« Pour satisfaire certains intérêts économiques du domaine de la culture, on vient de créer une insécurité juridique durable pour l’ensemble de l’innovation logicielle dans notre pays. » Le député PS Christian Paul cachait mal son amertume après l’adoption, la nuit dernière, de l’amendement 150 (deuxième rectification et sous amendé) dans le cadre des discussions du projet de loi sur le droit d’auteur et droits voisins dans la Société de l’Information (DADVSI).
Ces amendements, surnommés « amendements Vivendi » par ses détracteurs, « visent tous à incriminer – soit sanctionner pénalement – les éditeurs de logiciels de peer to peer qui ont manifestement encouragé les consommateurs à commettre des actes illicites en procédant à des téléchargements », selon le rapporteur Christian Vanneste (UMP) qui en présentait l’objet.
Les sous-amendements 324 et 376, qui visaient à préciser les termes de la loi afin « d’éviter d’inscrire dans la loi l’éradication des logiciels P2P » comme l’a exprimé Christian Paul, ont été rejetés. Un vote que Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture et de la Communication, a justifié par l’abandon des poursuites pénales (mais pas les sanctions financières) vis-à-vis des internautes et les exceptions appliquées aux logiciels destinés à la recherche retenues par les sous-amendements 398, 399, 363 et 364. « Il est légitime de ne pas viser les seuls internautes dans le cadre des actions visant à faire régresser les actes de contrefaçon numérique », a expliqué le ministre, « le texte vise les logiciels destinés au piratage, et non ceux destinés à la recherche ou aux formes de travail en partage. Il ne vise pas non plus les logiciels de peer to peer en tant que tels. »
Jusqu’à trois ans de prison en cas d’infraction
Un point de vue que ne partagent pas nombre d’acteurs de la société qui estiment que le gouvernement confond outils et usages. A commencer par la Ligue Odebi qui s’est dite « attérée par la décision des députés ». Le collectif alternatif d’usagers du Net rappelle que « le P2P est la base même de l’Internet et que tous les logiciels utilisant les protocoles d’échange entre 2 ordinateurs distants peuvent être classés dans cette catégorie ».
Même un acteur high-tech de poids comme Microsoft prévoit notamment d’intégrer un outil de collaboration doté de système d’échange P2P dans Vista, la prochaine version de son système d’exploitation Windows. Microsoft sera-t-il à ce titre considéré comme un contrefacteur et susceptible d’écoper jusqu’à 300 000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement comme le prévoira la loi?
Si le gouvernement a rappelé que les dispositions du texte « ne vise[nt] pas les internautes, mais seulement ceux qui tentent de contourner le droit d’auteur à des fins commerciales » et de « faire glisser le téléchargement illicite vers les plate-formes légales », l’amendement introduit bien une insécurité juridique et économique vis-à-vis des éditeurs de logiciels, libres notamment. Ne serait-ce que par la difficulté à interpréter un texte sur lequel les députés eux-mêmes ont du mal à tomber d’accord.
« On se plaint que la France manque d’industries innovantes et que ses jeunes n’ont pas le goût du risque, mais on vote un amendement qui ne peut qu’inciter tous ceux qui travaillent dans ce secteur à tout arrêter pour ne pas risquer de se retrouver en prison », a conclu la députée Martine Billard (Les Verts).
La copie de DVD sous la coupe du collège des médiateurs
Plus tôt dans la journée du mercredi 15 mars, les députés avaient introduit, par l’amendement 259 rectifié, la possibilité d’interdire totalement la copie de DVD, y compris dans le cadre de la copie privée. Or, l’amendement 258 réaffirme le bénéfice de l’exception pour copie privée. Une contradiction qui n’a apparemment pas embarrassé Christian Vanneste, rapporteur des deux amendements précités.
Il s’est justifié en s’appuyant sur une récente décision de la Cour de cassation qui a donné tort à un consommateur protestant de ne pouvoir copier à des fins personnelles le DVD de Mulholland Drive de David Lynch (voir édition du 28 février 2006).
Le rapporteur se décharge de cette ambiguïté en « confiant le soin au collège des médiateurs de fixer les modalités d’exercice de la copie privée ». Même si ce collège de médiateurs n’a pas encore été constitué, il permet déjà au gouvernement d’éluder des sujets embarrassants du texte de loi.
Les débats à l’Assemblée nationale se poursuivent aujourd’hui, jeudi 16 mars. Le vote solennel est prévu le 21 mars. Le projet de loi DADVSI passera ensuite dans les mains des sénateurs.
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