Interview Nokia – Withings : la portée de l’alliance dans la santé connectée
Pour ITespresso.fr, Ramzi Haidamus (Président de Nokia Technologies) et Cédric Hutchings (CEO de Withings) précisent les contours et les enjeux du rapprochement.
C’est le deal de la semaine qui fait parler. Mardi 26 avril, Nokia a annoncé le rachat de Withings pour 170 millions d’euros.
La société française, co-fondée par Cédric Hutchings et Eric Carreel, a développé une gamme de produits connectés pour le grand public (surtout santé et bien-être mais pas que).
Comment expliquer ce rapprochement avec le groupe finlandais qui évolue entre les réseaux et les technologies ? Quelles synergies peut-on escompter ?
Mercredi après-midi (27 avril), une interview téléphonique croisée entre Ramzi Haidamus (Président de Nokia Technologies) et Cédric Hutchings (CEO de Withings) a été organisée pour évoquer le contexte de l’acquisition et les perspectives.
ITespresso.fr : Pourquoi Nokia s’intéresse aux activités de Withings ?
Ramzi Haidamus : Il y a un an et demi, nous avons décidé d’investir le secteur de la santé à l’ère numérique. C’est une grande verticale sous l’angle de l’Internet des objets cher à Nokia. Et elle représente un des marchés les plus importants en termes de croissance et d’innovation de rupture. Et cela convient à une firme comme Nokia qui a su se ré-inventer à plusieurs reprises au fil des années.
Nous disposons des ressources nécessaires en termes de laboratoires et d’expertises sur les capteurs et l’électronique pour avancer dans la santé digitale. Notre vision, c’est d’aider les consommateurs et les familles à adopter ces technologies pour faciliter leurs vies et mieux protéger leur santé. Elle est basée sur le choix d’outils innovants, la prévention des maladies chroniques et une meilleure gestion du capital santé.
Nous avançons sur le segment que nous avons baptisé well-care. C’est une nouvelle catégorie qui regroupe les outils et services de confiance, sécurisés et faciles à utiliser. C’est une nouvelle expérience utilisateur pour la santé conçue autour de la data et d’insights (analyses et d’exploitations de données) récupérées via des capteurs et des logiciels sur vos terminaux.
Nous avons commencé à dérouler cette stratégie il y a un an et demi via notre R&D et à concevoir des premiers produits en interne. Les premiers résultats étaient encourageants mais il fallait accélérer.
ITespresso.fr : Vous écartez donc l’approche réseaux IoT au sein de Nokia ?
Ramzi Haidamus : Nokia Group est divisé en deux grandes divisions : Networks qui s’occupe effectivement de la partie IoT pour les réseaux et les infrastructures.
Mais, à travers Nokia Technologies [qui a engagé le rapprochement avec Withings, ndlr], et, en qualité de software company, nous cherchons à toucher directement les consommateurs.
C’est une approche BtoC mais aussi BtoB car nous cherchons à travailler avec les professionnels de la santé et les fournisseurs de solutions end to end dans ce secteur.
ITespresso.fr : Du coup, vous vous rapprochez du positionnement d’un autre groupe européen comme Philips…
Ramzi Haidamus : Notre philosophie porte sur les solutions end to end portant sur le bien-être et les soins.
Personne sur le marché n’a investi ce segment : nous cherchons à monitorer non seulement le corps mais aussi l’environnement dans lequel vous vivez et à procurer des gens des repères pour mieux vivre. C’est un enjeu humain, pas technologique.
ITespresso.fr : Comment allez-vous intégrer Withings dans l’organisation de Nokia Technonologies ?
Ramzi Haidamus : C’est un rachat sous forme d’engagements croisés (« reverse take over »).
Cédric Hutchings et son équipe vont diriger le programme de santé numérique de Nokia à travers Withings. Et les équipes de Nokia Technologies qui travaillaient déjà sur le sujet avant l’acquisition de Withings vont rejoindre cette nouvelle division Digital Health. Nous verrons ultérieurement les questions portants sur les marques commerciales.
ITespresso.fr : Withings a développé une gamme variée de produits connectés pour la santé, le bien-être, la maison mais aussi les montres connectées. Nokia va-t-il conserver tous les produits du catalogue ?
