Au nom de la diversification et du dynamisme de l’écosystème Internet, l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) lançait, voici six ans, un programme mondial d’élargissement du système des noms de domaines.
Lors d’une session de son conseil d’administration tenue le 26 juin 2008, l’autorité gestionnaire du nommage sur Internet avait approuvé la résolution visant à permettre la création d’un nombre potentiellement illimité d’extensions génériques (gTLD, pour « generic Top-Level Domains »). Au-delà du .com, du .net, du .info et des 18 autres extensions recensées à l’époque, il s’agissait d’ouvrir les vannes pour satisfaire l’ensemble des communautés : politiques, culturelles, régionales, religieuses…
Entrevoyant un potentiel en termes d’image et de développement économique, la Ville de Paris décide de participer à ce programme. Elle dressait, ce 4 juin dans le cadre prestigieux de la tour Eiffel, un premier bilan sur cette « cyber-aventure ».
Pour répondre aux exigences techniques requises par la gestion d’une extension Internet de premier niveau (et imposées par l’ICANN), elle s’était adjoint, fin 2009, les services du groupement constitué par l’Afnic et CORE. Le premier est gestionnaire du .fr ; le second, du .cat, extension lancée en 2005 dans l’objectif de promouvoir la culture catalane.
A la mi-2011, l’ICANN publiait les informations relatives au processus de candidature, ouvert aux groupements professionnels, aux organisations et aux collectivités publiques. Le 22 mai 2012, Paris dépose son dossier en même temps que 1930 autres prétendants. Le ticket d’entrée est alors fixé à 185 000 dollars* (100 000 pour les frais d’évaluation ; 60 000 pour la mise en place de l’extension ; 25 000 pour le programme de gestion), auxquels s’ajoute un forfait annuel de maintenance (75 000 dollars ou 5% du chiffre d’affaires généré par les ventes de noms de domaines basés sur l’extension enregistrée).
Un an plus tard, l’ICANN donne son feu vert pour l’émergence du .paris. Libre de planifier la commercialisation et la lancement de son extension, la Ville mène une série de tests techniques avant de lancer son programme Ambassadeurs. Destinée à développer la notoriété du .paris et sa compréhension par le grand public avant une ouverture générale, cette première phase a débuté en septembre 2013 avec un appel à projets.
En un peu moins de quatre mois (date limite des dépôts fixée au 1er janvier 2014), plus de 300 candidatures ont été reçues dans 10 domaines d’activité : tourisme, gastronomie, services, médias, culture, start-up/innovation, association/institution, art de vivre, éducation et sport. Entretemps, les réunions publiques dédiées ou spécialisées (« noms de domaines », « propriété intellectuelle », « tourisme », « innovation », etc.) se sont multipliées.
Il y a plus exactement eu deux appels à projets. Le premier devait permettre aux candidats de devenir pleinement et entièrement titulaire de leur nom de domaine. Le second permettait de déterminer des ambassadeurs mandats de nommage : le registre et la Ville restent titulaires des noms de domaines, qui sont concédés aux candidats pour 3 à 5 ans en fonction d’une proposition du business model et de redevances proposées.
Parmi les critères retenus par le jury composé « d’hommes politiques de tous bords » figuraient la qualité du projet éditorial, son adéquation avec la vision globale du .paris et son apport économique (en numéraire ou en nature, notamment via des actions de communication). Le 21 février, le contrat de registre du .paris était signée avec l’ICANN et la liste des 100 ambassadeurs retenus à l’issue du processus de sélection, publiée. Don du Sang, Paris Cola, Les Brasseries Parisiennes, Vélib’ : autant d’élus qui bénéficient, depuis ce mercredi 4 juin, d’une activation exclusive de 6 mois. A noter que dans le secteur IT figurent Cap Digital (organisateur de l’événement Futur en Seine), l’Open World Forum ou encore Silicon Sentier.
