« On a appelé ça stratégie [mais] tout le monde a bien compris qu’il s’agit des prémices, du socle de l’élaboration d’une stratégie ».
Thierry Mandon ne cache pas qu’au regard de l’échéance présidentielle, le timing sera serré pour le projet « France IA » qu’il a présenté ce vendredi 20 janvier 2017 en compagnie d’Axelle Lemaire.
Les propos du secrétaire d’État chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche font écho à ceux de son homologue au Numérique et à l’Innovation, qui affirme : « Les choses avancent vite et nous n’avons pas d’autre choix que d’aller encore plus vite ».
Sept groupes de travail sont mis en place dans le cadre de ce projet dont l’objectif principal est de positionner la France « dans le wagon de tête » en matière d’intelligence artificielle.
Mission initiale pour chacun de ces groupes copilotés par un représentant du secteur public et un représentant du secteur privé : proposer, d’ici au 14 mars, un plan d’action en lien avec sa thématique de réflexion.
Premier axe : réaliser une cartographie nationale des activités dans le domaine de l’IA, aussi bien sur la recherche académique que la R&D industrielle, la formation et l’écosystème de start-up. « Pour pouvoir progresser, il faut qu’on sache d’où l’on part », explique David Sadek, coanimateur du groupe.
Le directeur de la recherche de l’Institut Mines-Télécom rappelle également l’importance de détecter les thématiques émergentes « qui peuvent ne pas être dans le radar aujourd’hui ».
On soulignera que l’intéressé avait pris la parole la veille, au Sénat, lors d’une session organisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) en présence de représentants de la société civile (universitaires, chercheurs, penseurs…) et des pouvoirs publics.
À cette occasion, il avait déclaré : « On est simplement aujourd’hui à l’aube d’une ère nouvelle. On en parle beaucoup, mais […] il faut arriver à trier le grain de l’ivraie ».
Son intervention a mis en évidence la nécessité d’un travail pluridisciplinaire. Ou comment associer aux aspects technologiques les questions qui relèvent des sciences humaines.
Par exemple, avoir la capacité à montrer qu’un système intelligent « fait ce qu’on attend de lui et uniquement ce qu’on attend de lui ». Ou encore dans quelle mesure implémenter des principes aujourd’hui mal maîtrisés par la machine, comme les raisonnements par analogie.
Le groupe « Identification et priorisation des sujets de recherche » sera probablement amené à s’intéresser à ces problématiques.
Coprésidé par Sébastien Konieczny, directeur de recherche au CNRS de Lens, il aura pour rôle de repérer les initiatives de recherche et de faire l’interface entre elles.
Directeur du centre de mathématiques de l’ENS Cachan, Nicolas Vayatis coanimera un autre groupe d’identification et de priorisation, mais qui traitera des besoins en formation.
Il s’agira non seulement de créer des écosystèmes attractifs pour les jeunes à l’heure où « la France est tellement bien positionnée qu’elle fait fleurir l’innovation outre-Atlantique », mais aussi de « préparer l’homme à interagir avec des environnements connectés».
L’appropriation des résultats de la recherche par les entreprises a elle aussi son groupe de réflexion, qui devra faire le lien entre les laboratoires académiques et les besoins de l’industrie, entre autres à travers des appels à projets avec évaluation des risques.
À la tête de ce groupe, on trouve Bertrand Braunschweig. Le directeur du centre de l’INRIA à Saclay était lui aussi présent jeudi au Sénat. Il y a fait part des initiatives de son institut, au sein duquel environ 200 personnes s’impliquent, à l’échelle des huit centres de recherche, sur l’intelligence artificielle.
En complément au livre blanc publié l’été dernier pour faire état de ses travaux dans l’apprentissage automatique, le traitement du langage, la programmation par la contrainte pour l’aide à la décision ou encore la robotique et le véhicule autonome, l’Inria a également monté, en interne, un comité d’évaluation des risques légaux et éthiques.