Ramzi Haidamus : La feuille de route sera déterminée par Cédric afin d’éviter les interférences relatives à l’organisation inhérente de grands groupes.
ITespresso.fr : Cédric Hutchings, revenons sur le parcours de Withings et ses choix de développement. Comment avez-vous pesé les options qui ont abouti au final au rapprochement avec Nokia ?
Cédric Hutchings : Avec Eric Carreel, nous avons construit en huit ans une entreprise et je dirais une vision selon laquelle on peut changer la manière de gérer sa propre santé par l’apport de la technologique, d’objets grand public et de leurs usages au quotidien.
C’est aussi une manière d’enrichir les relations que l’on entretient avec les partenaires de santé : médecins mais entreprises (puisque l’on développe des programmes de remise en forme de collaborateurs au sein des sociétés).
Notre portefeuille de produits est unique par leur positionnement, leur design et leur usage. Sur notre segment d’activité, on arrive à un moment où on ne parle plus d’IoT mais de santé connectée. Un marché sur lequel on a obtenu des points de validation et qui va désormais s’accélérer.
Lorsque que l’on a été pionnier et leader sur un marché naissant, il est nécessaire de s’assurer que l’on dispose des bons moyens pour croître à une vitesse égale ou supérieure à celle du marché. Nous sommes à cette étape.
Naturellement, les questions de levées de fonds ou d’IPO interviennent à certaines étapes de développement. Nous avons entamé des discussions et avec Nokia et rencontré Ramzi Haidamus il y a quelques mois. Nous étions parfaitement en ligne sur ce qui allait devenir le digital health et sur les moyens de réalisation à mettre en place.
Au-delà la vision alignée, il y a ensuite des discussions sur les conditions de transaction avec les actionnaires : comment transformer cet essor et construire une histoire commune. C’est énergisant pour nous : Withings est désormais au cœur de cette nouvelle initiative au sein de Nokia Technologies.
ITespresso.fr : Vu sous un autre angle, c’est aussi la fin de l’aventure en solo alors que l’on voyait en Withings une licorne française. Ce rapprochement avec Nokia, certes, c’est une belle opération mais on pourrait aussi la considérer comme une déception ?
Cédric Hutchings : Ce qui importe, ce sont les moyens de développement mis à disposition : faire grandir l’équipe et la faire rayonner de manière plus puissante et plus globale. Je suis loin de partager l’idée qu’il s’agit d’une fin. Cela va nous permettre de passer à la vitesse supérieure.
Notre activité a une portée internationale depuis le premier jour (nous sommes présents à Issy-Les-Moulineaux, Boston et Hong Kong). Moi-même, je suis basé à Boston. Il s’agit de continuer et de croître sur les fondamentaux et les équipes.
ITespresso.fr : Comment percevez-vous votre implication dans le domaine de la santé connectée ? Elle est davantage orientée produits ou gestion de données ?
Cédric Hutchings : Les deux évidemment. Mais, ce qui est nouveau, c’est que les produits de santé connectée permettent de construire une nouvelle relation plus intelligente avec sa propre santé mais aussi avec les intervenants au sens large. Les médecins mais aussi la famille, l’environnement et l’entreprise. Il s’agit aussi de concevoir un nouveau savoir médical et c’est là qu’intervient la partie des données.
C’est ce qui forme la puissance de cette nouvelle équation. La santé connecté regroupe des éléments désormais indissociables pour former un continuum entre la relation patient-médecin, les consommateurs et plus globalement le bien-être.
ITespresso.fr : Si on prend de recul sur le marché de l’Internet des objets, Google a acquis Nest pour 3,2 milliards de dollars en 2014. Deux ans plus tard, une transaction pour un rachat de Withings par Nokia porte sur une centaine de millions d’euros. Comment expliquez-vous ce décalage en termes de valorisation ?
Ramzi Haidamus : Je ne peux pas apporter de commentaires sur les processus concernant d’autres sociétés. Ce que je peux dire, c’est que Withings constitue une acquisition stratégique pour Nokia. Nous devons avoir une vision globale et regarder sur le long terme.
Cédric Hutchings : Je pense que c’est plutôt aux analystes d’apporter des commentaires sur les transactions en fonction des sociétés impliquées.