Directeur général de l’Afnic (Association française pour le nommage Internet en coopération), Mathieu Weill résume : « Le .paris est la première extension au monde à mettre en place un tel programme« . Et d’ajouter : « Les registres comme OVH, Gandi et Nameshield [on en compte 16 agréés en France, ndlr] jouent le jeu avec des campagnes d’information« .
La communication auprès du grand public passera par la réservation d’une grande partie du réseau d’affichage municipal jusqu’au 24 juin. Du 4 au 11 juin, des kakémonos géants seront installés sur la façade de l’Hôtel de ville. Autre levier : les réseaux sociaux, notamment Twitter via les comptes @Paris et @Point_Paris. Quant aux 100 ambassadeurs, ils peuvent obtenir un kit comprenant badges, habillages Web et supports de communication imprimés.
Maire PS de la Ville de Paris, Anne Hidalgo évoque « un atout à l’échelle internationale [qui] va contribuer à l’évolution des modes de fonctionnement de la société [ainsi qu’à] la transition économique et écologique« . Directeur général de la tour Eiffel, Eric Spitz confirme : « Paris est sensible à cette identification, à l’heure où toutes les capitales du monde veulent s’affirmer« . Il est secondé dans son propos par Isabelle Ockrent. La directrice de la communication et de la marque RATP – qui fait partie des ambassadeurs – estime que « Paris écrit une nouvelle page de son histoire numérique« .
Il s’agira, pour les marques, d’utiliser à leur profit les valeurs attachées au territoire parisien. Et pour la Ville, de développer son attractivité internationale en matérialisant son écosystème sur le Web à travers de milliers de sites et services numériques. Mais il est encore difficile, à l’heure actuelle, de prévoir la réaction des internautes. Soit ils s’approprient les nouvelles extensions et leur approche de la navigation évolue ; soit ils se perdent face à la profusion de l’offre et se reportent sur des extensions historiques ; soit la confusion est telle que les noms de domaines sont délaissés en faveur des moteurs de recherche.
Il existe également des enjeux en matière de régulation. Une extension ne peut être mise en place que dans le respect total des textes de droit international, tout particulièrement concernant d’éventuelles incitations à la désobéissance civile ou à la haine… mais aussi sur la question du droit des marques. Parmi les mesures prises à cet égard, l’ouverture de la Trademark Clearinghouse (TMCH), basé de données mondiale conçue pour faciliter la protection intellectuelle sur Internet.
L’ICANN impose également à tous les titulaires d’extensions d’accorder un droit de dépôt prioritaire aux marques, dans le cadre d’une « sunrise period » qui, pour le .paris, débutera au mois de septembre pour une durée de trois mois. Passé ce délai, il sera toujours possible de recourir à des mécanismes d’opposition, évalués sur trois critères principaux : la propriété industrielle ; la moralité et l’ordre public ; la confusion potentielle avec des extensions existantes ou à créer.
Dans l’absolu, une entreprise propriétaire d’une extension peut l’exploiter pour son propre compte (en interne, éventuellement entre ses filiales) sans en faire profiter ses concurrents. Mais il faut que ces conditions d’accès strict soient homologuées. En outre, tout organisme qui obtient une extension doit signer, avec l’ICANN, un contrat de droit californien qui l’engage sur au moins 10 ans. Il doit aussi fournir des garanties financières sur le fonctionnement de son extension pendant une période de 3 ans.
Interrogé quant à ce modèle de gouvernance centré sur un organisme américain, Mathieu Weill se contente d’affirmer que « la position de l’ICANN est souvent critiquée, mais [que] jusqu’à présent, le système a toujours fonctionné« .
* Les frais dus à l’ICANN pour le dépôt du dossier ont été préfinancés par le groupement Afnic-CORE. La seule dépense réalisée par la Ville de Paris s’élève à environ 100 000 euros, pour une prestation d’accompagnement sur le choix des partenaires, entre 2009 et 2011. Après l’ouverture du .paris, les recettes issues de l’achat des noms de domaines seront partagés entre la Ville et ses prestataires (Afnic, CORE). Selon le succès rencontré, la collectivité recevra entre 40% et 85% de ces recettes.
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