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« C’était mon idée ! » : ces plagiats qui gangrènent les projets Kickstarter

Jusqu’où les entrepreneurs peuvent-ils aller dans leur communication sur les plates-formes de financement participatif ?

C’est l’une des questions qui se posent au regard de l’ampleur que prend le plagiat des projets Kickstarter.

Expert des médias sociaux, Hervé Kabla tire la sonnette d’alarme sur son blog. Il pointe du doigt une société de droit allemand nommée Hirams Trade GmbH et dont la particularité est de multiplier les copies de produits innovants.

L’un d’entre eux, baptisé LayBag, s’inspire très fortement du Lamzac Hangout, pouf gonflable commercialisé par la marque Fatboy, créée il y a une vingtaine d’années aux Pays-Bas.

Et pouf(s) !

De nombreux pays ont dû attendre plusieurs mois entre l’annonce du Lamzac et sa livraison effective. Ce qui a laissé du temps à d’autres acteurs pour se positionner sur le créneau… sans forcément considérer les enjeux de propriété intellectuelle.

Illustration avec le KAISR, porté par l’entreprise éponyme et qu’on a vu émerger (non sur Kickstarter mais sur Indiegogo) au printemps 2016, alors que le Lamzac n’était pas encore disponible en France.

Les internautes ont financé le projet à hauteur de plus de 4 millions de dollars. Mais la plupart d’entre eux risquent de ne jamais en voir la couleur, comme on peut le constater à la lecture du fil de commentaires sur un article que le blog Cuboak a consacré au LayBag.

Un utilisateur explique avoir reçu, de la part de KAISR, un e-mail l’informant de l’impossibilité de lui livrer le produit, pour cause de procédure judiciaire intentée par Fatboy.

La marque néerlandaise a pris des mesures face à ce qu’elle considère comme du plagiat. Elle a notamment ajouté, dans le descriptif de son produit sur Amazon, la mention : « Attention aux copies, faites confiance à l’original ! (Lamzac The Original est le seul produit légalement commercialisable, Fatboy ayant déposé un brevet) ».

Le brevet en question a été validé l’été dernier par l’USPTO (« United States Patent and Trademark Office », assimilable à notre Institut national de la propriété industrielle).

Il ne s’agit pas d’un brevet technologique, mais d’un brevet de design, portant donc sur le modèle et le dessin du Lamzac. Ce qui n’a pas empêché Fatboy de l’emporter face à KAISR, condamné à verser 33 000 euros de dommages-intérêts, frais d’avocat inclus, et à stopper la commercialisation de son pouf gonflable en Europe.

Copies en série

Les contentieux ne vont pas toujours jusqu’à la sanction pécuniaire. Illustration avec ce fabricant polonais qui, attaqué peu après la mise en vente de son pouf, s’est mis à travailler sur son propre concept.

Le périmètre d’activité de Hirams Trade GmbH ne se limite pas au rayon meubles. Outre laybag.com, les noms de domaine pockindo.com et suprellapro.com sont associés à l’entreprise allemande.

Le premier fait office de site vitrine et de boutique pour le TravelPillow, un coussin de voyage vendu 57 euros. Le second permet d’acheter le Suprella, un parapluie qui se ferme « par l’intérieur » pour éviter de se mouiller.

Hirams Trade dispose aussi d’une page Amazon où une demi-douzaine de produits sont actuellement mis en avant.

Concernant le TravelPillow, il a été présenté sur Kickstarter… avec les mêmes images et les mêmes vidéos de démonstration que le Woollip, financé quelques semaines plus tôt (entre mars et mai 2016) à près de 250 000 euros.

Quant au Suprella, il n’est pas passé par la case crowdfunding, mais ressemble à s’y méprendre au KAZbrella, qui a récolté près de 300 000 euros sur Kickstarter.

Protéger les inventions

Que retenir pour les créateurs ? La nécessité de protéger ses inventions dès lors qu’on les expose sur des plates-formes de financement participatif.

Prévenir pour mieux guérir ? Dans la pratique, il n’est pas toujours facile de repérer les copies. Tout particulièrement dans l’immensité de la sphère e-commerce chinoise.

Il n’est pas rare que des internautes découvrent le pot aux roses et en fassent part aux entrepreneurs dont ils ont soutenu le projet.

C’est arrivé à Slughaus, dont la mini-lampe de poche Bullet a été financée à plus de 350 000 dollars en février 2016 sur Kickstarter, avec un ticket d’entrée à 8 dollars. On la retrouve, depuis peu, en précommande à 4,99 dollars sur Banggood, sous la marque Astrolux.

Pressy a connu la même mésaventure. Le « bouton à tout faire », qui se connecte à la prise jack des smartphones, avait réuni près de 700 000 dollars en octobre 2013 sur Kickstarter.

Les copies n’ont pas tardé à affluer. On en retrouve aujourd’hui à la pelle sur des marketplaces comme Aliexpress. La campagne et ses suites ayant globalement déçu, les « backers » vont jusqu’à prétendre que ces « imitations » sont parfois de meilleure qualité…

La production a parfois à peine débuté quand les premières copies font leur apparition.

Antsy Labs en a fait l’amère expérience avec son Fidget Cube, lui aussi financé avec succès sur Kickstarter (6,5 millions de dollars en octobre 2016 avec 155 000 contributeurs).

Les livraisons de ce « cube antistress » étaient initialement annoncées pour décembre. Elles ont été retardées pour « un problème de qualité ».

Du côté des « backers », on suppute une erreur du fabricant, qui, face au probable refus d’Antsy d’acheter la marchandise, a sans doute décidé d’écouler sa production par d’autres canaux, au mépris d’éventuels défauts.

Au fait des événements, Antsy Labs a dû émettre un avertissement : en l’état, toute annonce de vente correspond à de la contrefaçon ; ou bien le vendeur n’a tout simplement aucune intention d’envoyer quoi que ce soit.

Culture chinoise

Le magazine Quartz s’était intéressé, en octobre dernier, à ces projets Kickstarter copiés parfois même avant la fin des campagnes de financement.

En guise d’exemple, le calvaire d’un entrepreneur israélien dont la Stikbox (coque de smartphone se transformant en perche à selfie), présentée aux internautes en décembre 2015, était copiée à peine une semaine plus tard, pour cinq fois moins cher et sous le même nom.

D’après Quartz, ce modèle est devenu la norme entre les sous-traitants asiatiques, qui ont adopté, dans une philosophie inspirée de l’open source, une culture de « partage de connaissances » : aucun design de produit n’est exclusif ; ce qui compte, c’est d’industrialiser au plus vite.

D’où l’importance, pour les porteurs de projets, de mettre les choses au clair sur le papier, en signant, avec les fournisseurs, des accords interdisant notamment la réutilisation de propriété intellectuelle et une commercialisation « hors circuit ».

Reste qu’il est difficile, une fois le doigt mis dans l’engrenage, de se retourner contre une multitude de sous-traitants.

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