Itespresso.fr : Après 10 ans chez Criteo, pourquoi tenter une nouvelle aventure ?
Franck Le Ouay – Oui, j’ai vécu une aventure humaine et professionnelle exceptionnelle chez Criteo. En tant que Chief Scientist Officer, j’ai contribué à la conception d’algorithmes qui ont non seulement assuré le succès de la société mais également révolutionné l’univers du marketing interactif.
Maintenant que la société est sur les rails, j’ai besoin d’un nouveau challenge, de me remettre en danger et de prouver que le succès de Criteo n’était pas un accident. Comme on dit dans la Silicon Valley : « Once you’re lucky, Twice, you’re good » :-)
Itespresso.fr – Vous avez déjà investi 3 millions d’euros dans le projet Honestica. Quelle est l’ambition de cette plate-forme, faire le Criteo de la donnée médicale ?
Franck Le Ouay – Honestica entend révolutionner l’univers médical de la même façon que Criteo a révolutionné celui de la publicité. Mais notre rapport à la data sera fondamentalement différent puisque nous n’exploiterons pas ces données à des fins publicitaires
Le secteur de la santé est aujourd’hui au seuil d’une révolution. C’est à la fois un désert technologique, avec un corps médical équipé d’outils ou d’applications obsolètes. Et pourtant, la médecine est en mesure de produire des quantités gigantesques de données que personne n’est en mesure de stocker, de partager et encore moins d’analyser.
A court terme, nous voulons réconcilier les médecins avec la technologie, leur fournir des outils simples et ergonomiques pour leur faire gagner du temps ou les aider à établir le bon diagnostic. Et dès la fin de l’année, Honestica ambitionne de créer une plate-forme numérique, où médecins et patients pourront en toute confiance stocker, partager puis analyser ces données.
Itespresso.fr – Ce sont des sujets sur lesquels planchent déjà les pouvoirs publics ou les géants du web. Ne craignez vous pas cette concurrence ?
Franck Le Ouay – Le dossier médical partagé est une belle idée née au début des années 2000 mais il est devenu une usine à gaz. Je doute qu’un cahier des charges, conçu au début des années 2000, réponde aux problématiques des années 2020.
La concurrence des « GAFA » est par contre plus crédible mais leur force pourrait paradoxalement être leur faiblesse. Qui serait prêt à divulguer ses problèmes de santé sur sa page Facebook ? Qui a envie d’aider Google à exploiter nos maladies pour optimiser son algorithme publicitaire ?
Comme son nom l’indique, Honestica reposera sur des valeurs très fortes. Et nous pensons que des données aussi sensibles que les données médicales ne doivent pas être accessibles aux pouvoirs publics ou aux géants de la publicité.
Itespresso.fr – Peut on faire un parallèle avec la notion de Linked Data chère à Tim Berners Lee ? Pourquoi ne pas créer un format XML propre aux donnés médicales ?
Franck Le Ouay -Je partage l’idée que nous n’en sommes encore qu’à la préhistoire de la data médicale. Chaque docteur produit son propre format de données et la majorité ne sont ni stockées en ligne ni partagées.
Il faut effectivement contribuer à l’informatisation de la donnée médicale, à sa standardisation puis à sa centralisation sur une plate-forme numérique. Mais pour des raisons de sécurité évidentes, cette plate-forme ne peut pas être un site web. Le défi c’est de créer un tiers de confiance sécurisé, pour rassurer patients et praticiens.
Itespresso.fr – Des constructeurs d’objets connectés comme Withings travaillent également sur le sujet. L’avenir de la donnée médicale peut il passer par l’internet des objets ?
Franck Le Ouay – Les capteurs se multiplient effectivement dans l’univers du sport et du fitness et sont la source de production de données telles que le poids, la tension ou le rythme cardiaque. Mais ces capteurs ne seront jamais en mesure de se substituer au diagnostique d’un médecin.
Le succès d’Honestica reposera d’ailleurs sur son adoption par le corps médical et nous invitons tous les professionnels de santé à travailler avec nous pour concevoir les outils et les plates-formes de demain
Itespresso.fr – Selon Laurent ALEXANDRE, nous sommes au seuil de découvrir le secret de l’immortalité. Que peut on attendre de cette analyse massive des données médicales ?
Franck Le Ouay – Contrairement à Laurent ALEXANDRE, je ne suis pas médecin et je ne suis pas en mesure de me prononcer sur ce sujet même si je suis avec attention les thèses transhumanistes.
Plus humblement, nous voulons surtout simplifier le quotidien des médecins. La seconde étape sera effectivement le stockage et le partage des données médicales des patients. Et si nous atteignons nos objectifs, Honestica sera en mesure de générer des milliards d’euros d’économie à notre système de santé. Quand au troisième étage de la fusée, ce sera celui de l’analyse massif des données médicales.
Concrètement, nous pourront sans doute démocratiser les recherches cliniques sur un grand nombre de sujets, faciliter la prévention des maladies, réduire les erreurs de diagnostique, assurer un meilleur suivi des épidémies et peut être un jour contribuer à vaincre des maladies orphelines sans pour autant renoncer à une certaine éthique. C’est en tout cas toute l’ambition de ce projet.
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