Bertrand Braunschweig aura insisté sur l’IA en tant que pièce au sein de systèmes plus complexes dont les « barrières disciplinaires » qui existent actuellement rendent la réalisation difficile.
Il dit avoir bon espoir que les instituts de convergence, financés par le Programme des investissements d’avenir (PIA), contribuent à faire le pont entre les sciences informatiques, les psychologues, les biologistes, les économistes, les ergonomes, les juristes…
Son propos s’est conclu sur une estimation : en comptant les aides publiques et les contributions des acteurs économiques, « c’est au moins 1 milliard d’euros sur 10 ans qu’il faut mobiliser » pour l’intelligence artificielle, a fortiori quand « les chercheurs français sont de plus en plus l’objet de convoitise des entreprises internationales, avec des niveaux de salaire et de financement extrêmement motivants ».
Thierry Mandon est sur la même ligne. Il évoque « des instituts de recherche pillés » et « des chercheurs débauchés par des sociétés pas françaises qui viennent faire leur marché de talents formés par le contribuable français ». Non sans lancer : « Et en plus, ils ont le culot de ne pas payer d’impôts en France, parce qu’ils passent par l’Irlande, le Luxembourg… »
« […] Certains pays ont commencé à faire des efforts considérables. […] Il faut y aller maintenant, sinon, ça sera trop tard », martèle le secrétaire d’État, qui insiste sur l’aspect transdisciplinaire et ajoute, au sujet du mandat présidentiel qui touche à sa fin : « Il y a beaucoup de matchs qu’on gagne dans le money time ».
Spécialiste en sécurité des systèmes d’information à la DINSIC, Laurent Voillot aura à aborder la thématique des GAFA (club de géants américains du numérique : Google, Apple, Facebook, Amazon).
Lui qui copréside le groupe « Souveraineté et sécurité nationale » résume sa mission en une question : « Est-ce que vous voulez que ce soit l’éthique de sociétés américaines qui règne sur vos données, sur vos savoirs ? ».
Le discours d’Axelle Lemaire s’inscrit dans la même logique : « Il y aura de plus en plus d’intelligence artificielle ; autant que ce soit nous qui la produisions ».
La secrétaire d’État est formelle : « Le pays a le vent en poupe ». Elle en veut pour preuve la création d’un groupe « France is AI » au sein de la French Tech, le livre blanc de l’Inria ou encore la mise sur pied, par Serena Capital, d’un fonds de 80 millions d’euros dédié à la thématique.
La loi numérique a ouvert la voie, notamment à travers la création d’une mission de service public de la donnée et d’une catégorie juridique pour les « données d’intérêt général », mais aussi des sujets qui « devraient trouver une dimension dans l’intelligence artificielle », à l’image de la loyauté des plates-formes et de la transparence des algorithmes publics.
Autant de thèmes que scrutera Rand Hindi. Docteur en sciences informatiques, cofondateur de Snips et membre du Conseil national du numérique, il copréside un groupe chargé d’anticiper les impacts sociaux et macroéconomiques de l’IA.
Laure Reinhart, directrice des partenariats innovation chez Bpifrance, travaillera quand à elle sur le développement, à l’échelle du territoire national, de l’écosystème des fournisseurs français de technologies d’intelligence artificielle. Tout en s’assurant de leur appropriation par les grandes entreprises et de leur rayonnement à l’international.
En complément aux sept groupes de travail, des équipes plancheront sur des thématiques « plus spécifiques » : véhicule autonome, relation client, IA et finance, robotique, smart cities… La liste de ces « sous-groupes » n’est pas définitive.
La CNIL s’occupera pour sa part, en application de la loi « pour une République numérique », d’organiser une réflexion sur le volet éthique. Sa présidente Isabelle Falque-Pierrotin prône « un vaste débat public » qui sera lancé ce 23 janvier. Il est prévu d’en publier une synthèse en fin d’année, dans l’optique d’élaborer un « pacte social collectif » autour de l’utilisation de l’IA.
