Maximilian Schrems peut poursuivre Facebook devant les tribunaux autrichiens, mais pas en faisant valoir les droits d’autres utilisateurs du réseau social.
C’est le sens d’un arrêt rendu ce 25 janvier 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne en réponse à une demande de décision préjudicielle reçue en septembre 2016.
La demande en question avait été introduite par la Cour suprême autrichienne (Oberster Gerichtshof), qui doutait de sa compétence à instruire un litige opposant les parties susmentionnées au regard du règlement européen no44/2001 du 22 décembre 2000.
Le texte dispose, en son article 2, que les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre de l’UE « sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ». Celles qui n’ont pas la nationalité de l’État membre où elles sont domiciliées « y sont soumises aux règles de compétence applicables aux nationaux ».
La section 4 du chapitre II établit la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs.
L’article 15 introduit une distinction importante, n’englobant, pour le consommateur, que les usages pouvant être considérés comme étrangers à son activité professionnelle.
Dans l’affirmative, « lorsque le cocontractant du consommateur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, il est considéré pour les contestations relatives à leur exploitation comme ayant son domicile sur le territoire de cet État ».
L’article 16 prévoit que l’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié.
À l’inverse, l’action intentée contre le consommateur ne peut l’être que dans l’État membre où il est domicilié.
Le règlement no 44/2001 a été abrogé par le règlement no1215/2012, mais uniquement pour les actions judiciaires intentées à compter du 10 janvier 2015. Il s’applique donc dans le dossier opposant la filiale irlandaise de Facebook à Max Schrems.
L’intéressé avait sonné la charge en août 2011 avec le dépôt, devant la CNIL irlandaise (Data Protection Authority), de plusieurs réclamations. Il invoquait des violations de dispositions en matière de protection des droits personnelles, inscrites notamment dans le Datenschutzgesetz (loi autrichienne de 2000), le Data Protection Act (Irlande ; 1998) et la directive européenne 95/46 (qu’abrogera le RGPD).
Devant le tribunal régional des affaires civiles de Vienne (Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien), celui qui était alors étudiant en droit avait demandé, entre autres, que Facebook cesse d’utiliser ses données à des propres fins ou à celles de tiers.
Sa requête était fondée non seulement sur ses propres droits, mais aussi ceux cédés par 7 autres utilisateurs du réseau social localisés en Autriche, en Allemagne et en Inde. Une cession intervenue après une forte médiatisation du « cas Schrems », entre conférences, collecte de dons et publications de livres.
Le tribunal régional des affaires civiles de Vienne avait rejeté la demande au motif que Max Schrems, utilisant aussi Facebook à des fins professionnelles, ne pouvait par invoquer le for du consommateur.
En appel, le tribunal régional supérieur de Vienne (Oberlandesgericht Wien) avait partiellement réformé l’ordonnance de première instance, mais n’avait pas pour autant accepté le recours, estimant que le for du consommateur ne pouvait s’appliquer qu’aux prétentions propres du requérant.
Max Schrems – comme Facebook Irlande, qui avait vu les exceptions de procédure soulevées par ses soins rejetées – s’était pourvu auprès de la Cour suprême autrichienne, qui s’était tournée vers la CJUE avec deux questions.
Premièrement : un « consommateur » perd-il cette qualité lorsque, comme Max Schrems, après avoir utilisé « pendant relativement longtemps » un compte Facebook privé, se fait céder des droits par d’autres consommateurs afin de faire valoir ses propres droits, en contrepartie de l’assurance de leur remettre le montant obtenu au cas où il obtiendrait gain de cause ?
Deuxièmement : l’article 16 du règlement 44/2001 doit-il être interprété dans le sens qu’un consommateur peut faire valoir, devant le tribunal de son lieu de domicile, en même temps que ses droits, ceux d’autres consommateurs lorsque ces droits sont issus de contrats conclus avec la même partie, dans le même contexte juridique, et que l’opération de cession en relève pas d’une activité professionnelle du requérant ?
Sur la première question, la CJUE considère que la notion de « consommateur » doit être interprétée de manière restrictive.
Elle explique, en l’occurrence, qu’il faut se référer à la position de la personne dans un contrat déterminé, en rapport avec la nature et la finalité de celui-ci, et non pas à la situation subjective de cette même personne, car elle peut être considérée, en fonction des opérations, consommateur ou opérateur économique.
Autre remarque : une personne qui conclut un contrat pour un usage se rapportant en partie à son activité professionnelle peut bénéficier des dispositions du règlement 44/2001 à la condition où le lien dudit contrat avec l’activité professionnelle de l’intéressé « serait si ténu qu’il deviendrait marginal ».
Max Schrems a utilisé, entre 2008 et 2010, un compte Facebook qu’il avait ouvert exclusivement à des fins privées. Exploitant aussi une page depuis 2011, il soutient que les deux services sont régis par des contrats distincts. Ce que Facebook nie.
La CJUE ne tranche pas sur ce point (elle en laisse le soin à la juridiction de renvoi), mais souligne qu’il est nécessaire de tenir compte de l’évolution de l’usage des services pour lesquels le contrat a été conclu.
Elle conclut toutefois que malgré l’expertise qu’il aurait pu acquérir dans le domaine duquel relèvent les services de Facebook (comme son engagement aux fins de la représentation des droits et intérêts d’autres usagers) ne lui ôte pas sa qualité de « consommateur ».
Sur la seconde question, la CJUE note que le consommateur n’est protégé qu’en tant qu’il est personnellement demandeur ou défendeur dans une procédure : le demandeur qui n’est pas lui-même partie au contrat de consommation en cause ne saurait bénéficier du for du consommateur.
Ainsi, le fait, pour Max Schrems, d’introduire une action à Vienne, « n’est pas de nature à faire également relever […] de la compétence de ce tribunal » les personnes qui lui ont cédé leurs droits.
Crédit photo : kevinpoh via Visual Hunt / CC BY
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