Deutsche Telekom bouscule l’Internet français
Depuis sa rupture consommée avec France Télécom, l’opérateur allemand a les mains libres pour investir massivement dans l’Hexagone. En rachetant Club-Internet, il entre dans le trio de tête de l’Internet français.
Décidément, le pacte de non-agression qui a obligé France Télécom et Deutsche Telekom à ne pas empiéter sur leurs territoires respectifs n’est plus qu’un vieux souvenir. L’opérateur allemand a en effet annoncé le rachat par échange d’actions, pour un montant non révélé, de Club-Internet, troisième fournisseur d’accès Internet (FAI) français détenu par le groupe Lagardère.
Cette opération permet à Deutsche Telekom, qui revendique près de 4,5 millions de clients pour ses services en ligne en Europe (principalement avec le fournisseur T-online), de s’ancrer sérieusement dans l’Hexagone. Rappelons qu’un tel geste n’aurait pas été possible si les relations avec France Télécom n’avaient pas tourné au vinaigre, depuis l’affaire de la fusion ratée avec Telecom Italia (voir édition du 19 juillet 1999). La dispute a été suivie de plusieurs opérations marquantes dans le monde des télécommunications, avec notamment le rachat du français Siris, titulaire du préfixe de numérotation « 2 » (voir édition du 18 novembre 1999). De son côté, France Télécom a récupéré en janvier 2000 toutes les parts de l’ancienne société commune Global One, histoire de renforcer sa présence auprès des entreprises dans 65 pays du globe.
Pourquoi racheter Club-internet ? Acquise à hauteur de 99,9 % par le groupe allemand, la filiale de Lagardère apporte une clientèle conséquente. Le fournisseur d’accès revendique 320 000 abonnés, derrière AOL-Compuserve (500 000 abonnés) largement distancé par Wanadoo (1,2 million d’abonnés). En réalité, Club-Internet semble être le plus important FAI aujourd’hui disponible permettant de prendre pied sur le marché français de façon cohérente pour le géant allemand. « Lagardère trouve un moyen malin de sortir du marché », tranche pour sa part Stéphane Treppoz, directeur général d’AOL. « Il gagne une participation dans une société bientôt cotée en Bourse (T-Online, à hauteur de 6,5 %, ndlr) tandis que Club-Internet perd des parts de marché ». Selon lui, le fournisseur d’accès – qui a beaucoup misé sur sa politique de prix – s’est retrouvé coincé entre l’essor du gratuit, qui possède un réseau de distribution fort avec Liberty Surf, et la force de frappe commerciale de Wanadoo. On se souvient d’ailleurs que Club-Internet a déposé une plainte auprès du Conseil de la concurrence pour l’alerter sur la manière dont les agences de France Télécom font la promotion exclusive du service Wanadoo (voir édition du 19 novembre 1999). On remarquera au passage qu’AOL subit lui aussi les conditions qu’il décrit.
Du côté de France Télécom, on affiche une certaine confiance face à l’arrivée du groupe allemand. « Cela renforce une concurrence positive et saine. Deutsche Telekom est un opérateur historique qui apportera une stratégie commerciale différente », souligne un porte-parole. Autrement dit, le groupe français considère que Club-Internet s’est montré franchement agaçant en pratiquant systématiquement la guerre des prix. Sans compter les critiques incessantes pour prouver un abus de position dominante de l’opérateur. Reste à savoir si Deutsche Telekom acceptera de jouer le rôle de gentleman…
Quant aux utilisateurs, il est encore tôt pour savoir quelles changements interviendront dans les services Club-Internet. Le groupe Lagardère reste l’éditeur du portail, il ne faut donc pas s’attendre à une révolution pour ses contenus. En revanche, la culture d’opérateur télécoms pourrait, pourquoi pas, faire avancer les choses dans le domaine de la tarification des communications.
En effet, depuis l’arrivée de l’Internet sans abonnement, ce sont désormais les communications téléphoniques qui coûtent le plus cher. Les fournisseurs payants ont donc orienté depuis quelques mois leurs services sur la facture du téléphone. Résultat, l’idée d’un forfait local illimité, comme aux Etats-Unis, fait son chemin. Ainsi, AOL a lancé cette semaine l’expérimentation d’un service de connexion illimité pour 295 francs TTC par mois. Limité à quelques rares élus, il pourrait peut-être déboucher sur un service commercial, même si rien n’est encore fait. « Nous réalisons une quinzaine de tests par mois », souligne Stéphane Treppoz pour relativiser la portée de l’expérimentation. « L’accès illimité a été testé il y a huit mois en Angleterre, mais au final nous n’avons rien lancé ». Quoi qu’il en soit, il apparaît que Deutsche Telekom s’appuiera en partie sur Siris pour transporter les communications de son nouveau fournisseur.
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