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Corinne Erhel – Laure de la Raudiere (députées) : « Les changements télécoms ont été brutaux »

Le délai était assez court. Deux mois.

Mais Corinne Erhel (PS, Côtes d’Armor) et Laure de la Raudière (UMP, Eure-et-Loir) ont bouclé un rapport dédié à « l’impact de la régulation des télécoms sur la filière télécoms » dans le cadre d’une mission d’information parlementaire.

Le document est bouclé « à 99% ». Sachant qu’il reste néanmoins des contributions à rajouter de la part de la Commission des Affaires Economiques de l’Assemblée nationale et préciser des éléments sur l’apport de l’Autorité de la concurrence qui a aussi son mot à dire dans la régulation du secteur télécoms à côté de l’ARCEP.

Un document censé éclairer la représentation nationale sur un secteur marqué par une certaine « crispation ».

Les deux députées parlent d’une filière télécoms « en souffrance » et émettent une série de propositions pour apporter de l’oxygène aux acteurs de la chaînes (équipementiers, opérateurs, centres d’appels…).

Discussion à bâtons rompus sur l’arrivée de Free Mobile, Alcatel-Lucent, l’ARCEP et la régulation en Europe.

(entrevue en commun réalisé par téléphone le 7 février 2012)

ITespresso.fr : Le gouvernement prône la cohabitation à 4 opérateurs. Au regard de la concurrence vive entre les opérateurs réseaux, est-ce tenable ?

Corinne Erhel : C’est un fait : il sont quatre et ils sont bien là. Ce que l’on a essayé de définir dans notre rapport , c’est de savoir quels ont été les bouleversements. Et quels moyens à mettre en place pour le plus important : retrouver un équilibre dans l’intérêt du consommateur, l’investissement, l’emploi, l’aménagement du territoire, l’innovation et l’impact sociétal.

Cette filière doit reprendre un peu de sérénité et il faut lui redonner de la visibilité en amont et en aval. Chaque semaine, nous lisons un article [d’un opérateur qui lance des invectives sur un autre, ndlr].

Nous ressentons une crispation dès que l’on parle de l’arrivée du quatrième opérateur [Free Mobile], il faut pouvoir en parler sereinement.

ITespresso.fr : Free Mobile dispose d’une part de marché de 5% en un an et vise à terme 25%. Cela va être difficile de faire desserrer les dents de ses concurrents…

Laure de la Raudière : Compte tenu des délais courts de réalisation de cette mission parlementaire, on ne peut pas fournir une analyse riche sur ce qui est fait ou va être fait par chaque acteur. Ce n’est pas l’angle de notre mission d’ailleurs.

Il faut objectiver les discours et les déclarations des opérateurs. J’entends la presse relater que le réseau de Free Mobile est de mauvaise qualité (difficulté de passer des appels, taux de couverture insuffisant…). Free Mobile dément, considère qu’il fournit les efforts nécessaires en termes d’investissements réseaux, qu’il utilise à bon escient le contrat d’itinérance signé avec Orange et qu’il remplit les engagements de couverture fixés par l’ARCEP.

Il faut arrêter ce jeu de ping-pong et établir un observatoire de la qualité de service sur les réseaux fixes et les réseaux mobiles qui soit réellement indépendant.

L’observatoire actuellement mis en place est financé par les opérateurs et les mesures sont réalisées sous contrôle des opérateurs. L’ARCEP devrait être en mesure de choisir son prestataire, d’effectuer les mesures, de choisir les indicateurs et finalement d’apporter plus de transparence sur la qualité objective des réseaux fixes et mobiles.

Deuxième point, il faut donner un appel d’air aux opérateurs avec des relais de croissance : le développement du très haut débit et de la 4G. Ce qui pourrait éventuellement aboutir à une augmentation du prix de marché des offres pour que les opérateurs puissent rentabiliser leurs investissements.

ITespresso.fr : A votre avis, avec l’arrivée de Free Mobile, l’impact sur l’emploi est-il positif ou négatif ?

Laure de la Raudière : Sur la période 2012 – 2013, le solde sera négatif. Ce qui ne veut pas dire que l’arrivée de Free Mobile ne sera pas bénéfique à moyen terme sur l’ensemble de la filière.

