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ICO : quand la passion laisse place à la raison

« Au risque de mettre les pieds dans le plat, jusqu’à présent, on a vu du grand n’importe quoi. »

Avis tranché pour Chris Marcilla dans le cadre de l’ICO Conference.

Le président-fondateur du Virtual Currencies Working Group (qui représente les intérêts de l’industrie de la blockchain et des crypto-monnaies au Luxembourg) participait à la première des tables rondes de cet événement organisé au palais Brongniart par Largillière Finance et DS Avocats.

Non sans reconnaître que certains projets « tiennent la route, […] parce qu’il y a une société derrière, avec des équipes et de la propriété intellectuelle », il a exprimé sa circonspection sur ces levées de fonds « new age » effectuées sans intermédiaire, par le biais de registres décentralisés.

Les risques qu’induisent de telles opérations concernent aussi bien les investisseurs que les porteurs de projets.

Pour ces derniers, l’une des principales questions porte sur la qualification du token que les souscripteurs de l’ICO reçoivent en échange de leur contribution.

Le sens d’une ICO

Sur ce point, la prise de conscience est réelle, à en croire Simon Polrot.

Cet ancien avocat, qui s’est lancé dans l’entrepreneuriat avec la start-up VariabL (plate-forme de trading de produits dérivés sur blockchain), affirme que certains projets en arrivent à « s’autocensurer » pour éviter que leurs tokens soient assimilés à des titres financiers – auquel cas l’ICO pourrait tomber sous le coup de la réglementation sur l’appel public à l’épargne.

« Des projets qui partent avec l’idée de donner des droits de vote, des droits à dividendes, aboutissent avec un token qui a beaucoup moins de sens », résume-t-il, en ajoutant : « Une réglementation faite pour protéger les investisseurs aboutit finalement à les léser. »

Dans la troisième édition de son baromètre blockchain trimestriel publiée le mois dernier, Largillière Finance note qu’environ un quart des 253 ICO répertoriées entre 2014 et août 2017 ont impliqué des tokens donnant droit à une participation aux bénéfices de la société. La proportion est similaire pour les tokens donnant des droits de gouvernance.

Doit-on parler de point névralgique ? D’après Simon Polrot, « si votre token n’a pas de sens […], les chances de succès de votre ICO sont relativement faibles. »

Des bitcoins à dépenser

Pour Christophe de Courson, d’Argentic Group (consortium d’entreprises de la blockchain et des crypto-monnaies), l’utilité des tokens a d’autant plus d’importance qu’elle conditionne leur valeur sur les marchés secondaires ; c’est-à-dire les plates-formes où ils vont s’échanger après l’ICO.

Ce processus – facturé jusqu’à 50 bitcoins, alors qu’on était plutôt à 1 bitcoin il y a encore six mois, affirme Chris Marcilla – crée une forme de liquidité, à l’image de ce qui se produit dans le cadre d’une IPO. Sauf que la plupart du temps, les échanges ne peuvent se faire que contre des crypto-monnaies.

L’enthousiasme des investisseurs tient aussi au fait que les premiers bénéficient souvent de « tarifs préférentiels ». Les porteurs de projets jouent par ailleurs quelquefois sur des sociétés ou des personnalités de renom dont ils affichent le soutien, qu’il soit stratégique ou financier.

En l’état, les investisseurs sont issus pour l’essentiel du monde de la blockchain et des crypto-monnaies. Ils se sont pour la plupart enrichis avec l’explosion du cours du bitcoin (réseau valorisé à 93 milliards de dollars au 16 octobre 2017, contre 48,5 milliards au 11 juin et 22 milliards au 22 avril, dans les relevés de Largillière Finance).

Les montants collectés lors des ICO s’en ressentent : la barre des 3 milliards de dollars – soit dix fois les sommes levées entre 2014 et 2016 – pourrait être dépassée sur l’année 2017.

De la place pour tous ?

Chris Marcilla insiste : dans cet emballement, il faut savoir raison garder.

À l’heure où les VC se penchent sur le phénomène, il perçoit un début de rationalisation : « Les investisseurs vont être regardants, vont essayer de comprendre et vouloir aller dans des process de due diligence ». D’autant plus à mesure que les ICO dépasseront la sphère des projets technologiques.

« À un moment, ça tombera dans le domaine public, au sens où toutes les entreprises s’y mettront », estime Christophe de Courson, qui entrevoit un canal de financement alternatif pour faire le pont entre la levée d’amorçage et la phase ultérieure de capital-développement.

Une ICO fait également sens pour des actionnaires, au sens où elle peut éviter une dilution. Reste le risque que le token soit, même s’il n’est pas présenté comme tel, requalifié à terme sous le prisme de l’offre au public de titres financiers.

« Les porteurs de projets commencent à se rendre compte que ce qu’ils vendent, ce n’est pas simplement l’accès à un service futur, mais c’est parfois des securities, donc une forme d’actions ou d’obligations », confirme Chris Marcilla.

Déchiffrer les projets

Un à un, les régulateurs font passer ce message, sans pour autant prendre position sur certaines questions annexes comme la nature des crypto-monnaies.

En France, l’Autorité des marchés financiers est entrée en phase de consultation publique sur plusieurs pistes d’encadrement des ICO. Son approche, basée sur le risque, s’est traduite par un avertissement sans équivoque à l’adresse des investisseurs : vous pouvez perdre gros dans ces opérations « hautement spéculatives ».

Simon Polrot relativise la situation : « C’est presque une démarche d’investisseur classique : est-ce que la documentation décrit l’état du marché tel qu’il est aujourd’hui ? Est-ce que les porteurs du projet ont bien conscience des défis qu’ils ont à relever et des moyens qu’ils vont employer ? »

Pour l’ancien avocat, la valeur d’une ICO réside dans la notion d’écosystème. En d’autres termes, la capacité à créer une monnaie d’échange qui va permettre d’accéder à un réseau de services et de partenaires.

Ce qui lui fait dire que les ICO « d’infrastructure » sur lesquelles on va greffer des services (à l’instar du système de stockage objet décentralisé Storj) sont particulièrement pertinentes.

Au-delà de la documentation, il faut être capable de lire le smart contract, c’est-à-dire le code informatique qui sous-tend la levée de fonds.

Face à cet enjeu qui requiert un minimum de connaissance de la technologie, Chris Marcilla considère que la structuration de la filière passera par la constitution de fonds d’investissement gérés par des professionnels qui sauront appréhender de tels risques.

Issues judiciaires

Il n’est pas indispensable de constituer une société pour réaliser une ICO. Des montages de type fondation sont tout à fait envisageables. Ethereum a choisi ce modèle, tout comme Tezos, qui a levé 232 millions de dollars en juillet par le biais d’une entité de droit suisse.

Problème : on n’a toujours pas vu la couleur de sa blockchain alternative, portée par un mécanisme de gouvernance dit plus souple que celui de Bitcoin.

Le fondateur Arthur Breitman prévoit désormais un lancement en février 2018 au plus tôt, alors qu’il était initialement question d’une disponibilité au cours de l’été 2017.

Les premières actions en justice commencent à tomber : deux recours collectifs ont été enclenchés en moins d’un mois.

Les plaignants estiment que l’ICO aurait dû faire l’objet d’une déclaration au régulateur financier américain, le token s’apparentant à une forme d’action donnant le droit d’obtenir une certaine quantité de crypto-monnaie au démarrage du service (Tezos a, pour sa part, faire passer l’opération pour une donation).

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