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Interview Fabrice Dumans – Timyo : le droit à la déconnexion devient une opportunité business

La start-up Timyo a été fondée par deux entrepreneurs français vivant à Los Angeles (Fabrice Dumans et Alfred Vericel). Et elle s’intéresse au droit à la déconnexion à la française (voir encadré en bas de l’article).

Voici le cocktail détonant de cette jeune pousse derrière laquelle se cache l’acronyme « Time Is My Own » (« Je gère mon temps comme je le veux »).

Fabrice Dumans s’est rendu sur le salon SIRH qui s’était déroulé fin mars à Paris. ITespresso.fr l’a rencontré sur place. Sa start-up Timyo disposait d’un stand pour la première fois. Une manière de souligner son intérêt pour le marché français alors que le droit à la déconnexion est désormais ancré dans la loi.

Brevet à l’appui, Timyo est une solution e-mail d’entreprise visant à fluidifier le traitement des e-mails face à la « tyrannie de l’immédiateté ».

Créée en 2013, la start-up a levé en tout 6,5 millions de dollars avec une surprise dans le financement : 5 millions de dollars proviennent du groupe holding Artemis (famille Pinault).

Timyo revendique « 50 000 activations » (des personnes ayant téléchargé l’application professionnelle associée à la messagerie), correspondant à plus de 150 équipes « engagées » (organisées en cellules ou en divisions au sein d’un groupe).

« Nous ne disposons pas encore de cas de clients qui ont adopté notre solution à tous les niveaux de la société », admet Fabrice Dumans.

Après avoir démarré avec une application sous iOS, Timyo a lancé une version Android en février. Des modules d’extension (plug-in) sont disponibles pour les principaux outils de messagerie comme Outlook via Office 365 (Microsoft) et Gmail (Google). L’équipe de la start-up (22 collaborateurs) est éparpillée entre la France (17 développeurs), les Etats-Unis et la Biélorussie.

ITespresso.fr : Quel constat avez-vous réalisé avec Timyo ?

Fabrice Dumans : J’ai toujours travaillé dans des sociétés technologiques victime de l’e-mail overload [saturation du volume d’e-mails à traiter, ndlr]. Une pathologie dont tout le monde est victime.

Tous les antidotes se trouvaient du même côté : le destinataire du message. En effet, traditionnellement, on essaie de régler le problème en installant des filtres et organisant sa façon de répondre aux e-mails comme on peut.

Personne n’avait regardé de l’autre côté : celui de l’émetteur. Car le bourreau, c’est l’émetteur. Le rôle de Timyo, c’est de responsabiliser l’émetteur pour qu’il soit plus clair dans la communication avec le destinataire.

Un des éléments-clés de cette impression d’avalanche d’e-mails est lié en grande partie à ce caractère implicite de répondre vite. Mais rien n’est dit là-dessus. C’est juste une habitude que l’on a tous pris. On parvient même à se culpabiliser si l’on répond trois jours après la réception d’un e-mail.

Le sentiment de stress et de burn-out est lié à cette pression implicite de la rapidité. C’est un vrai sujet d’entreprise : le burn-out touche d’abord les meilleurs collaborateurs. Ceux qui se sentent engagés.

Il ne faut pas mésestimer les habitudes prises. La conduite du changement est importante qu’il faut intégrer dans un projet plus global. Et l’exemple doit venir d’en haut. C’est collectivement que l’on peut tous desserrer l’étau.

ITespresso.fr : Quelle réponse apportez-vous avec Timyo ?

Fabrice Dumans : Nous remettons le paramètre temps dans la gestion de la messagerie. Avec ce principe : quand on envoit un e-mail, on précise une échéance de réponse par un système de codes couleurs. Ce qui permet au destinataire de gérer les priorités par e-mail.

Le meilleur levier pour faciliter cette tâche, c’est vraiment l’expéditeur. Ce manque d’information sur le temps accordé à la réponse a entraîné la surenchère de la vitesse au-détriment de notre bien-être au travail.

On a fait un gros travail d’implémentation au sein de l’existant. Le fait d’installer Timyo ne change rien à la manière dont vous travaillez avec votre boîte e-mail. Progressivement, l’usage de Timyo apparaît comme une plus-value. Par exemple, notre solution se présente sous forme de plug-in dans Office.

C’est une option active mais discrète pour faciliter l’adhésion. Il a nous a fallu deux ans pour valider l’expérience utilisateur et l’aspect technique car nous voulons être compatibles avec tous les fournisseurs de services de messagerie comme Gmail, Outlook, Yahoo…

ITespresso.fr : Tous les P-DG veulent avoir des réponses rapidement…Une réponse à un e-mail dans plusieurs jours, vous en avez parlé à Travis Kalanick (le bouillonnant CEO d’Uber qui vit dans la Silicon Valley) ?

Fabrice Dumans (petite hésitation) : Ce dirigeant, c’est peut-être l’exception…Mais un vrai P-DG conscient des risques de burn-out de ses plus proches collaborateurs doit être en mesure de comprendre qu’une réponse par e-mail peut attendre deux jours.

Dans certaines occasions, il est vrai que la vitesse constitue un atout. Mais considérer le mode « ASAP » [as soon as possible, ndlr] comme un fonctionnement par défaut serait une erreur. Nous voulons introduire la bonne vitesse de réponse pour le bon sujet.

ITespresso.fr : Comment allez-vous décliner votre offre sur le marché français ?