Sur les deux dernières années, on a l’impression qu’il n’y a que Free Mobile qui a créé des emplois. On aurait pu imaginer un effet positif sur les équipementiers avec l’arrivée du nouvel opérateur.

Mais la pression mise sur les prix et les marges ont été tellement importantes face à la concurrence chinoise que la situation a fini par handicaper des acteurs comme Nokia Siemens Networks, Alcatel-Lucent ou Ericsson.

Ce que l’on souligne dans notre rapport, c’est le caractère brutal des changements observés sur le marché. Il faut rappeler les objectifs qui avaient été fixés en délivrant la quatrième licence à un nouvel entrant [Free Mobile en l’occurence] : dynamiser le marché, développer la concurrence pour faire baisser les prix au final. Soyons clairs : ces objectifs-là ont été atteints. Mais ses effets ne sont pas neutres en matière d’emploi. C’est tout ce que l’on dit.

ITespresso.fr : Avec votre mission parlementaire, avez-vous pu déterminer si oui ou non il existait un rapport public avant l’arrivée d’un nouvel entrant dans la téléphonie mobile qui évoquait l’impact potentiel sur l’emploi dans le secteur des télécoms ?

Corinne Erhel : Nous n’en avons pas eu connaissance. Nous avons pourtant fait la demande mais on nous l’a pas donné. C’était pourtant un point important pour savoir ce qui s’est passé et éviter que l’on se retrouve dans la même situation à l’avenir.

Il faut développer la culture de l’étude d’impact au préalable au sein de l’Etat. Et être capable de réaliser une étude d’appréciation et d’évaluation d’une mesure dans un partage de responsabilité entre l’Etat et le régulateur.

En février 2009, lorsqu’il y a eu des débats au Parlement sur l’entrée d’un quatrième opérateur, Laure et moi avions souligné l’absence d’étude d’impact au préalable.

ITespresso.fr : Sur le front des équipementiers, on a appris hier le départ de Ben Verwaayen, CEO d’Alcatel-Lucent. Comment l’interprétez-vous ?

Corinne Erhel : Le groupe Alcatel-Lucent rencontre des difficultés en particulier sur le marché européen et français. Et on peut comprendre que ce n’est pas évident sur un marché avec 128 opérateurs et une forte concurrence des équipementiers asiatiques (compétition sur les prix et les produits technologiques).

La R&D du groupe est déportée au plus près des marchés les plus porteurs (Etats-Unis, Asie). Ce qui m’inquiète avec Alcatel-Lucent, c’est que le siège est en France mais que la part de marché de l’équipementier télécoms diminue dans notre pays.

Ce n’est pas un bon signe. Il reste encore 9000 salariés d’Alcatel-Lucent implantés dans plusieurs régions de France avec beaucoup de compétences humaines. Mais la multiplication des plans sociaux est difficile à vivre en interne. Il faut donner de la perspective aux collaborateurs et qu’ils connaissent la stratégie groupe.

ITespresso.fr : Le rapprochement entre Alcatel-Lucent et Nokia Siemens Networks au niveau européen serait-il pertinent ?

Corinne Erhel : Je n’ai pas les éléments sur ce point. C’est une question de stratégie industrielle. Je considère Alcatel-Lucent comme un équipementier important et qu’il il faut lui porter une attention particulière à ce titre.

Il faut replacer ce dossier dans le contexte de la relance des investissements dans le très haut débit fixe et mobile en Europe et en France. Le gouvernement va présenter un plan extrêmement important dans ce sens d’ici la fin du mois.

Laure de la Raudière : En fait, c’est une filière stratégique pour l’Europe. Il faut éviter que les acteurs européens perdent leur capacité d’innover par rapport à leurs concurrents asiatiques.  Il faut qu’ils disposent de marges pour poursuivre les investissements dans la R&D.

Nous souhaiterons parallèlement que la Commission européenne pousse plus loin son enquête dans les subventions [versées par l’Etat chinois, ndlr] que pourraient recevoir les équipements chinois pour adapter leurs gammes de produits au marché européen.

S’il est avéré que ces pratiques sont contraires aux lois européennes, il faudra y mettre un terme. Par souci de justice vis-à-vis des autres équipementiers qui n’ont pas ces subventions.

(Lire la fin de l’interview page 2) : relations ARCEP – Etat, relocalisation des centres d’appels, régulation télécoms en Europe

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