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Financement : une Uber-bulle technologique dans la Silicon Valley ?

Entrepreneurs, économistes, investisseurs… Des voix s’élèvent pour attirer l’attention sur le climat actuel du financement des entreprises IT, tout particulièrement dans la Silicon Valley.

L’incertitude règne quant aux valorisations record qu’atteignent un nombre grandissant de sociétés avant même leur introduction en Bourse.

Selon les dernières statistiques de Dow Jones, au moins 142 entreprises privées du secteur high-tech sont aujourd’hui des « licornes » qui valent plus d’un milliard de dollars. On en comptait tout juste une soixantaine il y a un an. Une dizaine ont rejoint le cercle au cours du seul mois de septembre 2015, soit presque autant que sur la période 2013-2014, d’après les relevés de CB Insights.

Le palmarès est dominé par Uber, estimé à 41 milliards de dollars avec ses services de transport urbain. Suivent le fabricant chinois de produits électroniques Xiaomi (40 milliards) et la plate-forme de location de logements Airbnb (25,5 milliards).

Autant de sociétés qui ne dévoilent pas leurs résultats financiers et dont la rentabilité n’est pas évidente malgré la puissance de leurs marques respectives, à en croire Fred Wilson.

Pour cet homme d’affaires, cofondateur d’Union Square Ventures, « on prend des risques comme jamais dans la Silicon Valley » : si les valorisations s’envolent, c’est avant tout la conséquence d’un cercle vicieux, les tours de table alternant avec des dépenses marketing toujours plus importantes, mais pas forcément garantes d’un retour sur investissement.

Quand la Bourse dit stop

Marc Andreessen s’était fendu, il y a quelques mois, d’une série de tweets pour critiquer ce modus operandi qu’il considère « intenable ». Tout comme Chris Douvos, de Venture Investment Associates (fonds d’investissement sis dans le New Jersey), il se demande « si les marchés publics vont pouvoir suivre ».

La réponse est plutôt négative à s’en fier aux données de Dealogic : pour l’heure, seulement 14 % des IPO bouclées cette année aux États-Unis concernent des entreprises du secteur high-tech ; le pourcentage le plus faible depuis au moins vingt ans.

Et pour celles qui ont fait le grand saut, les indicateurs sont loin d’être systématiquement au vert : la moitié d’entre elles n’affichent pas de retour sur investissement.

Le Wall Street Journal affirme en l’occurrence qu’une entreprise IT sur cinq entrée en Bourse aux U.S. depuis début 2014 affiche une valorisation inférieure à celle qui était la sienne lors de son dernier tour de financement privé. On citera MobileIron (gestion de terminaux mobiles ; – 60 %), Apigee (analyse de données ; – 52 %) et Coupons.com (bons plans en ligne ; – 41 %).

Combien tu vaux ?

L’euphorie semble plus globalement laisser place à la circonspection chez les investisseurs extérieurs, de moins en moins enclins à assumer les valorisations actuelles.

Illustration avec Dropbox. Pressenti depuis quelque temps pour entrer en Bourse, le spécialiste américain du stockage cloud vaut 10 milliards de dollars depuis son dernier tour de table. Une valeur que BlackRock, la société de gestion d’actifs qui avait emmené cette opération chiffrée à 150 millions de dollars, a dû revoir à la baisse (- 24 % par action).

Dropbox assure ne pas avoir besoin de davantage de liquidités, mais son cas est symptomatique d’un mal plus général : lever des fonds devient difficile pour les start-up en phase de croissance comme pour les sociétés qui visent l’IPO.

Là encore, on est confronté à un cercle vicieux, selon Bill Gurlet, partner chez Benchmark Capital : des marchés publics incapables de supporter un haut niveau de valorisation, c’est autant de bénéfices en moins pour les investisseurs privés… et donc un moindre intérêt à débloquer des fonds.

Une réalité symbolisée par Jet.com : alors qu’il était question, cet été, d’une levée de fonds sur la base d’une valorisation à 3 milliards de dollars, la marketplace en ligne a revu ses ambitions à la baisse : elle viserait désormais les 2 milliards de dollars, avec en outre une implication plus forte de la part de ses fondateurs.

« Fear of missing out »

Certains investisseurs et dirigeants affichent beaucoup moins d’inquiétude. Pour eux, les entreprises arrivent dorénavant bien plus vite à maturité avec des coûts de développement limités, essentiellement grâce aux smartphones, porte ouverte sur un marché de 2 milliards d’individus.

D’après Robert Shiller, ces nouvelles métriques ont favorisé l’investissement, sous l’impulsion des fonds communs de placement et des fonds spéculatifs.

Le prix Nobel d’économie, qui s’était déjà distingué en anticipant la bulle Internet et la crise des subprimes, craint que le gonflement des valorisations soit surtout le résultat d’une FOMO. C’est-à-dire, en anglais dans le texte, « Fear of missing out » : attirés par un nouveau modèle ou paradigme (l’économie de partage dans le cas d’Uber et Airbnb), les investisseurs ne veulent pas rater l’occasion et sont prêts à bien des concessions pour mettre leurs billes.

Le phénomène est particulièrement marqué pour les sociétés dont la valorisation dépasse le milliard de dollars avant leur entrée en Bourse : sur les 9 concernées aux États-Unis depuis début 2014, seules 3 ont, dans l’absolu, satisfait les attentes, souligne le New York Times.

Pop la bulle ?

Sous l’impulsion de fonds – essentiellement publics – cherchant à faire monter les valorisations, certaines entreprises se rapprochent du club des licornes alors qu’elles n’ont parfois pas encore de revenus, ou très peu. OfferUp en fait partie. La marketplace P2P est valorisée à 4,5 milliards de dollars après son dernier tour de table. Son CA pour le mois de janvier ne dépasse pas les 2 millions de dollars.

TechCrunch va jusqu’à parler d’une bulle, l’euphorie commençant à laisser place à la raison. « Certains investisseurs vont revendre leurs parts en s’apercevant qu’il sort bien plus d’argent qu’il n’en rentre. […] Puis viendra la phase ultime : la panique ».

Le contexte n’est pas le même qu’avec la bulle Internet de la fin des années 90. À l’époque, les IPO survenaient plus rapidement et les valorisations des entreprises explosaient par la suite. Quinze ans plus tard, la valorisation se construit avec l’arrivée sur les marchés publics ; témoin ces fonds qui montent des structures d’investissement late-stage.

Crédit photo : Mari Ching – Shutterstock.com

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