Fabrice Dumans : Après les Etats-Unis, nous lançons effectivement notre offre BtoB en France. Le sujet du droit à la déconnexion nous a incités à accélérer le mouvement et à démarrer la commercialisation en France. On pense que l’on apporte une réponse pertinente.

Nous ne disposons qu’une version en anglais pour l’instant mais nous avons des utilisateurs dans le monde entier : au Brésil, en Finlande, en Inde…Il faut que l’on développe nos interfaces en français. D’ici un mois, nous serons en mesure de répondre à cette adaptation.

ITespresso.fr : Comment abordez-vous l’intelligence artificielle dans vos projets R&D ?

Fabrice Dumans : Il faudra penser une interface pensée pour l’IA. Nous avons deux experts français qui sont des sommités dans l’IA qui travaillent sur le sujet pour notre compte.

ITespresso.fr : Comment percevez-vous le droit à la déconnexion à la française ?

Fabrice Dumans : Il représente pour Timyo une vraie opportunité business. Ce droit à la déconnexion n’était pas présent lors de la création de Timyo mais son apparition dans la loi française a validé notre approche.

Il va dans le bon sens pour les directeurs des ressources humaines. Ce droit donne une certaine légitimité à des soucis concrets que les entreprises sont susceptibles de rencontrer comme les cas de burn-out.

Les dispositions légales sont très larges pour éviter justement de cadenasser. Elles permettent de faire des choses innovantes. Mais, si la loi se durcissait pour aboutir à la coupure des serveurs à 18h00, ce serait une catastrophe.

Il y a un momentum, il faut que les RH s’en emparent. C’est un sujet transverse qui touche tous les collaborateurs. Il faut trouver un bon équilibre pour ne pas pénaliser ceux qui font du télétravail ou qui aménage leurs temps de travail.

ITespresso.fr : En préparant l’interview, je pensais que le droit à la déconnexion à la française allait faire rire un entrepreneur installé dans la Silicon Valley…

Fabrice Dumans : Pas du tout. Les Américains, quand on leur parle de cela, ils disent même que l’on a raison. De leur point de vue, ce n’est pas étonnant que cette idée ait germé en France.

Aux Etats-Unis, on dit souvent que « We live to work » (« Nous vivons pour travailler »). En France, c’est plutôt « we work to live » (« Nous travaillons pour vivre »). Je pense que la France est à l’avant-garde d’une tendance de fond.

Cela ne passera pas forcément par un droit similaire aux USA. Là-bas, vous avez des fonctions en entreprise qui s’appellent des Chief Happiness Officer. Cela commence à arriver en France. Certaines entreprises considèrent qu’il faut accorder de l’attention aux collaborateurs.

La caricature de cette tendance, c’est le barbecue collectif, le baby-foot et la table de ping pong. Mais, à travers notre solution Timyo qui consiste à respecter le rythme de travail des autres, on a une carte à jouer.

ITespresso.fr : A quel stade de maturité d’une entreprise la création d’un poste de Chief Happiness Officer se révèle pertinente ?

Fabrice Dumans : Il est évident que ce type de fonction n’arrive pas au stade de la création d’une entreprise. On en trouve surtout dans les sociétés technologiques et numériques qui arrivent à une certaine maturité sur fond de vitesse de croissance qui peut être perçue comme une forme de pression insoutenable. Les collaborateurs ont besoin de compenser cela.

La fonction du Chief Happyness Officer pourrait très bien entrer dans les prérogatives d’un DRH en France. Mais je crois que le fait de distinguer ce titre permet de mieux souligner son importance pour promouvoir le bien-être au travail qui constitue un gain d’efficacité.

En France, les problèmes de mal-être survenus chez Orange ont servi de catalyseur. Dans dix ans, je suis persuadé que tout DRH aura intégré cette mission dans sa feuille de route.

ITespresso.fr : En 2011, Thierry Breton, P-DG d’Atos, anticipait la mort de l’e-mail en raison de l’essor des plateformes collaboratives et des réseaux sociaux BtoB. Comment expliquer cette résilience de l’outil e-mail ?

Fabrice Dumans : Il y a dix ans, Bill Gates [co-fondateur et ex-CEO de Microsoft, ndlr] disait la même chose : l’e-mail est mort. Je vous fais le pari que, dans dix ans, on parlera encore d’e-mail. Pour uns raison simple, l’outil est simple et universel. Et il couvre un besoin vital de l’être humain qui est de communiquer. Après, l’outil va s’améiorer. C’est une certitude et Timyo le fait déjà.

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Droit à la déconnexion : de la théorie à la pratique

Pour préserver les temps de repos et de congé ainsi que la vie personnelle et familiale des salariés, l’article 55 de la loi du 8 août 2016 dite « loi Travail » a introduit un droit à la déconnexion.

Depuis le 1er janvier 2017, les entreprises de plus de 50 salariés ont l’obligation d’aborder ce thème dans le cadre des « négociations annuelles sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail ».

Une manière de réguler les connexions Internet pros en dehors des heures de bureau ou de répondre à un e-mail d’un responsable d’entreprise qui arrive en soirée.

En cas d’absence d’accord sur l’instauration de dispositifs de régulation de l’usage des outils numériques, l’employeur se trouve dans l’obligation d’élaborer une charte après avis du comité d’entreprise (ou, à défaut, des délégués du personnel).

Selon les éléments fournis sur le site Internet du ministère du Travail, cette charte doit définir les modalités d’application de ce droit à la déconnexion.

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(Crédit photo illustration article  : NetMediaEurope)

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