En imposant à Google de déréférencer, à l’échelle mondiale, des sites Web dans leur entièreté, la justice canadienne menace la liberté d’expression.
C’est le sens d’une décision rendue la semaine passée par un tribunal de San Jose (Californie).
La juridiction de première instance avait été sollicitée en juillet dernier par le moteur de recherche, dans une affaire auparavant remontée jusqu’à la Cour suprême canadienne.
Tout avait commencé en 2011 lorsque la société Equustek, distributrice de matériel informatique, avait porté plainte contre Datalink.
Elle accusait ce concurrent de s’être rapproché d’un de ses anciens ingénieurs pour récupérer des secrets industriels… et les intégrer dans ses propres produits.
Equustek avait demandé que les produits en question ne soient plus accessibles aux internautes.
Face aux injonctions des tribunaux canadiens, Datalink avait quitté le pays. Un mandat d’arrêt avait été émis contre son principal représentant, jamais appréhendé.
Equustek s’était alors tourné vers Google en lui demandant de déréférencer non pas simplement les liens vers les pages sur lesquelles figurait les produits, mais l’ensemble des sites dont ces pages faisaient partie ; ce pour « éviter un jeu du chat et de la souris ».
La firme de Mountain View avait proposé de couper la poire en deux en retirant 345 URL, sans pour autant bloquer des sites entiers contenant des éléments susceptibles d’être « consultés à des fins différentes ».
Sa proposition avait été rejetée par les tribunaux, qui l’avaient par ailleurs forcée, en 2014, à déréférencer sur toutes les extensions de son moteur de recherche (et pas seulement Google.ca).
Google s’était exécuté, tout en se pourvoyant auprès de la cour d’appel de Colombie-Britannique. Laquelle avait confirmé la décision de première instance. La Cour suprême du Canada avait fait de même en juin dernier.
Le groupe Internet s’était alors tourné vers les tribunaux de Californie, afin que le jugement soit rendu inapplicable sur le sol américain.
Il est parvenu à prévaloir au nom de la section 230 du Communications Decency Act.
Voté en 1996 dans un contexte de développement d’Internet, le texte dédouane les fournisseurs de « services informatiques interactifs » de toute responsabilité qui pourrait découler de contenu créé par des tiers.
Expliquant que Google entre bien dans la définition du fournisseur de « service informatique interactif », le tribunal de San Jose s’appuie notamment sur une jurisprudence (Barnes v. Yahoo!) selon laquelle un intermédiaire auquel il est demandé de retirer un contenu tiers doit être considéré comme un éditeur.
Il considère plus globalement que le fait de bloquer des sites entiers contrevient au principe du droit à l’information inscrit dans la Constitution des États-Unis. Et qu’en outre, une juridiction n’a pas vocation à prononcer une décision susceptible d’affecter les droits de citoyens d’autres pays.
L’Electronic Frontier Foundation avait fait valoir ce dernier point auprès de la Cour suprême du Canada, craignant qu’un tel jugement « donne des idées » à des pays où la liberté d’expression « est moins protégée ».
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