Dans une ordonnance de référé du 23 mars 2015, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté la demande de suppression et de désindexation d’un article publié sur le site Internet du quotidien 20 Minutes.
Legalis.net s’est penché sur cette affaire qui va intéresser tous les sites médias.
Le contenu en question était apparu en ligne le 7 avril 2011. Intitulé « Un cavalier accusé de viol », il relatait le placement en garde à vue de Régis Prud’hon (que nous appellerons R. P.), 35 ans, sportif de niveau international et soupçonné d’être impliqué dans le viol d’une stagiaire avec un autre homme lui aussi placé en garde à vue.
L’article précisait que l’intéressé « était déjà défavorablement connu de la justice et de la police pour viol, escroquerie, usage de stupéfiants et violence conjugale« .
En 2014, R.P. avait constaté que l’information était toujours accessible via les moteurs de recherche lors d’une requête sur son nom, alors qu’il avait obtenu une décision de non-lieu rendue le 13 juin 2014 par la Chambre de l’instruction de Versailles.
Il avait sollicité, auprès du directeur de la publication de 20 Minutes, l’insertion d’un droit de réponse, par recommandé du 10 novembre 2014, expliquant tenir à ce que « la vérité soit pleinement rétablie ».
Le droit de réponse avait été publié le 1er décembre 2014, sous la forme d’une mise à jour de l’article original. Se disant insatisfait, R.P. avait fait assigner 20 Minutes par acte du 19 février 2015, sur le fondement de l’article 9 du code civil (« Chacun a droit au respect de sa vie privée »).
Il invoquait plusieurs autres textes de loi, dont l’article 8 de la Convention européenne de la sauvegarde des droits de l’homme, selon lequel « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
R.P. souhaitait voir condamner l’éditeur à supprimer l’article (subsidiairement à procéder à son anonymisation), à le désindexer de son moteur de recherche et à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice.
Le plaignant expliquait être en droit de s’opposer à l’utilisation des données personnelles permettant de l’identifier (nom, âge, profession) en application de l’article 38 alinéa 1 de la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978.
Il estimait aussi qu’il convenait d’appliquer le principe du droit à l’oubli : s’agissant d’une mise en examen de 2010 et l’affaire s’étant conclue sur un non-lieu, les informations n’auraient « plus d’intérêt pour le public ».
Le cavalier argüait enfin que son préjudice professionnel et économique – rupture de plusieurs contrats de sponsoring et impossibilité d’en conclure de nouveaux – justifiaient l’allocation d’une provision.
20 Minutes invoquait pour sa part la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’éditeur considérait par ailleurs la suppression, l’anonymisation ou la désindexation comme des restrictions à la liberté des la presse telle que définie par la loi du 29 juillet 1881 et prétendait qu’elles ne pouvaient être justifiées par l’exercice du droit d’opposition de la personne concernée pour les articles en cause.
Autre argument avancé : la diffusion d’information relatives aux procédures judiciaires répond à un intérêt légitime du public, « alors surtout que M. P. est une personne dont le métier suppose une certaine médiatisation ».
20 Minutes avait précisé que l’article en question ne divulguait aucune information sur la vie privée de M. P. au moment de la publication ; et que la désindexation de son moteur de recherche ne pouvait être imposé en raison du rôle joué par M. P. dans la vie publique, « cette réserve étant prévue par la CJUE [Cour de justice de l’Union européenne, ndlr] dans son arrêt du 13 mai 2014 [sur le droit à l’oubli à l’ère numérique] ».
Le tribunal de grande instance de Paris a interprété l’ensemble des dispositions avancées par les deux parties au regard de la directive européenne du 24 octobre 1995 sur la protection des données personnelles. Notamment l’article 14, qui établit le droit des personnes à s’opposer à ce que des données les concernant fassent l’objet d’un traitement.
Il a néanmoins fallu concilier ces droits fondamentaux à la vie privée avec la liberté d’expression et d’information énoncés à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales… étant rappelé que les limites à la liberté de la presse sont fixées par la loi du 29 juillet 1881 modifiée.
Le TGI en a conclu que le traitement des données en question avait été réalisé à la seule fin de compléter l’information parue en 2011, en précisant que la procédure engagée s’était terminée par une décision de non-lieu. Une information qui répond à un intérêt légitime « tant en ce [qu’elle] portait sur le fonctionnement de la justice et le traitement des affaires d’atteintes graves aux personnes qu’en ce qu’elle visait une personne exerçant une profession faisant appel au public et encadrant une activité proposée notamment à des enfants ».
Aucun abus n’ayant été constaté à la liberté de la presse telle que réglementée par la loi du 29 juillet 1881, les demandes de suppression et de désindexation de l’article sont jugées non fondées. Concernant l’anonymisation, « si l’article en cause ne comportait pas le nom de l’intéressé, il ne pourrait répondre à l’objectif d’information qui le justifie, et l’actualisation de l’information initiale donnée en 2011 ne serait pas efficacement réalisée, ainsi que le souhaitait l’intéressé lui-même. »
Jugeant par ailleurs qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la SAS 20 Minutes France la totalité des frais non compris dans les dépens qu’elle a dû exposer pour présenter sa défense, R. P. est condamné à lui verser 1200 euros.
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