Du côté de Louis Schweitzer, on constate que le lancement de France IA intervient parallèlement au démarrage de la troisième phase du PIA, dotée de 10 milliards d’euros.
Le commissaire général à l’investissement annonce, pour le 1er trimestre 2017, le lancement d’appels à projets de recherche, orientés aussi bien sur les technologies que les sciences humaines.
Un autre événement se déroule en simultané : le Forum économique mondial, qui réunit les décideurs de la planète à Davos (Suisse).
Le consensus sur l’intelligence artificielle y est pessimiste en matière d’emplois : la 4e révolution industrielle – celle de l’lA, des objets connectés et de l’impression 3D – « crée de nouveaux risques mondiaux et exacerbe les risques existants » : elle engendrerait, d’ici à 2020, une perte nette de plus de 5 millions d’emplois dans 15 économies, France incluse.
La session de l’OPECST aura été l’occasion d’avoir le point de vue de ceux qui « font l’IA ». Et de constater leur compréhension des enjeux éthiques comme juridiques.
Directeur de recherche honoraire au CNRS, Gérald Sabah se demande tout particulièrement dans quelle mesure les fonctionnalités que l’homme attribue à sa conscience pourraient être mises en œuvre dans de futurs robots.
Il estime qu’une IA forte doit pouvoir prendre du recul, changer dynamiquement de mode de raisonnement et savoir développer des théories, puis les vérifier par l’expérimentation. Et de poser deux questions en conséquence : comment peut-on garantir les propriétés d’un tel système et en conserver le contrôle ?
Bertrand Braunschweig a lui aussi abordé cette problématique de validation et de certification, rendue complexe par les systèmes d’apprentissage automatique.
Même son de cloche chez Jean-Daniel Kant. Ce maître de conférences à l’université Pierre et Marie Curie rappelle que les chercheurs eux-mêmes ne comprennent parfois pas comment fonctionnent leurs algorithmes.
Et cela pose de problèmes dans la vie quotidienne. « Si vous vous faites rejeter votre prêt, que vous demandez à votre banquier pourquoi et [qu’il] vous répond [que c’est] parce que le neurone no 39 et la connexion 48 étaient inférieurs à 0,4, vous allez dire ‘non merci’ et peut-être aller en justice », résume-t-il.
L’Union européenne a anticipé cette question à travers une directive. Tous les systèmes, dont ceux exploitant de l’intelligence artificielle, devront bientôt être capables de justifier de leur comportement.
Pour autant, on reste, d’après Dominique Gillot, loin des initiatives prises aux États-Unis. La sénatrice PS du Val-d’Oise, par ailleurs membre de la commission de la Culture, de l’Éducation et de la Communication, évoque des décideurs « qui prennent des risques », alors qu’en France, on appliquerait plutôt le principe de précaution : « On a l’impression que le politique est tout le temps en réponse ; pas en tête de pont ».
Jean-Gabriel Ganascia, de l’université Pierre et Marie Curie, embraye sur la question du financement : pour lui, les institutions actuelles imposent des conditions de recherche à trop court terme. Il est secondé par un entrepreneur qui use d’une métaphore : « Si une femme met 9 mois pour avoir un bébé, 9 femmes ne mettent pas chacune un mois pour en avoir un »…
Au-delà de l’exercice de style, le financement attribué à France IA constituera un marqueur de cette volonté de mettre en avant l’expertise IA au niveau national. « Si on arrive à publier un plan d’action et à mobiliser des financements qui vont se poursuivre sur plusieurs années, ce sera un bon début », déclare Axelle Lemaire dans une interview accordée aux Échos. Au-delà des éventuelles questions d’alternance politique…
(Source photo d’illustration : comptes Twitter @_Bercy_)
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