« Comment taxer une clé USB ayant parcouru 450 kilomètres ? »
La sénatrice Nathalie Goulet (Union centriste, Orne) a posé cette question la semaine passée lors de l’examen, en première lecture, de la proposition de loi portant « Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs ».
Elle n’a pas été la seule à mettre en doute l’article 27, finalement adopté dans sa rédaction issue d’un amendement auquel le gouvernement avait donné un avis défavorable.
Ledit article modifie le Code général des impôts pour y insérer une « taxe sur les livraisons liées au commerce électronique ».
Le montant exigible des e-commerçants serait calculé selon deux critères. D’une part, le prix du bien commandé. De l’autre, « le nombre de kilomètres parcourus par le bien entre son dernier lieu de stockage et l’adresse de livraison finale à l’acheteur » (toute personne physique ou morale non assujettie à la TVA).
Le taux de taxation s’élèverait à 1 % pour les livraisons de moins de 50 km ; à 1,5 % pour celles entre 50 et 80 km ; à 2 % au-delà, avec un minimum forfaitaire d’un euro par livraison. Si le dernier lieu de stockage devait être situé à l’étranger, la distance prise en compte le serait à partir du point d’entrée en France.
Des exonérations sont prévues. Notamment pour les livraisons réalisées par les moyens de transports « non consommateurs d’énergie fossile ». Le groupe de sénateurs LR qui porte l’amendement en fait l’une des motivations principales.
Rémy Pointereau (Cher), auteur de la proposition évoque un « mécanisme de fiscalité écologique ». Il y voit l’occasion de « réduire [des] externalités négatives […] liées au commerce électronique » : pollution, suremballage, circulation anarchique…
Seraient aussi exonérées les entreprises dont l’activité principale est la vente de livres et qui disposent de points de vente physique. Objectif affiché : « encourager les grands acteurs du e-commerce à implanter davantage d’entrepôts » localisés « au plus près des bassins de consommation ». Et réduire là aussi les « externalités négatives », en créant au passage « de la base pour la fiscalité foncière des collectivités ».
L’exonération s’appliquerait également aux producteurs travaillant dans le cadre d’un circuit organisé, ainsi qu’aux entreprises commerciales ou artisanales dont le C.A. annuel n’excède pas 50 millions d’euros.
Rapporteur pour la commission des finances, Arnaud Bazin (LR, Val-d’Oise) avait dénoncé ce dernier point en donnant l’exemple d’Amazon, qui opère à la fois comme vendeur et comme plate-forme de commerce. La taxe ne s’appliquerait pas à la seconde activité dès lors que le vendeur ne dépasserait pas le seuil susmentionné.
Les sénateurs opposés à cette « taxe au kilomètre » critiquent plus globalement un dispositif « inapplicable », que ce soit en raison de problèmes de recouvrement pour les sites étrangers ou un déséquilibre entre les sociétés détentrices d’entrepôts et celles recourant au fret postal.
Arnaud Bazin s’inquiétait en outre de « difficultés techniques », entre autres sur l’identification du dernier lieu de stockage. Les porteurs de l’amendement se sont montrés plus optimistes : « Les géants du e-commerce disposent […] de toutes les données leur permettant de suivre les livraisons très précisément » et « font déjà l’essentiel du travail de logisticien ».
Dans ce contexte, la commission des finances avait préféré réintroduire une disposition d’un amendement que le Sénat avait adopté l’an dernier dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018. En l’occurrence, une taxation des locaux destinés à l’entreposage des produits vendus par voie numérique.
Ayant noté, lors de la discussion générale, que l’amendement tenait en partie compte de ses recommandations, elle s’en est remise à la sagesse de l’assemblée. Non sans émettre des craintes sur la capacité de l’administration fiscale à récupérer, auprès de redevables étrangers, des informations concernant les distances parcourues pour les livraisons des biens.
Par la voie de sa présidente Sophie Primas, la commission des affaires économiques lui a fait écho : « Je ne voudrais pas que l’on en arrive à taxer des entreprises françaises qui font de la livraison internet sans pouvoir taxer les entreprises installées de l’autre côté de la frontière ».
Rapporteur général, Albéric de Montgolfier (LR, Eure-et-Loir) s’est pour sa part inquiété d’un risque d’inégalités entre les communes rurales et les zones urbaines. « Si les entrepôts sont éloignés, le consommateur risque de payer très cher sa livraison même pour un objet de faible valeur », a-t-il déclaré. Du côté des porteurs de l’amendement, on assure que le dernier entrepôt de la chaîne n’est jamais situé bien loin de l’acheteur.
Dans ce contexte, Nathalie Goulet a proposé d’effectuer une expérimentation avec Amazon et consorts pour « voir ce que cela donne, à quel endroit de la chaîne on peut taxer […] et comment on peut récupérer le produit de cette taxe ».
En dépit de certains appels à « se laisser le temps » (Christine Lavarde, LR, Hauts-de-Seine), les sénateurs se sont accordés sur la nécessité d’un « acte politique » pour « lancer la réflexion au niveau européen ».
Le gouvernement attend quant à lui les conclusions du rapport commandé à l’Inspection générale des finances. Il privilégie un report du débat à l’examen du projet de loi de finances sur la fiscalisation du commerce électronique.
Crédit photo : illustir via VisualHunt.com / CC BY
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