La fin justifie les moyens. C’est ainsi que l’on pourrait résumer l’esprit de l’arrêt en date du 24 novembre de la XIVème cour d’appel de Paris dans l’affaire Aaargh du nom d’un site Internet qui abrite « une compilation d’écrits et de propos antisémites et révisionnistes ».
Les fournisseurs d’accès Internet doivent impérativement prendre les mesures adéquates (« toutes mesures propres à prévenir ou faire cesser un dommage » ) pour que ce site Internet ne soit plus accessible pour les internautes français. La juridiction d’appel a ainsi confirmé les ordonnances des 20 avril 2005 et du 13 juin 2005 « en toutes leurs dispositions ».
A l’origine, l’affaire avait éclaté en mars 2005. Huit associations luttant contre le racisme et l’antisémitisme (SOS Racisme, la Ligue française des droits de l’homme et l’Union des étudiants juifs de France par exemple) avaient porté plainte contre les principaux fournisseurs d’accès Internet français en demandant un filtrage pour bloquer la consultation du site Aaargh. Le juge de référé avait donné gain de cause aux plaignants.
De l’inefficacité du filtrage Internet
Tout en reconnaissant le caractère manifestement illicite de ce site Web, les fournisseurs d’accès Internet ont fait appel de la décision en première instance pour diverses raisons. La première considération est d’ordre technique. » Instaurer un filtrage Internet pour un site Web donné avec une URL précise est une mesure inefficace (?) Nous assistons depuis à une éclosion d’ersatz de sites Aaargh qui peuvent être consultés par les internautes français », estime Giuseppe de Martino, Président de l’Association française des fournisseurs d’accès et des services Internet (AFA) qui est partie prenante dans le procès.
Sur ce point, la justice a balayé l’argument des FAI. « Qu’une telle mesure, pour imparfaite qu’elle soit, a le mérite de réduire, autant que faire se peut en l’état actuel de la technique, l’accès des internautes à un site illicite », peut-on lire dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris. « Que le nomadisme allégué du site Aaargh ne saurait justifier la remise en cause d’une mesure propre à entraver l’accès ».
Le deuxième principal argument de l’AFA porte sur une lecture dérivée de la loi sur la confiance dans l’économie numérique. Un texte voté par le Parlement français le 21 juin 2004 qui sert de référence en termes de responsabilités des hébergeurs. « A l’origine, il est demandé à nos membres FAI de couper les comptes d’accès des internautes ayant été reconnu coupable d’infraction. Maintenant, nous devrions accepter de bloquer l’accès à des sites Web sur décision de justice. On s’écarte de l’esprit d’origine de la loi », s’insurge Giuseppe de Martino.
Enjeu considérable
Le président du club des FAI n’exclut pas un pourvoi en cassation sur ce dossier mais rien n’est décidé en l’état actuel. Le sujet est crucial pour leur activité : si le cas Aaargh fait jurisprudence, alors le nombre de demandes de filtrage du sites Internet imposé par voie de justice pourrait exploser. Une perspective peu réjouissante pour les FAI.
Et le dossier se complique encore un peu plus lorsque l’on dépasse les limites territoriales et juridiques. Toujours dans le cadre de cette procédure, les plaignants ont tenté de couper l’accès au site Web Aaargh en faisant pression sur les hébergeurs hôtes américains (OML LLC, Globat LLC et The Planet.com Internet Services) à coup d’assignations.
Mais aucun prestataire outre-Atlantique n’a daigné répondre aux requêtes de la justice française. « Il est donc clair que les sociétés de droit améri cain, ayant assuré ou assurant toujours l’hébergement du site incriminé, n’entendent pas se plier aux injonctions qui leur ont été adressées ni se présenter devant le juge saisi des demandes formées à leur encontre », peut-on lire sur l’arrêt.
Il reste encore une carte à jouer : trouver le ou les réels instigateurs responsables du site Aaargh. Le nom de Serge Thion, un sociologue connu pour ses positions négationnistes, apparaît noir sur blanc dans l’arrêt. Selon l’Afa, il est difficile de savoir si une plainte a été déposée à son encontre.
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