Fibre en France : la Cour des comptes doute du timing et du financement
Le déploiement de la fibre en France est malmené et mal mené, estime la Cour des comptes dans un rapport.
La France est en retard dans le déploiement du très haut débit. La sentence de la Cour des comptes sur le déploiement de la fibre est tombée. Est-elle pour autant irrévocable ?
Il faut nuancer : si l’objectif intermédiaire de couverture de 50 % du territoire en très haut débit dès 2017 sera atteint, le deuxième volet du plan semble compromis selon la juridiction financière de l’ordre administratif en charge de vérifier le contrôle de légalité des comptes publics.
L’objectif final de couvrir 100 % des logements en très haut débit fixe à horizon 2022 (et à 80 % en fibre optique) paraît hors de portée selon la Cour des comptes.
De son côté, l’ARCEP, qui avait rendu son avis auprès de la Cour des comptes, recense 7 millions de prises éligibles à la fibre à domicile (FTTH en anglais) et 1,9 millions d’abonnés effectifs.
Avec cet avertissement de la Cour des comptes, le Plan France Très Haut Débit porté par le gouvernement demeure-t-il crédible ?
La promotion actuelle de la fibre à travers une campagne de publicité orchestrée par le ministère de l’Economie et des Finances et le parrainage par l’Agence du numérique de la prochaine conférence FTTH Council Europe (qui se déroulera du 14 au 16 février prochain à Marseille) n’y suffiront pas.
On demeure frappé par ce constat : en juin 2015, 45 % des foyers français étaient couverts en très haut débit fixe, contre une moyenne européenne à 71 %, ce qui confère à la France le 26ème rang sur 28. Selon le dernier relevé de l’ARCEP, on recense 7 millions de prises éligibles à la fibre à domicile (FTTH en anglais) et 1,9 millions d’abonnés effectifs.
La Cour des compte pointe aussi d’autres problèmes dans son rapport dense.
Le financement d’abord : l’enveloppe de 20 milliards d’euros d’investissement (public et privé) prédestinée au déploiement du très haut débit est insuffisante. Il faudrait plutôt envisager un coût global de 35 milliards d’euros. Il manque une perspective dans le cofinancement privé pour la construction des réseaux d’initiative publique.
Des doutes sont ensuite émis sur l’échéance 2022 fixée par les pouvoirs publics pour une couverture globale de la population en THD. « La période d’équipement sera plus longue », estime la Cour des Comptes. On évoque déjà un déploiement intégral repoussé à…2030.
Dans son rapport, la Cour des comptes soulignent « un environnement technologique et juridique complexe » pour le déploiement du très haut débit en France. Elle remet en cause le fait de donner la priorité au déploiement de réseaux en fibre optique jusqu’à l’abonné (FTTH).
« D’autres solutions existent qui permettraient d’apporter du haut voire du très haut débit à des conditions de qualité satisfaisantes », estime-t-elle.
Autre talon d’Achille pointé du doigt : une rationalisation nécessaire pour un pilotage efficace du déploiement. Entre la supervision de l’Agence du Numérique, les réseaux d’initiative publique (RIP) et le déploiement des opérateurs (avec Orange à la pointe des investissements FTTH), il faut développer la concertation entre les acteurs et développer l’interopérabilité des systèmes d’information.
« Les juridictions financières constatent que le pilotage du programme au niveau national présente des déficiences et qu’il existe des lacunes manifestes dans l’organisation de la construction et de l’exploitation des infrastructures de réseaux », précise la Cour des Comptes.
« Les procédures d’attribution des subventions de l’État sont lourdes et complexes, alors même que les équipes des administrations centrales sont éparpillées et faiblement dotées. »
Dans son rapport, la Cour des Comptes émet 11 recommandations pour redresser la barre à destination de l’État, de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et des collectivités territoriales.
Au-delà des connexions THD pour l’ensemble des Français, elle pense aussi aux entreprises réparties sur le territoire national afin que « l’accès à des offres plus compétitives revues dans leur contenu et leur tarification » soit favorisé.
Le cabinet d’Axelle Lemaire : profil bas
En guise de réaction à la publication de ce rapport, Patrick Chaize, Président de l’Avicca*, se méfie du « déclinisme ». « La proposition en tête du rapport consiste à moins recourir à la fibre jusqu’à l’abonné, qui est pourtant la seule infrastructure pérenne pour plusieurs dizaines d’années, en recourant davantage à des solutions moins ambitieuses.
Dans le même temps, l’Europe révise son objectif intermédiaire de montée en débit en sens contraire pour une couverture complète en 2025 permettant le Gigabit ». Tout en admettant : « Beaucoup de travail reste à accomplir pour que les déploiements et la commercialisation se passent au mieux. »
La réaction du cabinet d’Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au numérique et à l’innovation, est assez surprenante. Les conclusions de la Cour des comptes sont contestées, selon Le Monde.
Le gouvernement se contente d’appuyer sur la volonté d’offrir un accès Internet à chaque Français de plus de 30 mégabits par seconde à l’horizon 2022. Sans forcément parier sur le déploiement de la fibre. Un objectif plus ambitieux mais plus onéreux.
Le cabinet d’Axelle Lemaire reconnaît aussi un retard à l’allumage des « fonds privés » et une problématique de financement « si l’on veut connecter 100 % de la population à la fibre ». On botte en touche : « Ce projet sera à la charge du prochain gouvernement. » C’est mieux quand c’est dit mais c’est dommage d’être aussi léger pour un projet aussi structurant que le déploiement du très haut débit.
* Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel
(Crédit photo : Iliad.fr)