Interview Julien Ducros : Hopus.net veut modifier les jeux de pouvoir dans le transit IP
Dans le secteur télécoms, la start-up française Hopus.net veut promouvoir un modèle économique alternatif lié à l’interconnexion réseau : la terminaison d’appel data. Intriguant.
Hopus.net risque de faire du bruit dans le domaine de l’interconnexion IP. Cette société française, montée par des experts télécoms avec un budget raisonnable (150 000 euros sur fonds propres), veulent promouvoir un modèle économique alternatif lié au transit IP. Au-delà du peering direct (accord entre opérateur télécoms et fournisseur de contenus à l’instar de celui signé entre Orange et YouTube), du recours à des opérateurs de transit IP (Level 3, Cogent…) et des points d’échanges Internet (GIX comme France-IX).
Hopus veut appliquer la terminaison d’appel data. Le principe est résumé comme tel : « Celui qui reçoit et achemine des flux sur son réseau perçoit une rémunération, afin que le trafic circule bien. Celui qui émet paie le juste prix pour que son trafic s’écoule dans les meilleures conditions. » Et, selon Julien Ducros, co-fondateur de Hopus.net, la généralisation de ce modèle économique éviterait bien des tourments dans l’interconnexion réseau comme on a pu le constater dans les affaires Orange – MegaUpload – Cogent ou Free -YouTube plus récemment.
Au risque de toucher au « graal » de la neutralité Internet ?
(Entretien réalisé le 4 février 2014 avec relecture)
ITespresso.fr : Quelle est la genèse du projet Hopus ?
Julien Ducros : Moi et mon associé historique Bertrand Yvain travaillons dans les télécoms depuis 12 ans au travers de l’opérateur IELO (vente de capacité d’hébergement). En exploitant un réseau IP, nous avons acquis une belle expérience dans l’échange des flux, qui a vraiment évolué. Auparavant, les flux étaient symétriques parce qu’échangés entre acteurs de même profil, les diffuseurs de contenus n’étaient pas encore leur propre opérateur indépendant. Progressivement, nous avons perçu le grand décalage entre les deux profils, ce qui a abouti à une très grande asymétrie [référence à la forte consommation de bande passante engloutie par des services gloutons comme YouTube, ndlr]. Le projet Hopus a été lancé dans le courant de l’été 2013. C’est une équipe de 5 personnes réunies dans une structure SAS que l’on a purgée : on a changé le statut, l’actionnariat et on est reparti à zéro. Mais c’est complètement détaché des activités de IELO et de son infrastructure. On est entré dans le vif du sujet à partir de septembre en rencontrant des opérateurs. On a déployé la technique en décembre pour être opérationnel en janvier. En l’état actuel, nous restons dans une phase de pré-production. On commence à déployer des gros volumes sur Paris puis en province. Mais l’accès pour les nouveaux membres demeure restreint pour éviter d’être dans l’impossibilité de livrer tout le monde.
ITespresso.fr : Fondamentalement, dans quelle mesure bouleversez-vous le modèle du transit IP ?
Julien Ducros : On modifie l’organigramme des jeux de pouvoir dans ce domaine. Aujourd’hui, on pourrait dire que les gros acteurs (opérateurs télécoms, diffuseurs de contenus) s’arrangent entre eux. On considère du coup que l’accès des petits diffuseurs de contenus sur les gros réseaux est discriminatoire. Finalement, on a constaté que les gros diffuseurs de contenus étaient également intéressés par cette approche. Que se passe-t-il en l’état actuel ? Les gros opérateurs passent des accords de peering direct entre eux. Soit on passe par un intermédiaire à qui l’on charge de délivrer les paquets IP [opérateurs de transit IP comme Level 3 ou Cogent, ndlr]. Quelle est la valeur ajoutée de ce profil de transitaire pour la diffusion du contenu de proximité c’est à dire à l’intérieur d’un marché comme la France ? Le rôle des opérateurs de transit IP est pertinent pour les échanges internationaux mais pas pour les flux cantonnés sur les réseaux français. D’où l’émergence du profil de Hopus.net, qui tire plus vers le positionnement de transitaire que de point d’échange. On sera uniquement facturé pour le transport effectué d’un point A vers le point B. On oublie les enchères pour le prix du mégabit en fonction de la destination. Dans notre modèle, le contrat et la grille tarifaire sont les mêmes pour tout le monde, quel que soit le profil. Ensuite, c’est l’utilisation du service qui déterminera ce qui sera rémunéré ou facturé.
ITespresso.fr : Donc, vous appliquez le concept de terminaison d’appel data…
Julien Ducros : C’est cela. Une sorte de déclinaison de la terminaison d’appel classique entre opérateurs télécoms. On a fait des recherches : c’est vraiment novateur en Europe et peut-être dans le monde. Le principe appliqué aux télécoms est simple : la structure qui émet des données est responsable des coûts engendrés. De la même façon que l’on envoie un courrier par La Poste, c’est l’expéditeur qui paie l’affranchissement et c’est gratuit pour le destinataire.
