Net-entrepreneur (Captain Dash), Digital Champion représentant la France auprès de la Commission européenne et citoyen engagé, Gilles Babinet signe « L’ère numérique », un essai technico-politique dans lequel il affirme que la révolution numérique sera plus impactante que la première révolution industrielle mais à laquelle nos sociétés et leurs dirigeants ne sont pas suffisamment préparés.
ITespresso.fr : Votre livre parle de co-création, de numérique, de réseaux sociaux, etc… Pourquoi avoir opté pour un format aussi classique qu’un livre en papier ? N’est-ce pas contradictoire avec le message de votre ouvrage ?
Gilles Babinet : L’un des objectifs de mon ouvrage est justement de toucher ceux qui n’ont qu’une faible compréhension de ces enjeux, à commencer par les décideurs politiques, dont j’ai pu constater la difficulté à appréhender une culture qui par essence leur est étrangère. A ce titre j’assume donc totalement le choix du papier.
ITespresso.fr : L’informatique existe depuis 70 ans, l’informatique personnelle depuis 40 ans, le web depuis 20 ans. Mais en lisant votre livre, on a le sentiment que nous ne vivons que les débuts de cette « ère numérique ». Le Meilleur comme le pire, sont ils encore devant nous ?
Gilles Babinet : Dans les modèles biologiques, une nouvelle forme de vie peut exister de façon latente des années durant, avant d’exploser soudainement, parce qu’elle a dépassé un niveau critique. C’est la même chose dans le numérique : comme l’énonce très bien l’inventeur de l’Ethernet « l’efficacité d’un système numérique est égale au carré de son nombre d’acteurs ». Nous avons atteint ce moment ou l’efficacité est en train d’exploser littéralement.
ITespresso.fr : Vous pointez de nombreuses révolutions possibles dans l’industrie, les transports, les services, la santé ou encore l’éducation. Selon vous, laquelle sera la plus impactante sur nos modes de vie ?
Gilles Babinet : C’est une révolution systémique et, à ce titre, elle va impacter tous les secteurs, comme l’électricité l’a fait en son temps. De mon point de vue, les impacts vont être considérables et nous ne sommes qu’au tout début de cette révolution. C’est un peu comme si nous étions en 1880 à l’égard de de la révolution électrique.
ITespresso.fr : Le numérique est créateur de richesses mais également destructeur d’emplois. Faut-il anticiper une société oisive, asservissant robots et ordinateurs, sur les modèles antiques ?
Gilles Babinet : Je sais que parler d’une société sans travail, c’est prendre le risque de se faire assimiler au camp des « rêveurs altermondialiste situationnistes »… Mais il nous faut pourtant nous poser ces questions. J’évoque très largement ce point dans mon ouvrage car je pense qu’une révolution d’une même ampleur que la première révolution industrielle – qui a profondément bouleversé la société française – est sur le point de survenir et que nous n’y sommes absolument pas préparés. Faute de le faire, on risque de créer beaucoup d’inégalité et de dysfonctionnement sociaux. J’évoque quelques idées relatives à ce point également ici
Gilles Babinet : Je ne veux pas stigmatiser une génération en particulier, même s’il est vrai que le modèle construit par nos ainés en affronte à présent un autre, porté par les plus jeunes générations. Ce qui m’importe, c’est que l’on s’empare de ces enjeux et que l’on en débatte, positivement. Je ne prétends pas tout savoir sur le devenir de ces technologies, ni être certain qu’elles n’auront que des incidences positives. C’est d’ailleurs à nous de définir ce que nous voulons en faire plutôt qu’à elle de nous dicter un modèle par les potentialités technologiques. Il faut donc que l’on s’interpelle positivement et de façon transgénérationnelle .
ITespresso.fr : Votre chapitre sur l’Etat est paradoxalement relativement conservateur. Dans quelle mesure une démocratie comptant plus de 600 000 élus pourrait survivre à des technologies favorisant précisément la désintermédiation ?
Gilles Babinet : Depuis des années, je ne cesse de dire ce qu’a exprimé récemment notre président François Hollande. Avec le numérique, l’Etat peut faire beaucoup plus pour incomparablement moins cher. Les domaines de l’éducation, de la santé, de la sécurité, de la justice, pour ne parler que de ceux-là, peuvent être totalement repensés pour un bénéfice collectif immense. Faut-il encore que l’impulsion politique soit là. Et si mon chapitre sur ce sujet est conservateur, c’est que j’ai souhaité que la première marche ne soit pas trop haute. Mais ne nous méprenons pas : à l’égard de la fonction publique, la révolution numérique va être radicale.
ITespresso.fr : A l’instar de deux autres entrepreneurs du numérique (Denis Payre avec « Nous citoyen » ou Rafik Smadji avec « French Paradise »), pourriez-vous vous lancer en politique ? Ou faut-il également réinventer la forme de l’action politique en renonçant à tout mandat électif ?
Gilles Babinet : Je ne crois pas que je pourrais me lancer en politique. Je n’ai pas envie de faire ces compromissions avilissantes, d’adopter ces comportements de mauvaise foi que l’on observe trop fréquemment lors des débats télévisuels. Et puis finalement, je pense avoir un petit peu d’utilité en étant à l’extérieur du système et en adoptant une attitude de critique constructive. Les partis politiques ont abandonné le vrai débat d’idée depuis des années ; je crois désormais plus aux think tank pour mener ces travaux, à l’abri des tentations d’attitude démagogique, à visée électorale. Il est toutefois exact que j’ai la conviction que notre système institutionnel est totalement en déphasage avec la réalité des enjeux de notre société contemporaine. C’est sans doute d’ailleurs sur ce point que le monde politique pratique un comportement autistique le plus marqué.
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