Frontière ténue entre protection de la vie privée et droit à l’information du public, manque de contextualisation des demandes de retrait de liens : Google cerne plusieurs points sensibles dans la mise en oeuvre du « droit à l’oubli » institué par la Cour de justice de l’Union européenne.
Le 13 mai 2014, l’institution basée à Luxembourg ouvrait une boîte de Pandore en considérant tout exploitant d’un moteur de recherche « responsable du traitement des données personnelles qu’il collecte et qui apparaissent sur des pages Web publiées par des tiers ». En vertu de cet arrêt qui fait aujourd’hui office de jurisprudence, les individus et personnes morales peuvent obtenir, sous certaines conditions, la désindexation de résultats de requêtes pointant vers des contenus les concernant et qu’ils jugent « inexacts ou faux », « incomplets ou inadéquats », « excessifs ou inappropriés » ou encore « obsolètes ou plus pertinents ».
Le 29 mai, soit seize jours après la décision de la CJUE, Google mettait en place un formulaire destiné aux citoyens européens souhaitant obtenir le déréférencement de liens apparaissant lors d’une recherche sur leur nom. Depuis lors, les sollicitations affluent : au 18 juillet, le groupe Internet a reçu « plus de 91 000 demandes » portant sur « 328 000 adresses URL ». Les Français sont les plus demandeurs : 17 500 procédures engagées pour 58 000 liens hypertexte. C’est plus qu’en Allemagne (16 500 demandes sur 57 000 URL) et au Royaume-Uni (12 000 requêtes sur 44 000 adresses). La suppression est effective dans 53% des cas ; près d’un tiers (32%) ont néanmoins été refusées. Le reste (15%) a nécessité la communication d’informations supplémentaires.
Pour éviter les ennuis juridiques, Google traite les demandes au cas par cas avec l’appui d’un comité consultatif composé notamment de Jimmy Wales (fondateur de Wikimedia), José-Luis Piñar (ancien directeur de la CNIL espagnole) et Sylvie Kauffmann (directrice de la publication du journal français Le Monde).
Malgré les précautions prises en matière de vérification d’identité et de conformité vis-à-vis des législations nationales, l’arbitrage reste difficile dans de nombreux cas. Tel est, en substance, le propos qu’a tenu Google la semaine passée dans le cadre de la réunion organisée entre les trois principaux exploitants américains de moteurs de recherche et les autorités européennes de protection des données (G29).
L’implémentation du dispositif est contrariée, entre autres, par l’émergence du « journalisme citoyen », qui bouleverse – et complexifie – la notion de sources « de confiance », laquelle entre en ligne de compte dans l’examen des demandes de suppression de liens. De même, il est possible qu’un résultat retiré pour une recherche sur un nom donné apparaisse lors d’une recherche sur un autre terme. L’identité du demandeur peut aussi compliquer la donne, par exemple s’il s’agit d’une personnalité publique ou si elle est l’homonyme d’un autre individu.
Le déréférencement ne s’applique par ailleurs qu’aux versions européennes de Google Search : les contenus faisant l’objet d’une désindexation restent accessibles sur google.com (environ 5% des recherches Google en Europe). C’est sans compter les nombreux sites qui déplorent la disparition soudaine de leurs articles dans les résultats de recherche : plus d’une vingtaine ont déjà porté plainte au Royaume-Uni. Sur ce dernier point, l’information fournie aux éditeurs par e-mail ou via Webmaster Tools reste sommaire : seules sont mentionnées les URL retirées dans le moteur – ou dans son cache si le contenu de la page a changé.
Google évoque aussi un « manque de contextualisation » des demandes, parfois basées sur de fausses assertions ou sur des omissions volontaires, comme dans le cas d’une personne ayant commis des crimes dans sa jeunesse… et oubliant de préciser qu’elle a été récemment condamnée pour des faits similaires.
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