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Interview Christian Poyau – MEDEF : la transformation numérique, « un virage fort et nécessaire »

Le MEDEF veut participer au débat sur la transformation numérique des entreprises, tous secteurs d’activité confondus.

Elle s’y implique de différentes manières, notamment à travers l’organisation d’Université du Numérique (la deuxième session se tiendra à Paris entre le 16 et 17 mars prochain).

La commission permanente sur la transformation numérique du MEDEF est actuellement présidée par Christian Poyau (par ailleurs Président fondateur de la SSII Micropole).

Ce matin, il s’est prêté à un exercice de prospective à l’horizon 2025 dans le cadre du salon ROOMn (marketing, mobilité et sécurité) qui se déroule actuellement à Monaco.

En effectuant un bond virtuel dans le futur, il anticipe pêle-mêle l’essor des drones taxis et des voitures connectées, amenant la « quasi-disparition des taxis et VTC ». Les puces intégrés dans le corps humain deviendront banales (ce qui posera des « sujets éthiques prégnants », tempère-t-il), la fonction de Chief Digital Officer va disparaître car « tout le monde sera concerné par le digital ».

Sur les slides associés à sa prestation dans l’auditorium du Forum Grimaldi, il est évoqué des changements de paradigmes dans des business cases. Pour le secteur automobile, 20% du CA d’un groupe sera tiré de la vente de data. Tandis que le numéro un français de l’hôtellerie (en référence à AccorHotels) tirera 15% de son chiffre d’affaires de la location de chambres chez l’habitat…

En marge de son intervention, ITespresso.fr s’est entretenu avec Christian Poyau pour prolonger le débat sur l’économique numérique.

(Interview réalisée le 9 mars 2016)

ITespresso.fr : Comment appréhendez-vous la transformation numérique au sein du MEDEF ?

Christian Poyau : C’est une préoccupation extrêmement forte au sein du MEDEF, le numérique et la transformation des entreprises représentent un levier majeur pour gagner en compétitivité et regagner des parts de marché. Les entreprises du CAC 40 sont globalement conscientes des enjeux. C’est plus compliqué pour les entreprises de taille intermédiaire et les PME. Les attitudes sont diverses entre crispation, attentisme ou interrogation (comment aborder le sujet).

Un entrepreneur, c’est avant tout un citoyen. Lui aussi à son smartphone. Maintenant, il y a des degrés divers entre l’urgence, l’envie et les moyens à mettre en place pour évoluer.

ITespresso.fr : La prise de conscience est-elle globale sur les changements organisationnels induits ?

Christian Poyau : Non. La transformation numérique, c’est d’abord une question organisationnelle avant de parler technologie. C’est toujours difficile de faire évoluer les pratiques. Et même quand c’est compris, la mise en œuvre peut se révéler compliquée. Il y a des freins mécaniques et humains car on change les rôles dans les responsabilités et les hiérarchies.

Au sein du MEDEF, nous essayons de détecter les champions du numérique. C’est à dire des entreprises traditionnelles qui ont franchi le pas du numérique comme dans le secteur de la biscuiterie ou du BTP. C’est une affaire de networking pour partager les expériences et les expertises. Je fais beaucoup de conférences dans les relais régionaux du MEDEF et l’assistance est dense et attentive. Nous mettons à disposition des outils d’auto-évaluation pour savoir où en sont les entreprises  dans cette transformation numérique.

La prise de conscience sur les impacts en termes d’organisation et de business models est un premier pas.

ITespresso.fr : Le MEDEF avance des propositions sur l’économie collaborative alors que le député Pascal Terrasse a remis au gouvernement un rapport sur ce thème. Peut-on parler de convergence de points de vue ?

Christian Poyau : Globalement, nous sommes assez en phase avec les conclusions du rapport Terrasse. Déjà dans l’état d’esprit : l’économie collaborative est perçue comme une nouvelle forme d’activité qui crée des emplois. Aidons-là à se développer. D’autres rapporteurs auraient pu mettre en premier l’accent sur la dimension de la taxation.

