Le 23 juin 2003, date de l’introduction des PowerMac G5, premiers ordinateurs personnels conçus autour de processeurs 64 bits, peut être considéré comme un tournant dans l’histoire de l’industrie informatique. Certains, principalement Intel, croient que cette introduction est prématurée tandis que d’autres comptent sur la technologie 64 bits pour relancer les ventes d’ordinateurs. Les challengers Apple et AMD entendent bien, en introduisant ces processeurs de nouvelle génération, modifier leurs parts de marché. Pour AMD (voir édition du 18 avril 2003), il s’agit de définir une voie transitoire vers le 64 bits différente de celle d’Intel. Ce dernier veut faire migrer les ordinateurs vers son architecture 64 bits Itanium, développée à grands frais mais qui a du mal à prendre, notamment en raison de la non-compatibilité native avec les applications 32 bits X86. AMD s’est engouffré dans cette faille stratégique pour proposer sa propre puce 64 bits compatible avec l’architecture X86. Intel devrait répondre à cette menace en dévoilant plus tard dans l’année un Pentium plus puissant, mais qui demeurera en 32 bits. On s’achemine donc vers une lutte entre les deux principaux concepteurs de puces pour PC qui impacte directement le principal système d’exploitation utilisé sur ces plates-formes : Windows. Entre les versions 32 bits et 64 bits pour PC, Tablet PC (voir édition du 17 septembre 2002), Windows CE, Media Center ainsi que Serveur, Microsoft va donc devoir supporter un plus grand nombre de systèmes d’exploitation. L’éditeur l’a d’ailleurs annoncé lors de la dernière WinHEC (voir édition du 6 mai 2003). La complexité de l’offre PC va ainsi se renforcer en septembre, date à laquelle l’Athlon 64 d’AMD doit être introduit sur le marché. En parallèle se profile également la conversion d’une myriade de logiciels 32 bits disponibles sur PC vers les différentes architectures 64 bits. Sur Itanium, cette conversion est à la traîne. Bien sûr, toutes les applications ne seront pas optimisées, mais AMD devra sans doute pousser des éditeurs dans cette voie. De telle sorte que le support des différentes versions de logiciels tiers va lui aussi se complexifier…
Apple rattrape son retard
Pour Apple, les conditions sont différentes : il y a encore peu, la société californienne se trouvait virtuellement au pied du mur ! Son architecture basée sur un modèle 32 bits ne pouvait plus soutenir la comparaison en raison du retard perpétuel de son principal fournisseur de puces, Motorola. Le fondeur cache mal, depuis des années, une fuite de ses ingénieurs vers la concurrence (dont AMD et Intel), le choix discutable d’un processeur haut de gamme sans alternative, les griefs faits à Apple ou encore le désinvestissement réalisé dans sa branche semiconducteurs. Plutôt que de choisir une nouvelle puce 32 bits, son client Apple a préféré miser sur la technologie 64 bits (voir édition du 23 juillet 2002). Un choix dû à la nature des applications disponibles sur Mac, mais aussi à la multiplication rapide de fonctions audio, vidéo et de calculs complexes. La plate-forme Risc utilisée par Apple la poussait directement dans les bras d’IBM, seul au sein de l’alliance PowerPC à adopter le 64 bits depuis 1996 (avec le PowerPC 620). La polémique sur le titre de plus puissant ordinateur personnel, née après la présentation du G5, souligne le tournant pris par Apple : la firme n’est plus freinée par les performances du G4. Mieux, elle a rattrapé son retard et dispose désormais d’une véritable stratégie processeur. Tom Bogger, responsable international du PowerMac, a indiqué en présentant le PowerMac G5 (voir édition du 24 juin 2003) : « Le passage du 32 au 64 bits modifie principalement les limites de la mémoire utilisable par un Mac. De 4 milliards d’octets à 18 milliards de milliards d’octets ! » C’est sur ce point que la version de Mac OS X fournie avec le PowerMac G5 a été améliorée, lui permettant de gérer aujourd’hui jusqu’à 8 Go de mémoire (l’industrie ne fournit que des barrettes de mémoire de 1 Go au maximum pour l’instant). Prix d’une machine dotée de 8 Go : déjà 7 500 euros ! Pour Apple, l’adoption de puces 64 bits va donc nécessiter une transition, lui faisant transformer peu à peu son système d’exploitation pour qu’il tire parti des 64 bits disponibles.
Le nouveau tableau qui commence à se dessiner a des implications d’un bout à l’autre du secteur informatique. L’adoption de puces 64 bits – qui mettra du temps avant d’être généralisée – permettra de disposer d’un modèle de développement intégré des machines et des applications, des serveurs aux ordinateurs personnels, et des applications grand public aux progiciels ! Une stratégie qui semble cohérente côté architecture Risc en raison de la compatibilité entre les puces POWER réservées aux serveurs et les puces PowerPC. IBM prépare actuellement les prochains processeurs POWER5 et devrait en sortir un dérivé PowerPC, dont il se murmure qu’il se nommera PPC 980. A la rigueur, Apple pourrait adopter des puces POWER5 pour des versions serveurs haut de gamme, si le besoin s’en faisait ressentir ! Côté PC, la maturation s’avère plus difficile. AMD l’envisage par utilisation de l’architecture X86 32-64, lui permettant d’assurer une compatibilité et une transition entre les applications 32 et 64 bits. Intel se positionne différemment et l’envisage par un saut de la traditionnelle l’architecture X86 vers EPIC, sa nouvelle architecture 64 bits. Un manque de cohérence et d’homogénéité est donc en train de se construire, dont le clan soutenu par IBM et Apple devrait tirer parti . Mais la fenêtre de tir est réduite : entre deux et quatre ans. C’est sur ce laps de temps qu’il sera possible de discerner si Apple ou AMD ont fait les bons choix leur permettant de bousculer l’ordre établi.
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