A l’approche de Noël, les députés peuvent considérer que l’examen du projet de loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de linformation (DADVSI) n’est pas un cadeau. Mais il réserve toutefois d’heureuses surprises.
Les discussions ont débuté mardi soir vers 21h30 mais les débats autour des amendements déposés (plus de 250 pour 29 articles dans le projet de loi) n’ont réellement commencé que dans la soirée de mercredi.
Un coup de théâtre est survenu mercredi peu avant minuit : selon l’AFP, les députés ont adopté contre toute attente des amendements légalisant les échanges de fichiers via les réseaux P2P.
L’Assemblée nationale a adopté, contre l’avis du gouvernement, deux amendements identiques en ce sens. Le premier était présenté par Alain Suguenot, député UMP (Côte-d’Or) qui avait déposé une proposition de loi dans ce sens dans le courant de l’été (voir édition du 2 septembre 2005). Le second provient des députés socialistes.
Un score serré
Les amendements favorisant les échanges P2P ont été adoptés par un vote à scrutin public par 30 voix pour et 28 voix contre. Un score serré qui permet toutefois de créer la surprise compte tenu de la majorité absolue dont dispose l’UMP à l’Assemblée nationale.
Ce groupe politique se montre peu enclin à favoriser une approche ouverte vis-à-vis du P2P. Plus tôt dans la journée de mercredi, une motion de renvoi en commission, défendue par le groupe socialiste et soutenue par l’UDF, sur ce projet de loi relatif aux droits d’auteur avait été rejetée par 46 voix contre 20.
Internet inclus dans les exceptions au droit d’auteur pour copie privée
Concrètement, les amendements, adoptés mercredi soir, modifient l’article premier du projet de loi. Les exceptions au droit d’auteur pour copie privée sont étendues à l’Internet mais, en contrepartie, une « rémunération des artistes » est prévue.
Cela revient à autoriser les copies pour des usages non commerciaux et donc le téléchargement par échanges de fichiers.
Une position gouvernementale inconfortable
Logiquement, le gouvernement a voté contre les initiatives des députés pro-P2P mais la donne a changé. Les amendements approuvés constituent un véritable camouflet car ils remettent en cause les mesures techniques et judiciaires que le gouvernement préconisait pour limiter, voire interdire, les échanges de fichiers sur les réseaux P2P.
L’idée d’une licence globale relancée
Interrogé par l’AFP dans les couloirs de l’Assemblée nationale, Christian Paul, député PS de la Nièvre, estime que ces amendements constituent « l’élément primordial d’une licence globale » (voir édition du 7 décembre 2005). De quoi redonner le moral aux troupes pour la suite des débats dans l’Hémicycle qui devraient se poursuivre jeudi matin.
Premier organisme du secteur de la musique à réagir dans la nuit de mercredi à jeudi : l’Adami, qui gère les droits des artistes interpètes, a « applaudi cette mesure » selon le flash d’actualité de France Info à 2h00.
Jeu d’équilibriste
Dès l’ouverture du débat mardi soir sur le projet de loi DADVSI, Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture, est conscient que les discussions dans l’Hémicycle vont être houleuses (voir édition du 19 décembre 2005).
Il a rappellé les principaux enjeux que le gouvernement perçoit à travers ce projet de loi. Ce texte « crée un équilibre notamment entre le développement d’un maximum de nouvelles offres légales attractives pour développer l’accès à la culture et la lutte contre la contrefaçon numérique », le terme juridique utilisé pour dénoncer le piratage.
La riposte graduée transposée dans la loi
L’une des mesures les plus controversées concerne la légalisation des mesures techniques de protection à travers des outils de gestion numérique des droits (digital right management ou DRM) qui empêche ou limite la copie de fichiers musicaux ou vidéo et la duplication des supports physiques.
Le fait de contourner ce dispositif est assimilé à un délit de contrefaçon. La personne prise la main dans le sac est passible d’une peine de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende.
Autre concept défendu par le gouvernement : la« réponse graduée » (ou « riposte graduée »). Un internaute soupçonné de piratage recevra d’abord un avertissement par e-mail puis par lettre recommandée. En cas de persistance de ses actes, il serait considéré comme un contrefacteur.
Pour les sanctions, le gouvernement souhaiterait mettre en place une Autorité de médiation et de protection de la propriété littéraire et artistique. Celle-ci s’appuierait sur des « agents assermentés » chargés de repérer les internautes qui, par « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à l’obligation de prudence » auraient reproduit ou mis à disposition des oeuvres culturelles.
Dans un communiqué de presse commun diffusé mercredi, trois associations de défense des droits des consommateurs (CLCV, UFC-Que Choisir et Unaf) ont dénoncé « cette chasse aux internautes (?) qui permet d’organiser leurs poursuites en dehors du système judiciaire ».
Prise de positions désordonnées au sein des groupes
Tout au long de la journée de mercredi, les différents groupes politiques ont pu exprimer leurs points de vue sur le projet de loi. Pour le PS, c’est un texte « qui verrouille Internet ».
Mais la solution, préconisée par l’Alliance Public-Artistes, de la licence globale (qui consiste à faire payer aux internautes une contribution supplémentaire pour bénéficier librement de l’offre de fichiers accessibles sur les réseaux P2P), ne semble pas faire l’unanimité au sein du PS.
Au nom de l’UDF, François Bayrou dénonce la constitution d’une « police de l’Internet, laquelle disposera de la prérogative de venir contrôler l’usage privé de nos outils informatiques».
Du côté de la majorité, on a senti quelques divergences d’approches : outre l’amendement déstabilisateur d’Alain Suguenot, Bernard Carayon, député du Tarn, et Muriel Marland-Militello, élue des Alpes-Maritimes, ont également manifesté leur opposition au projet de loi considéré comme « une ligne Maginot numérique ». Décidément, ce projet de loi a brisé un certain nombre de clivages politiques traditionnels.
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