C’est raté pour la discrétion. La publication au Journal Officiel, survenue lors du week-end de la Toussaint, du décret renforçant le fichier TES (pour Titres électroniques sécurisés), provoque un certain tollé. La vigilance citoyenne d’un site média comme NextInpact a permis de débusquer le projet de création d’une vaste base de données personnelles de 60 millions de Français.
Le portail Vie-Publique.fr décortique la genèse du TES, présentée comme « le produit du transfert de deux fichiers informatiques existants, au sein d’une base de données informatique commune ». Quels fichiers sont concernés par cette fusion menée sous l’égide du minsitère de l’Intérieur ? Le fichier national de gestion (FNG, regroupant les informations enregistrées lors de la création d’une carte nationale d’identité) d’un côté et le système TES, son équivalent pour les passeports, de l’autre.
La nouvelle base de données sera accessible à divers agents en charge de la gestion des titres d’identité rattachés au ministère de l’intérieur, aux personnels de préfectures et au réseau diplomatique de l’Etat français. Les services de lutte anti-terroriste et de renseignement y auront également accès. « Certaines des informations peuvent également être transmises au système d’information Schengen et à la base Interpol », précise le portail public.
Selon le décret édicté, « le traitement ne comporte pas de dispositif de recherche permettant l’identification à partir de l’image numérisée du visage ou de l’image numérisée des empreintes digitales enregistrées ». Ce qui est censé limiter le recours à des technologies de reconnaissance faciale ou de biométrie.
En rendant un avis consultatif sur le sujet (en date du 29 septembre 2016), la CNIL avait exprimé un certain nombre de réserves, sans remettre en cause sa légalité. En évoquant notamment des risques d’un éventuel détournement des finalités du fichier qui concentre les données biométriques de l’ensemble de la population dans une base unique de données. La CNIL estime également que l’ampleur et la nature du fichier auraient dû faire l’objet d’une « étude d’impact » et mériterait un « débat parlementaire ».
Devant l’Assemblée nationale, Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, a répondu le 2 novembre à une question ad hoc émanant de Lionel Tardy (député LR, Haute-Savoie), pointant des risques de « piratage » et de « détournement » d’un tel méga-fichier. Le représentant du gouvernement a tenté de désamorcer la polémique, en arguant que la création de TES a pour objectif de moderniser le FNG « devenu obsolète et qui posait des problèmes de maintenance ».
Ce matin (vendredi 4 octobre), le Conseil national du numérique, instance consultative censée éclairer le gouvernement sur les questions des usages technologiques, a évoqué le sujet en session plénière en évoquant des « échanges éclairants avec la CNIL » sur le fichier TES qui rappelle celui « des gens honnêtes ».
En mars 2012, le Conseil constitutionnel avait censuré un texte de loi visant à instaurer une carte nationale d’identité électronique (CNIE) avec constitution d’un méga-fichier biométrique intégrant des éléments comme le nom, le prénom, le sexe, la date et le lieu de naissance, l’adresse, la taille et la couleur des yeux, les empreintes digitales et photographiques.
Et ce, au nom du droit au respect de la vie privée de 45 millions de Français potentiellement visés par ce dispositif à l’époque poussé par le gouvernement de l’époque (le ministre de l’Intérieur était Claude Guéant dans un gouvernement de François Fillon, sous la présidence de Nicolas Sarkozy).
Les archives du Web parlent : à l’époque, le député PS Jean-Jacques Urvoas (actuel ministre de la Justice) s’était publiquement prononcé contre ce projet de fichier des « gens honnêtes »…Mais l’intéressé estime que la portée est différente et ne perçoit pas le nouveau texte comme une renaissance du projet initial.
« C’est se méprendre sur la finalité et le contenu du fichier T.E.S. Ce dernier vise ni plus ni moins à simplifier et moderniser le traitement des demandes des titres d’identité, en alignant le processus de délivrance des cartes nationales d’identité (CNI) sur celui ayant actuellement cours pour les passeports. Cette simplification permettra en outre de mieux combattre la fraude identitaire au bénéfice d’une meilleure sécurité des deux titres », assume-t-il dans une contribution publiée le 2 novembre sur Facebook.
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