Autre point partagé : il faut réduire les distorsions de concurrence. Il est évident qu’un hôtelier d’une ville donnée fait face à Airbnb. Alors que les contraintes règlementaires et les logiques de fiscalité sont différentes.

Mais nous avons aussi certains points de divergence vis-à-vis des conclusions du rapport Terrasse : il ne s’agit pas d’aligner vers le haut les normes de fiscalité et de contrainte mais de les aligner vers le bas. Nous trouvons que le vrai sujet, c’est de réduire le poids des normes, de la fiscalité et le coût du travail. Du coup, nous prenons du recul vis-à-vis de certains points techniques. Mais l’état d’esprit général était bon.

Le volet de la multi-activité ne va pas devenir une norme pour tous. Mais ce sera une dimension importante dans l’évolution des formes de travail. C’est une attente d’une partie des gens et cela ne remet pas en cause le CDI. C’est une question de flexibilité sur le marché de l’emploi.

ITespresso.fr : Dans l’exercice de prospective que vous avez esquissée lors de la plénière inaugurale du salon ROOMn, vous considérez que « tout le monde sera concerné par le digital » à l’horizon 2025. Est-ce vraiment crédible ?

Christian Poyau : Ca avance mais pas assez rapidement. Il est impératif que le tissu industriel de la France prenne un virage fort dans le digital face aux Etats-Unis et la Chine.

D’autant plus que nous disposons de tous les leviers : nous avons des écoles d’ingénieurs brillantissimes, un bassin de start-up considérable que nous avons exposées au CES, de la recherche et du financement. Et, à titre individuel, les Français sont très consommateurs de services digitaux.

ITespresso.fr : On a le sentiment d’un message confus à propos du numérique. Certains experts évoquent la contribution au PIB et la création d’emplois. D’autres mettent en avant la destruction d’emplois associés à la robotisation, l’automatisation accentuée des tâches et l’intelligence artificielle. Ne faudrait-il pas clarifier le débat ?

Christian Poyau : Soyons clairs : Uber a créé des emplois en France. Même si le travail a un certain nombre de contraintes. Mais beaucoup de personnes étaient au chômage et ont retrouvé un emploi. Ils peuvent gagner parfois 1500 ou 2000 euros. Ce n’est pas phénoménal mais c’est éminemment respectable. Cela crée de l’activité.

Alors, le numérique génère ou détruit-il de l’emploi ? Personne ne le sait vraiment. Nous sommes au début d’un phénomène difficile à percevoir. S’il est évident que le numérique détruit des emplois, d’autres sont créés autrement. C’est un mouvement complexe de changements, comme nous en avons observé lors de précédentes révolutions. Soyons optimistes sur ce genre de choses.

L’économie collaborative pèse entre 3 et 4 milliards d’euros en France. Cela crée du pouvoir d’achat et de l’activité que l’on ne sait pas mesurer dans le PIB. Cette économie n’est mesurée nulle part.

ITespresso.fr : Considérez-vous que l’Etat est suffisamment stratège en matière de numérique ?

Christian Poyau : Pas complètement même si l’Etat a pas mal bougé dans les process de traitement comme le traitement des impôts. Mais il a encore tendance à trop intervenir. On l’a vu avec le cloud souverain qui a été un fiasco total. Il faut bien jauger le dégré d’interventionnisme.

Certaines personnalités comme Emmanuel Macron ont une compréhension assez fine des enjeux du digital. Mais globalement, le niveau est faible dans la classe politique, quelle que soit la tendance. On observe la même chose chez les syndicats.

ITespresso.fr : Pensez-vous que le numérique jouera un rôle important dans la prochaine élection présidentielle ?

Christian Poyau : Oui, mécaniquement. Il est intéressant de constater la montée d’une forme de démocratie participative à travers les réseaux sociaux et les pétitions en ligne. Mais la démocratie reste la démocratie. Et le vote reste le seul vrai juge de paix.

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