Le fait qu’une image soit accessible librement et sans restriction sur un site internet ne dispense pas d’autres sites qui voudraient la réutiliser d’en demander la permission au titulaire du droit d’auteur.
C’est, en substance, le sens d’un arrêt rendu ce 7 août 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne.
Le plus haut organe de l’appareil judiciaire européen avait à répondre d’une demande de décision préjudicielle introduite par la Cour fédérale de justice allemande.
Cette dernière est saisie d’un litige entre le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et le dénommé Dirk Reckhoff, photographe.
L’intéressé fait valoir ses droits sur une photo de la ville de Cordoue (Espagne) réalisée par ses soins et librement disponible sur Schwarzaufweiss.de, site internet dédié à la thématique du voyage.
Une élève allemande s’en était servie pour illustrer un exposé dans le cadre d’un atelier de linguistique. Elle l’avait pour cela téléchargée, copiée sur un serveur, puis publiée sur le site internet de son école – située dans la ville de Waltrop, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie – le 25 mars 2009, en mettant un lien vers Schwarzaufweiss.de.
Manuel Campos Sánchez-Bordona, avocat général de la CJUE, avait mis en doute le mérite même de M. Reckhoff à revendiquer un droit d’auteur au vu du caractère « générique » de l’image en question (un plan large sur Cordoue avec le Pont romain au premier plan).
Soulignant par ailleurs l’audience limitée d’un tel projet scolaire et l’absence de mention du photographe sur Schwarzaufweiss.de, il avait recommandé que raison soit donnée à l’élève. À la suite de quoi plusieurs associations d’artistes étaient montées au créneau.
La CJUE n’a pas suivi son avocat général. Son raisonnement s’est fondé sur la notion de « communication au public ».
Celle-ci est mentionnée à l’article 3 de la directive européenne du 22 mai 2001 relative à l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Elle ne fait cependant pas l’objet d’une définition précise.
Le premier enjeu était de déterminer si son champ couvre le cas présent. C’est-à-dire la mise en ligne, sur un site internet, d’une photo préalablement publiée sur un autre site avec l’autorisation du titulaire du droit d’autre et sans mesure de restriction empêchant son téléchargement.
Au sens notamment de la jurisprudence constante, une « communication au public » a lieu lorsque la communication d’une œuvre protégée est effectuée selon un mode technique différent de ceux jusqu’alors utilisés. Ou, à défaut, effectuée auprès d’un « public nouveau » n’ayant pas été pris en compte par le titulaire du droit d’auteur.
Le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie estime qu’il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre la mise en ligne d’une œuvre sur un site et sa communication sur un autre site par l’insertion d’un hyperlien renvoyant vers le site d’origine.
A contrario, M. Reckhoff – tout comme le gouvernement français – considère être dans un cas de « nouvelle communication au public », du fait de la remise en ligne de l’image, stockée sur un autre serveur.
Le tribunal régional supérieur de Hambourg, sollicité en deuxième instance, avait suivi ce même raisonnement. Il avait jugé que l’argument de l’accessibilité à tous sans restriction n’était pas pertinente, la mise à disposition du public sur le site de l’école ayant entraîné un « découplage » avec la publication initiale sur le site de voyage.
Pour la CJUE, ne pas juger, dans ce cas de figure, d’une communication à un public nouveau empêcherait ou tout du moins compliquerait l’exercice du droit d’auteur. Aussi bien pour exiger une « rémunération appropriée » que pour demander le retrait de l’image incriminée.
La juridiction suprême reconnaît avoir rendu des décisions d’une autre teneur dans plusieurs affaires. Elle avait tout particulièrement, en 2014, écarté la notion de « public nouveau » pour un cas de communication d’une œuvre protégée au moyen d’un lien cliquable.
Mais cette approche n’est pas applicable au présent litige, affirme-t-elle : si les hyperliens participent du bon fonctionnement d’Internet, la procédure suivie par l’élève allemande « ne contribue pas, dans la même mesure, à un tel objectif ». Surtout, si faire retirer l’œuvre initiale suffit à rendre le lien inopérant, c’est plus difficile quand ladite œuvre est republiée.
Quant au fait que M. Reckhoff n’ait pas restreint les possibilités d’utilisation de la photo par les internautes, c’est « sans incidence », assure la CJUE. Et de répondre à la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, qui avait mis en avant le droit à l’éducation : les considérations relatives à la notion de « public nouveau » ne dépendent pas de la nature éducative ou non de l’illustration.
Il appartient désormais à la Cour fédérale de justice allemande de statuer sur les dépens.
Crédit photo : katarina_dzurekova via Visualhunt.com / CC BY
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