Pour bon nombre d’analystes, le rachat du spécialiste IP Packet Engine par Alcatel est un signe avant-coureur des acquisitions qu’auront à mener les principaux fournisseurs européens d’équipements de télécommunications s’ils veulent résister à leurs homologues américains. Pour Michael Howard, du cabinet d’études Infonetics, Alcatel a eu la meilleure vitesse de réaction en Europe et « si Siemens et Ericsson n’entrent pas dans le jeu des acquisitions, ils se retrouveront loin derrière. » Pourtant, le géant français avait déjà quelques mois de retard sur ses grands rivaux américains en ce qui concerne l’acquisition de la technologie Gigabit Ethernet. Cisco, Nortel, Lucent et Cabletron ont respectivement acheté Granit Systems, Rapid City, Prominent et Yago -seul 3Com développe ses propres solutions.
Comme par hasard, le jour même où Alcatel a annoncé le rachat de Packet Engine, le PDG d’Ericsson, Sven-Christer Nilsson, a expliqué qu’il changeait résolument d’orientation et se lançait dans une politique d’acquisitions de sociétés de pointes. Selon Nilsson, cette stratégie est dictée par la convergence des télécommunications et du marché des données qui entraîne une explosion de la demande pour la technologie IP. Pour répondre à cette demande, Ericsson a réorganisé ses activités autour de trois segments de clients : les fournisseurs de services et les opérateurs, les entreprises et les clients finaux. Le vice président de la société, Lennart Grabe, a été nommé directement responsable des opérations de fusion et d’acquisitions de la société. Il a déjà fait racheter Advanced Computer Communication (ACC), une société spécialisée dans les accès à distance et compte intégrer les nouveaux produits à des offres IP qu’Ericsson développera ou achètera. En outre, Ericsson a pris des parts minoritaires dans Mariposa,un fournisseur de solutions d’accès ATM et fait partie du groupe d’actionnaires qui détient 4% de Juniper Networks, une startup spécialisée dans les routeurs WAN (Wide area network).
Troisième équipementier réseau d’importance en Europe, le géant allemand Siemens a été totalement absent de la scène des acquisitions. Au début d’octobre, il s’est réorganisé aux Etats-Unis afin de « rencontrer les besoins des clients des fournisseurs de services réseaux publics et privés. » Cela s’est traduit par la création de deux divisions qui vendent des solutions IP : l’une vend aux opérateurs, l’autre aux sociétés. En fait, Siemens s’est bien rendu compte qui fallait accéder aux nouvelles technologies mais plutôt que de se lancer immédiatement dans des rachats, il a constitué un fonds de capital venture. Siemens a créé Mustang, un fonds d’investissement pour les prochaines années doté de 300 millions de dollars (1,8 milliard de francs). L’argent servira à acheter des technologies comme les réseaux de données sur IP ou les réseaux sans fil à large bande passante. Aucune dépense n’a été réalisée pour l’instant sur ce fonds mais un porte-parole indique que la société recherche activement des partenariats ou des rachats. Depuis le début de l’année, Siemens s’est contenté d’une prise de participations dans Juniper (avec Ericsson, Lucent, 3Com et d’autres). Il a aussi pris une minorité des parts dans Com21, une entreprise spécialisée dans les modems câble et dans Floware, une société israélienne qui développe des solutions large bande pour des accès réseaux sans fil.
Pour Michael Howard, d’Infonetics, les grosses sociétés n’ont pas d’autre choix que de continuer à racheter des petites sociétés car « une grosse société ne peut pas innover ou se spécialiser aussi vite qu’une petite. » Cela laisse le trio européen loin derrière ses concurrents américains. Chaque mois, Cisco et Nortel rachètent ou investissent une somme importante dans au moins une société. John Roth, le directeur de Nortel explique que ces investissements sont suffisamment importants pour acquérir facilement l’ensemble d’une société convoitée. Quant à Lucent, il a fait environ 12 acquisitions en deux ans.
Une seule chose distingue finalement le rachat de Packet Engines par Alcatel des acquisitions des géants américains. La société rachetée a pu garder son autonomie et son nom. Pour David Passmore, un analyste de la socité Net Reference, c’est une très bonne chose : « Si les sociétés sont avalées trop vite, cela peut facilement étouffer l’innovation. Il semble qu’Alcatel veuille maintenir l’esprit d’entreprendre et d’innover. C’est peut-être ce qui pourra faire la différence ».
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