Frontière ténue entre protection de la vie privée et droit à l’information du public, émergence du « journalisme citoyen » qui bouleverse et complexifie la notion de sources « de confiance » : Google est confronté à de nombreuses contraintes dans l’application de l’arrêt européen esquissant une piste de « droit à l’oubli » sur les moteurs de recherche.
Cette décision avait été prononcée le 13 mai 2014, en plein débat sur la révision de la directive de 1995 relative à la protection des données personnelles. Sollicitée dans le cadre d’un contentieux opposant Google à un citoyen espagnol, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait considéré que tout exploitant d’un moteur de recherche était « responsable du traitement des informations qu’il collecte et qui apparaissent sur des pages Web publiées par des tiers ».
Depuis lors, il est imposé à Google, Yahoo et consorts (Microsoft avec Bing, mais aussi de jeunes entreprises comme Qwant en France) de traiter toutes les demandes « suffisamment détaillées » émanant d’individus ou de personnes morales souhaitant obtenir le déréférencement de contenus qu’ils jugent « inexacts ou faux », « incomplets ou inadéquats », « excessifs ou inappropriés » ou encore « obsolètes ou plus pertinents ».
Premier concerné par cet arrêt qui fait aujourd’hui jurisprudence, Google privilégie la conciliation avec les autorités européennes… sans pour autant suivre à la lettre toutes les recommandations édictées. L’un des points de désaccord porte sur le périmètre d’application de ce « droit à l’oubli ».
Dans l’état actuel, le déréférencement n’est effectif que sur les versions européennes de Google Search : les contenus restent accessibles sur le domaine google.com. Une position contraire à celles des autorités de régulation. Réunies en novembre dernier sous l’égide du collectif Article 29, la CNIL française et ses homologues dans l’Europe des 28 avaient appelé à une extension de la portée du « droit à l’oubli » pour englober google.com, « seule façon de garantir véritablement le droit à la vie privée ».
Mais Google ne l’entend pas de cette oreille. Son président Eric Schmidt s’est exprimé à plusieurs reprises sur le sujet. Et il garde sa ligne de défense : la décision ne concernant que les utilisateurs européens, elle doit s’appliquer uniquement aux versions locales du moteur de recherche (google.fr pour la France, google.co.uk pour le Royaume-Uni…). A fortiori si l’on considère que le domaine google.com concentre « à peine 5 % des requêtes » sur le Vieux Continent, selon Eric Schmidt.
Google devrait bientôt clarifier sa position sur ce dossier. C’est tout du moins ce qu’a laissé entendre son directeur juridique David Drummond lors d’une conférence organisée ce lundi à Bruxelles. La firme compte « réviser son dispositif d’application du droit à l’oubli » en fonction des conclusions que rendront les « experts indépendants » mandatés à cet effet. Le rapport est attendu pour fin janvier.
Huit mois après l’arrêt CJUE, Google a reçu plus de 200 000 demandes de retrait portant sur 733 000 adresses URL. Le groupe Internet n’a accédé qu’à une petite partie de ces requêtes : 238 000 URL concernées, à en croire son dernier Transparency Report. L’arbitrage est parfois si délicat qu’un comité consultatif a été mis en place pour traiter les dossiers au cas par cas. On y retrouve notamment Jimmy Wales (fondateur de Wikimedia), José-Luis Piñar (ancien directeur de la CNIL espagnole) et Sylvie Kauffmann (directrice de la publication du journal français Le Monde).
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