Aujourd’hui, Netflix va officiellement démarrer ses activités commerciales en France. L’arrivée du service Internet américain, qui privilégie l’exploitation en VaDa (vidéo à la demande par abonnement ou SVoD en anglais) pour l’accès à des séries ou des films en streaming, en consultation illimitée et en multi-appareils (TV, tablette, smartphone, console de jeu et ordinateur), constitue un évènement majeur.
De quoi faire trembler à la fois le secteur audiovisuel et celui de l’Internet ?
Avec plus de 48 millions d’utilisateurs dans plus de 40 pays (la France sera la huitième implantation européenne), Netflix poursuit donc son expansion géographique.
« Netflix, qui va proposer 3 offres comprises entre 7,99 euros et 11,99 euros par mois aux internautes français, ne devrait pas se substituer aux chaînes de TV traditionnels car en France, il n’est pas dans les habitudes de payer pour regarder la télévision », considère Ariane Bucaille, Associée responsable Technologies, Médias et Télécoms chez Deloitte (audit & conseil), dans une alerte presse.
« Le modèle intelligent de Netflix repose donc sur une stratégie tarifaire très attractive mais également sur son moteur de recommandation très affiné qui permet de satisfaire précisément les goûts des abonnés et de masquer ainsi la relative pauvreté de ses contenus récents. »
Nous avons poursuivi l’entretien par téléphone avec cette experte TMT. (réalisé le 12/09/14)
ITespresso.fr : Pourquoi vit-on l’arrivée de Netflix en France comme un psychodrame ?
Ariane Bucaille : Le microcosme français de l’audiovisuel est assez sensible. On estime que Netflix sera un succès en France mais que le service sera consommé en complément de la télévision traditionnelle. Mais cela ne remettra pas en cause le modèle économique des acteurs traditionnels de l’audiovisuel. Il faut également relativiser le poids de la SVoD. En Europe, ce segment du marché VoD représente 1,5% du chiffre d’affaires de la télévision payante en 2014. Ce sera une part de 2,7% en 2018.
ITespresso.fr : Peut-on imaginer un effet rouleau compresseur sur le marché français ?
Ariane Bucaille : Non. Aux Etats-Unis, 92% de la population dispose d’un abonnement payant à la télévision. Quelle est la part ayant coupé leur abonnement avec l’arrivée de Netflix ? 0,2%. Au Canada, c’est 0,07%. Il n’y aura pas de séisme annoncé. Son arrivée aura peut-être un impact sur le nombre d’heures passées devant la télévision traditionnelle (en moyenne 27 heures par semaine aux Etats-Unis). On pourrait objecter que Netflix vise plutôt des cibles qui regardent très peu la TV. Mais, en observant l’expansion géographique de Netflix sur divers marchés, nous n’avons jamais observé de réelle déstabilisation.
ITespresso.fr : TF1, Mo, Canal Plus…Pourquoi n’avons-nous pas assisté à la concrétisation d’alliances stratégiques de groupes audiovisuels en France pour contrer Netflix ?
Ariane Bucaille : Tout dépend de la stratégie des groupes concernés. Mais on pourrait aller plus loin dans le raisonnement au-delà du cas franco-français : pourquoi n’avons-nous pas observé d’initiatives dans ce sens au niveau européen ? C’est également une question de taille critique : Netflix ne produit pas tant de contenus que cela mais il doit étendre ses activités d’un point de vue géographique pour parvenir à la rentabilité. Même en unissant les forces des groupes audiovisuels en France, serait-il possible d’aligner 125 épisodes de séries produits par an comme le propose Netflix ? Il faut des moyens financiers qui dépassent nos frontières.
ITespresso.fr : En fait, le choc de Netflix ne se résume-t-il pas finalement à un simple choc des cultures ? Entre la vision de la télévision linéarisée (traditionnelle avec des flux de programmes imposés) des groupes audiovisuels traditionnels et les contenus vidéo délinéarisés (VoD ou SVoD) exploités par Netflix…
Ariane Bucaille : C’est évidemment un choc des cultures. Mais, en l’état actuel, les Français préfèrent la télévision linéaire. Je ne suis pas en train de vous dire qu’il s’agit d’une vision pérenne. A horizon 10-20 ans, se cachent de profonds changements compte tenu des évolutions démographiques (les jeunes regardent de plus en plus des vidéos sur leur PC).
ITespresso.fr : Après le comportement des groupes audiovisuels, passons aux opérateurs télécoms. Comment interpréter le fait qu’aucun FAI français n’ait signé d’accord stratégique avec Netflix ?
Ariane Bucaille : Là aussi tout dépend de la stratégie des groupes concernés. Le cas de la France n’est pas spécifique. Sur d’autres implantations de marchés, nous observons que Netflix est souvent arrivé en solo. Nous avons recensé des accords en Grande-Bretagne avec Virgin Media (via la set-top box Tivo) et en Suède. Le deal porte souvent sur une meilleure exposition marketing du service Netflix sur l’interface d’accueil de la box en échange d’une option d’abonnement du côté du client pour bénéficier d’un accès privilégié aux contenus vidéos.
ITespresso.fr : En France, on peut craindre des tensions dans la gestion de la bande passante sur les réseaux des opérateurs en fonction de l’appétence des internautes pour les contenus vidéo de Netflix. Dans quelle mesure peut-on s’attendre à des négociations avec les opérateurs télécoms « pour soulager les réseaux » ?
Ariane Bucaille : Aux Etats-Unis, en avril 2014, le trafic descendant généré par Netflix représentait 34%. Vous ajoutez le trafic YouTube, c’est 14%. L’activité de Netflix a un impact fort sur les réseaux des opérateurs américains. En France, on peut imaginer que la situation sera difficile à gérer à l’avenir. La fibre optique ne couvre pas encore tout le territoire national. De son côté, Netflix exploite des formats vidéo en HD et commence la 4K (« ultra HD »). La plateforme vidéo a dû signer des accords avec Comcast et Verizon pour contribuer à l’utilisation des réseaux. La question se posera inévitablement avec les opérateurs télécoms français.
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