IBM et Linux?le grand écart ?
Irving Wladawsky-Berger est le « Monsieur Linux » de la compagnie IBM, même si son titre de vice président, Technology & Strategy, Enterprise Systems Group masque cette réalité. Dans une interview accordée à Vnunet, il précise la place que prendra le nouveau système d’exploitation dans les solutions mises en place par la compagnie chez ses clients.
Q : IBM qui embrasse Linux, n’est-ce pas le diable qui annonce – à la surprise générale- qu’il croit en Dieu oeiWB : Quand la compagnie a annoncé en 1995 son engagement en faveur d’Internet, nous avions déjà été confrontés à ce genre de commentaire. A l’époque, nul ne comprenait vraiment notre engagement en faveur d’IP et des technologies de l’Internet, nous qui avions « tant à perdre dans le monde des protocoles de réseau ». Pourtant, cinq ans après, chacun peut constater qu’IBM a pris la bonne décision en faisant de l’Internet le facilitateur d’une nouvelle approche des applications en réseau, devenu aujourd’hui le vecteur fondamental d’une nouvelle économie. Q : Le parallèle ne s’arrête-t-il pas là dans la mesure où Linux remet en cause tous les systèmes d’exploitation de la compagnie ? IWB : Non car, pour IBM, Linux est indissociable de l’Internet. C’est ce qui lui a permis de devenir le premier système d’exploitation n’appartenant à aucun constructeur. Il bénéficie, toujours grâce à Internet, d’une puissante communauté technique. Ceci dit, nous n’adoptons pas Linux à la place des autres systèmes car, il va sans dire que le dernier né n’a pas vocation à tout faire. Nous l’inscrivons donc à notre catalogue comme un composant de base pour certaines solutions. Dans cette optique, nous favorisons le dialogue avec nos autres systèmes comme le montre la partition Linux que nous offrons depuis peu sous OS/390, le système d’exploitation de nos « mainframes ». Q : Est-ce à dire que Linux serait en passe de réussir là ou Unix a clairement échoué ? IWB : En effet, Unix a fait de telles promesses dans le passé. Mais, dans le contexte des années 80, chaque constructeur s’est empressé d’en faire un produit différent, d’où les Aix, HP/UX et autres Solaris. Internet a montré une autre voie, celle de la coopération basée sur une nouvelle culture. C’est pourquoi il n’y aura jamais à mon sens de Linux à l’estampille IBM, pas plus qu’il n’y aura un « HP/Linux » ou un « Sun/Linux ». Q : Tout cela n’est-il pas, en fin de compte, dangereux pour le business d’IBM ? IWB : Non dans la mesure où le vrai fonds de commerce de la compagnie consiste à aider les entreprises à bâtir des solutions adaptées à leurs besoins spécifiques. Dans cette optique, le tandem Internet/Linux apporte de nouvelles briques qui facilitent l’intégration dont ces solutions ont grandement besoin. L’erreur pour IBM – comme pour tout autre constructeur – serait de bâtir son modèle économique autour d’un seul composant. Le modèle économique d’IBM tourne autour de toute la solution livrée au client, incluant le matériel, le logiciel ainsi que les services d’accompagnement, y compris le conseil.Q : On dit qu’IBM a adopté Linux sous la pression des utilisateurs. Est-ce exactnbsoeiWB : C’est plutôt sous la pression d’un marché demandeur de nouvelles solutions qu’IBM s’est lancé dans l’aventure Linux l’an dernier, aussitôt suivi par nombre de ses concurrents.Q : Un an après cette entrée en fanfare, le chiffre d’affaires généré par Linux est-il significatif pour un géant tel IBM ? IWB : L’activité Linux est en phase de démarrage pour IBM?les chiffres ne sont donc pas parlants. Cependant, si l’on compte tout le business engendré, incluant les ventes de serveurs, de « middleware », de logiciels et de services, il va sans dire que l’activité pèsera plusieurs milliards de dollars d’ici quelques années. Un des facteurs qui devrait aider à la maturation du marché est le développement des places de marchés électroniques. Ces dernières nécessitent en effet beaucoup de briques Linux. Q : La maturité du marché est une chose, la maturité des utilisateurs en est une autre. Selon vous, les clients IBM pensent-ils à Linux pour leurs applications critiques ou dans la cadre de grands projets ? IWB : Les plus gros projets que je connaisse à l’heure actuelle sont ceux des communautés d’utilisateurs de supercalculateurs. Par contre, ce que l’on voit de plus en plus, ce sont de « petits projets » conçus de façon modulaire et qui finissent par compter des milliers de serveurs Linux. Ce constat est très courant chez les fournisseurs d’accès Internet et de services d’hébergement. C’est pourquoi je pense que