C’est pourquoi ce concept suscite un intérêt particulier au sein des organisations engagées dans la transformation numérique.
Dans sa forme la plus poussée, l’organisation serait à plat et non plus pyramidale, sans aucun cadre au sens propre comme figuré. Les sociétés qui intervenaient lors d’une table ronde sur l’entreprise libérée au Digital RH, le 18 octobre, n’en en sont pas encore là. La « libéralisation » se faisant par étapes progressives.
Pour Jean Prévost, directeur des ressources humaines, de la communication et de l’excellence opérationnelle chez Axa Banque, « l’entreprise libérée, c’est d’abord et avant tout la confiance placée dans l’individu en lui donnant plus de responsabilités et de la reconnaissance. Les personnes sont traitées à égalité et non pour leur titre ou leur poste. Cela passe aussi par le droit à l’erreur. »
Il faut pour cela donner envie de changer. « Ce n’est pas seulement en disant vous avez plus d’habilitations que les collaborateurs vont s’en servir. Un travail d’explication doit être mené. » Ce projet, « l’un des plus grands en termes d’investissement », a été porté par la direction générale et les partenaires sociaux ont été associés.
Pour sa mise en place, Axa Banque a travaillé sur les « irritants » des collaborateurs. À savoir toutes ces petites ou grosses gênes qui empoisonnent au quotidien la vie au bureau. Jean Prévost ne s’en cache pas. L’objectif poursuivi est bien sûr de chercher l’engagement du collaborateur pour que « face au client il fasse un peu plus que son job. »
Pour Axa Banque, qui emploie 700 collaborateurs dont la moitié a moins de 34 ans et qui se positionne sur le digital (Soon, offre bancaire 100 % mobile), il y avait aussi un enjeu d’attractivité. La génération Y étant particulièrement rétive aux lourdeurs hiérarchiques.
L’entreprise libérée fait aussi évoluer la posture managériale. « Le manager est moins dans le contrôle, plus dans l’animation, l’accompagnement », observe Jean Prévost. Des cadres qui ont perdu leur bureau. D’ailleurs plus personne n’a de bureau attitré. Chacun peut s’assoir où il veut. Axa Banque pousse aussi au télétravail. « L’espace de travail a été revu avec du numérique et des espaces collaboratifs partout. »
Parmi les nombreuses questions que soulève l’entreprise, se pose l’accueil des salariés. Est-ce que tous jouent le jeu quand on les laisse s’organiser ? Pour Sophie Floreani, responsable de la conduite du changement de BNP Paribas International Retail Banking Information Systems, « il y a seulement 3 % de tire-au-flanc. C’est marginal. Cela serait dommage de pénaliser les 97 % restants. »
Parmi les intérêts de l’entreprise libérée, elle voit une amélioration du service au client en devant parfois déroger certaines règles. Elle cite le cas d’une opératrice qui a reçu l’appel affolée d’une cliente dont le mari, atteint d’Alzheimer, avait quitté la maison. Elle l’a retrouvé grâce à sa carte bancaire.
Chez Allianz France, la libéralisation de l’entreprise a surtout consisté à libérer la parole. En 2009, AGF change de nom pour prendre celui du groupe allemand auquel elle appartient depuis dix ans : Allianz. Un changement qui appelle à formaliser les valeurs de la marque. Sur quoi repose-t-elle ?
Ne pouvant réunir 12 000 collaborateurs sur un même site pour en débattre, une plateforme collaborative est montée pour faciliter les échanges. 50 ambassadeurs sont nommés sur la base du volontariat et leur envie de parler et de convaincre.
«Nous avons demandé à leurs managers s’ils voulaient bien les libérer. Un seul a refusé. », se souvient Karine Lazimi, alors directrice de l’expérience digitale chez Allianz France et aujourd’hui agent général à Paris VIIIe. « Ces 50 ambassadeurs pouvaient coopter des collègues, nous sommes arrivés à 300 personnes relais. »
Comme pour Axa Banque, le projet a bénéficié d’un sponsoring au plus haut. Karine Lazimi a été soutenue par Jacques Richier, PDG. « Il m’a dit : « Je prends le risque de vous faire confiance ». Risque, c’est un mot fort dans assurance. »
Très actif sur les réseaux sociaux et notamment sur son compte Twitter, Jacques Richier répond lui-même aux questions des collaborateurs. « Quand un PDG like un post, le collaborateur est publiquement reconnu dans son expertise. »
Car l’idée de la plateforme est d’échanger entre pairs et collègues mais aussi, le cas échéant, d’interpeller le comex. « Des guidelines ont été édictées mais les gens savent se tenir, il y a eu zéro dérapage. »
« Avec ces brainstormings, on découvre des pépites, poursuit Karine Lazimi. De vrais talents, agiles, qui n’ont pas toujours fait les études qui vont bien. J’ai connu la période des groupes de travail. Si vous êtes n-4, vois n’y avez pas accès. Il faut l’aval et le soutien de votre manager. »
Après avoir lancé la collaboration en interne, Allianz décide à partir de 2010 de parler à ses clients sur les réseaux sociaux. L’assurance lance un compte Twitter dédié à la relation client, « Allianz avec vous ». Sur le terrain, les agents généraux se mettent sur Facebook et les conseillers en patrimoine et santé sur LinkedIn. « Les gens avaient déjà les usages, les codes. La transformation est passée de l’interne à l’externe. »
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