ITespresso.fr : Dans l’espace Questions-réponses de votre site, vous faîtes une allusion à Band-X du nom d’une ancienne bourse de trafic qui avait émergé dans les années 2000…
Julien Ducros : Nous nous distinguons de ce modèle qui reposait sur une bourse d’échange avec des prix variant en fonction de l’offre et de la demande. Avec Hopus.net, nous voulons éviter cela. Les prix sont fixes et stables dans les échanges entre opérateurs. Et Hopus sera en mesure de proposer des garanties de qualité de service que l’on ne trouve pas actuellement sur le marché.
ITespresso.fr : On parle de quel niveau de prix ?
Julien Ducros : On communiquera vraiment sur les prix dans le détail quand nous accepterons de nouveaux membres de façon ouverte. Nous ne voulons pas que le débat se focalise sur les prix mais sur le concept. Il y a un prix fixe assez faible de port qui dépend du type de média utilisé, qui permet à tous les opérateurs de se connecter. Par exemple, 50 euros par pour un port 1 Gigabit et 200 euros par mois pour un port 10 Gigabit. La partie variable dépend du volume de trafic échangé sur les ports. Et elle peut devenir importante.
Nous ne facturons pas en-dessous de 1 euro du mégabit en trafic sortant et on ne rémunère pas à plus de 0,95 euros en trafic entrant. Il existe un système de pénalité en cas de manquement à la qualité de service (QoS). Les compensations sont précisées contractuellement mais on ne préfère pas dévoiler les clauses en l’état actuel.
ITespresso.fr : Dans quelle mesure les grands opérateurs adhèrent à ce principe et accompagne le démarrage de vos activités ?
Julien Ducros : Nous avons contacté les gros fournisseur d’accès pour donner de la valeur à Hopus. C’était nécessaire pour intéresser les fournisseurs de contenus. Orange contribue bien : il s’est engagé dès le départ à être rétribué sur le trafic entrant mais aussi à être facturé sur le trafic sortant. Bouygues Telecom a bien joué le jeu également même s’ils sont joignables sur des points d’échange Internet publics. En fait, Bouygues Telecom était plus intéressé par la dimension de qualité. Car, au-delà du nouveau modèle exposé, nous souhaitons engager les opérateurs sur des règles contractuelles strictes et des critères de qualité. Nous pourrons mesurer cette qualité notamment par le déploiement de sondes au coeur du réseau des membres. Au départ, on pensait que Free serait davantage à l’écoute de ce modèle auquel il adhère par principe [revoir à ce sujet une intervention d’Alexandre Archambault, en charge des questions règlementaires au sein du groupe Iliad/Free, lors d’une intervention intitulée « Le peer n’est pas le mal » de janvier 2013 devant les membres du réseau FRNOG, slides PDF]. Des discussions sont en cours avec Free, tout comme avec SFR. C’est étrange car nous pensions qu’Orange serait l’opérateur le plus difficile à convaincre. En fait, c’est lui qui nous a suivi le plus rapidement. Sachant qu’il n’y pas de modèle d’exclusivité : Orange peut continuer à faire du peering direct, tout en ayant recours à nos services parallèlement.
ITespresso.fr : Donc, avec le modèle Hopus, le conflit Free vs YouTube [qualité non satisfaisante de diffusion du service au client final en heures de pointe associée à des engorgements de transit IP, en sachant que l’ARCEP n’a rien trouvé à redire, ndlr] aurait pu être évité ?
Julien Ducros : Typiquement oui. C’est un bon exemple que tout le monde connaît. Le débat sur l’asymétrie du trafic sera aussi intéressant à suivre quand Netflix arrivera en France.
ITespresso.fr : Toujours selon votre espace FAQ, il y a un paragraphe sur la remise en cause de la neutralité Internet. Pourquoi cette critique ?
Julien Ducros : On considère que l’on installe un péage pour aller diffuser des contenus chez les fournisseurs d’accès. Il ne faut pas se voiler la face : c’est déjà le cas. Pour joindre tous les FAI problématiques, directement ou indirectement, il faut déjà payer. Les prix sont établis à la tête du client et ils ne sont pas publics. Cela ne correspond pas à un modèle ouvert. Avec le concept Hopus.net, le contrat est le même pour tout le monde. En plus, nous garantissons la neutralité, contrairement au système en place.
ITespresso.fr : Quelles sont vos priorités pour la première année d’exploitation ?
Julien Ducros : Nous disposons actuellement de trois routeurs interconnectés entre eux sur des points d’échange sur Paris. Nous voulons développer notre présence dans les grandes villes de province (Lyon, Marseille, Toulouse…) pour se rapprocher des points de collecte des abonnés en région. D’ici la fin de l’année, on devrait être présent sur sept ou huit points d’échange. On ne communique pas sur les perspectives de chiffre d’affaires. Les résultats dépendront du degré d’adhésion des opérateurs et distributeurs de contenus. On étendra ensuite le réseau Hopus en Europe sur des noeuds de trafic important situés à Londres, Francfort ou Amsterdam.