cette modularité risque d’être une constante dans tous les projets Linux, ce qui implique par construction des applications ayant une forte composante réseau. A ce sujet, il est bon de rappeler que c’est le terrain de prédilection de Linux, nous sommes donc en plein dans les systèmes distribués. Q : Ne peut-on craindre que cette typologie ne limite l’usage de Linux à des « applications simples, voire simplistes » ? IWB : C’est en partie vrai. Je pense en effet qu’avec ce système d’exploitation, nous entrons dans l’ère des applications dédiées et modulaires, avec en outre une forte connotation réseau. Là où Linux n’a toujours pas trouvé sa voie, c’est dans les applications transactionnelles. Cela risque de lui demander beaucoup de temps, du moins si j’en juge par celui qu’il aura fallu à Windows NT pour prouver ses capacités sur ce terrain spécifique. Malgré quoi, une partie de la profession est toujours profondément convaincue qu’Unix reste très supérieur à Windows NT dans les applications transactionnelles mettant en jeu de grandes bases de données. Les points faibles de Linux nous permettent de jouer facilement la complémentarité avec les environnements où le transactionnel est de mise, de l’OS/390 à l’OS/400 en passant par Aix.Q : Peut-on parler d’ « applications naturelles » de Linux ? IWB : Ce sont clairement les applications de communication ayant un caractère dédié, modulaire, embarqué, et les applications où le calcul intensif est nécessaire. Q : Les Unix traditionnels laisseront-ils à terme la place à Linux ? IWB : Les plus importants subsisteront à cause justement de leurs possibilités transactionnelles.Q : Peut-on en dire autant du projet « Monterey » qui arrive visiblement trop tard et qui est loin d’avoir à son actif le consensus de toute l’industrie comme c’est le cas pour Linux ? IWB : Je n’ai aucune crainte au sujet du projet « Monterey » car c’est essentiellement une nouvelle version d’Aix destinée aux plates-formes 64 bits à base de composants Intel (IA-64) et qui utilise quelques morceaux de code de Santa Cruz Operation et de Sequent. Q : Beaucoup d’utilisateurs se plaignent de voir que les constructeurs se contentent d’ajouter des systèmes d’exploitation à une liste déjà longue?alors qu’une certaine rationalisation aurait été préférable à leurs yeux. Que leur répondez-vous ? IWB : Chez IBM, nous ne supportons que les systèmes que nous estimons stratégiques, ce qui est le cas pour Windows (client ou serveur), Aix, OS/400, OS/390 et depuis peu Linux. Par contre, chaque entreprise se doit de limiter le nombre d’environnements à supporter sous peine de perdre en efficacité et en pertinence de son système d’information. La problématique n’est donc pas la même selon que l’on est constructeur ou utilisateur.Q : Où en est l’offre Linux chez IBM oeiWB : Actuellement, notre offre tourne pour l’essentiel autour des serveurs Netfinity et de quelques « clients traditionnels » tels que ThinkPad et quelques « clients légers ». La partition Linux sur « mainframe » que nous avons évoquée plus haut vise le créneau des applications transactionnelles de commerce électronique. Une partition Linux sous OS/390 permet d’échanger des données issues de la base de données directement au niveau de la mémoire et donc beaucoup plus rapidement qu’au travers du réseau. Q : Et Linux sur AS/400 ? IWB : Nous sommes en train d’évaluer différentes solutions techniques de portage sous OS/400 qui seront lancées cette année. Par ailleurs, nous développons aussi des interfaces entre Aix et Linux qui seront annoncées d’ici le mois de juin. Q : Qu’en est-il des services ? Je me souviens que l’an dernier à même époque, IBM faisait appel à de petites SSII spécialisées pour répondre à la demande ! IWB : Nous sommes encore en train de développer nos compétences sur ce terrain. Cela risque de prendre quelques mois dans la mesure où la pénurie de profils qualifiés touche tout le secteur informatique. Q : Quel rôle IBM entend-il jouer à terme vis à vis de la communauté Linux ? IWB : Nous travaillons main dans la main avec cette communauté afin d’améliorer Linux sur différents plans. Car, ne perdons pas de vue que Linux reste fondamentalement immature. Parmi les contributions significatives, notre savoir faire en matière de support à distance, développé dans le cadre des PC, sera mis à la disposition de la communauté Linux afin de mieux appréhender et gérer des environnements où les milliers de systèmes Linux seront légion. Notre objectif à terme : faire de Linux un système stable et robuste, répondant aux exigences des entreprises.