Focus : la fibre avance en France mais il faut prendre du recul
D’ici fin 2016, la moitié de la population française sera couverte par le très haut débit (fibre essentiellement). Mais on observe des déséquilibres.
Le gouvernement vient de faire un point d’étape sur le déploiement de la fibre optique sur le territoire national. En évoquant des « avancées tangibles ».
Hier (28 juin), Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique , et Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat chargée du Numérique, ont présidé une réunion de travail avec les opérateurs télécoms avant de faire le point dans le cadre de la 3ème conférence annuelle du plan France Très Haut Débit.
Rappelons l’objectif à atteindre : la couverture de 100% du territoire en très haut débit à l’horizon 2022. Ce qui devrait représenter un investissement de 20 milliards d’euros sur dix ans. Sachant que le plan avait été lancé au printemps 2013.
Le gouvernement a évoqué « la forte mobilisation des opérateurs dans le déploiement de nouveaux réseaux, fixes comme mobile ». Même s’il faut les pousser un peu pour concrétiser les engagements en termes d’investissement.
Néanmoins, en 2015, Bercy souligne « un niveau d’investissements historiquement élevé » pour les réseaux de nouvelle génération (fibre et 4G essentiellement) pour un montant global de 7,8 milliards d’euros (hors achats de fréquences).
Afin d’accompagner cet effort majeur dans l’aménagement numérique du territoire, le gouvernement vient de conclure une convention avec l’Association des régions de France (ARF) et la Fédération des industriels des RIP (Réseaux d’initiatives publiques) pour « anticiper les besoins de formation aux métiers liés au déploiement de la fibre optique ».
Du point de vue du gouvernement, le plan France Très Haut Débit, désormais intégré dans la nouvelle Agence du numérique, concerne désormais « la quasi-totalité du territoire » (100 départements sur 101) et représente un investissement cumulé de plus de 12 milliards d’euros dont 2,5 milliards d’euros de soutien financier de l’Etat. 78 départements ont vraiment engagé des travaux.
D’ici la fin 2017, 2 millions de logements et d’entreprises supplémentaires seront rendus éligibles à la fibre optique, et 750 000 au très haut débit via la montée en débit. Potentiellement, on devrait atteindre une couverture de 50% des Français couverts en très haut débit d’ici fin 2016 (avec un an d’avance par rapport à l’objectif initial).
Néanmoins, il n’y a pas de quoi pavoiser, à en croire un rapport de l’IDATE réalisé au nom du FTTH Council Europe (classement septembre 2015) : la France se trouve en 21ème position du déploiement de la fibre en Europe (certes, dans une zone géographique élargie à des pays comme la Turquie et la Kazakstan).
Opérateurs et THD : Orange prend de l’avance
Par opérateurs, on peut également relever des nuances dans la déploiement du très haut débit. Orange avance rapidement dans la fibre optique à domicile mais SFR admet un « retard pris à l’allumage » selon Les Echos (qui n’évoque pas le cas de Bouygues Telecom et d’Iliad/Free).
Mais le groupe étant lié à Numericable, il faut composer également avec le très haut débit qui s’appuie sur le mix fibre + terminaisons co-axiales. Quitte à bien encadrer la définition de fibre optique pour éviter la confusion parmi les consommateurs…
Le groupe SFR avance quand même : En mai, 128 000 nouveaux logements et locaux professionnels ont été rendus éligibles à la fibre dans 44 communes. Depuis le début de l’année, SFR a apporté ses services fibre dans plus de 100 nouvelles communes et dessert au total, plus de 1200 communes françaises (sur 36 000 communes).
En qualité d’opérateur historique, Orange prend ses marques plus facilement sur le territoire. Derniers chantiers repérés en date : les départements de la Moselle et de l’Ain ont confié à Orange l’exploitation et la commercialisation de leurs réseaux publics en fibre optique au niveau local à travers une délégation de service public (DSP).
Début 2016, on signalait une plus grosse prise : Orange a conquis la Bretagne en lançant une DSP pour l’exploitation et la commercialisation du réseau public régional à très haut débit (Megalis).
Mais on observerait des dérives dans le déploiement de la fibre en Bretagne, selon une enquête du Moniteur en date du 17 juin 2016. Des sociétés indépendantes locales en Bretagne évoquent des pressions sur les prix pour déployer le THD. Au point qu’il est difficile de réaliser des marges sur ce type de prestations.
« Pour emporter les marchés d’Orange, les entreprises comme Cegelec ou le portugais Constructel ont proposé des prix très bas de réalisation des travaux », considère la fédération régionale des travaux publics de Bretagne citée par Le Moniteur.
On trouve également un symbole de l’ère des nouveaux réseaux sur ce même territoire. Dans la perspective de l’arrêt du réseau téléphonique commuté (RTC) en France à partir de 2018, Orange va tester la transition de la téléphonie fixe traditionnelle (RTC/RNIS) vers la téléphonie fixe IP (VoIP) dans 14 communes du Finistère.
Au-delà des zones denses et moyennement denses, le groupe télécoms de Stéphane Richard a entamé un chantier de montée en débit Internet à travers le programme « Orange Territoires Connectés« .
Cet activisme THD de la part d’Orange n’est pas vraiment du goût des opérateurs concurrents, qui craignent un monopole reformé sur la fibre après un marché sur le réseau cuivre qui a été progressivement libéralisé sur la houlette de l’ARCEP.
ARCEP: les Français se convertiront massivement à la fibre
Début juin, l’ARCEP recensait 4,5 millions d’abonnements très haut débit en France (+35% en un an), dont 1,6 million en fibre optique à domicile (+53%).
« Je pense que les fondamentaux sont là. Je suis persuadé qu’on a le bon modèle de déploiement du très haut débit, même si oui, l’investissement des opérateurs pourrait aller plus vite. En revanche, il ne faut pas oublier la capacité de monétisation de la fibre par les acteurs », estime Sébastien Soriano, Président de l’autorité de régulation des télécoms en France, dans une interview accordée récemment à La Tribune.
« Or aujourd’hui, le contexte propre à la France, c’est qu’on a un haut débit de grande qualité. On ne le rappelle pas assez, mais nous sommes le deuxième pays au monde en termes de connectivité à 10 mégabits [derrière la Corée du Sud, ndlr]. Résultat, il y a une vraie difficulté à faire basculer les abonnés du cuivre vers la fibre. Actuellement il y a un opérateur qui investit beaucoup. C’est Orange. A l’ARCEP, nous pensons que les Français ne se convertiront massivement à la fibre que s’il y a un marché vraiment pleinement concurrentiel. Ce n’est pas toujours le cas aujourd’hui. »
De son côté, Patrick CHAIZE, Président de l’AVICCA (qui regroupe les collectivités engagées dans le numérique, en particuliers celles engagées dans l’exploitation de RIP), a souligné des « questions tarifaires et contractuelles qui se précisent ». Tout en poursuivant : « De même, nous saluons la volonté de l’ARCEP de moduler les tarifs du cuivre pour faciliter la transition, qui va donner des signaux économiques clairs aux opérateurs. »
Il existe encore des points d’achoppement selon l’AVICCA : « Nous avons aussi besoin de changements sur des offres régulées comme la collecte LFO, et de dispositions contractuelles équilibrées sur l’accès au génie civil d’Orange. Il faut vite stabiliser l’architecture pour le FTTE à destination des entreprises et services publics. Une sécurisation juridique avec le succès de la notification de la totalité du Plan est évidemment indispensable ».
(Crédit photo : Ministère de l’Economie et des Finances,Emmanuel Macron et Axelle Lemaire)