Méfiez-vous des préjugés sur l’innovation dans l’agriculture. L’AgTech un segment dynamique en France.
Hier (1er juin), la Ferme Digitale, qui regroupe une quinzaine de start-up du secteur, a réalisé son premier évènement LFDay au NUMA Paris, consacré à l’agriculture connectée pour que les agriculteurs, investisseurs, entrepreneurs et acteurs institutionnels se rencontrent.
Paolin Pascot fait partie de ses ambassadeurs AgTech. En tant que cofondateur d’Agriconomie et Président de La Ferme Digitale, il a apporté quelques éclairages sur les enjeux du numérique pour le secteur agricole et sur des tendances innovantes adoptées par les agriculteurs.
A l’instar d’autres start-up comme MiiMOSA (le crowdfunding pour des projets agricoles) ou Airinov (drones pour l’agriculture), Agriconomie se présente comme le premier site e-commerce français spécialisé dans les approvisionnements agricoles (semences, pièces, équipements, engrais…). Cette start-up de la Marne, d’une cinquantaine de personnes, affiche un volume d’affaires qui devrait passer de 7 millions d’euros à 20 millions d’euros en deux ans (période 2015-2017).
(Interview réalisée le 31 mai 2017)
ITespresso.fr : Quels sont les enjeux de l’agriculture à l’ère du numérique ?
Paolin Pascot : Il faudrait d’abord parler des enjeux de l’agriculture tout court. Le numérique n’est qu’une clé supplémentaire pour améliorer la productivité, réduire l’impact écologique sur la nature et faciliter le rapprochement entre l’agriculteur et le consommateur.
ITespresso.fr : Tous les acteurs du monde agricole sont-ils conscients de ces enjeux ?
Paolin Pascot : On voit bien que le numérique peut simplifier la vie des agriculteurs et on peut prendre davantage de décisions avec plus de données.
On n’a pas entendu Internet pour exploiter les nouvelles technologies. Je parlais encore récemment avec l’un de mes mentors agriculteurs concernant les techniques d’irrigation lancés à partir d’un smartphone. Il me racontait qu’en 1992, il lançait déjà l’irrigation en envoyant des SMS sans avoir besoin de se déplacer.
Nous assistons aussi à un renouvellement de génération d’agriculteurs nés à l’ère numérique qui va accélérer la mutation. Mais il faut se méfier des préjugés : sur notre portail Agriconomie.com, nous avons des agriculteurs de plus de 60 ans qui sont des clients.
ITespresso.fr : Quel est l’état de la filière AgTech en France ?
Paolin Pascot : C’est une filière qui est très développée en France. Nous n’avons rien à envier aux Américains ou aux Israéliens. Nous sommes dans le top 3 sur l’AgTech dans le monde. La semaine dernière, il y avait un gros évènement au Japon sur l’AgTech. Sur 35 start-up présentes, il y avait six françaises.
ITespresso.fr : Les investisseurs vous soutiennent-ils suffisamment dans la filière AgTech ?
Paolin Pascot : Ils en sont conscients au regard de l’explosion des investissements AgTech aux Etats-Unis. Sur les trois dernières années, on parle de près de 12 milliards de dollars injectés. Le tout à inscrire dans une période de croissance de douze ans.
En France, on s’y met tout juste. Depuis un an, on assiste à l’avènement de fonds dédiés au secteur agricole comme Capagro. Aux USA, on en recense une dizaine.
L’autre sujet, c’est que les fonds traditionnels « tech » se mettent à investir dans l’agriculture. L’une des enjeux de notre association La Ferme Digitale, c’est aussi de démontrer le potentiel AgTech à ces acteurs de l’investissement.
Pour notre événement LFDay organisé jeudi [1er juin] à l’espace numérique parisien NUMA, je pense que nous allons réunir une vingtaine de fonds, 57 start-up, les grands groupes innovants, les instituts de recherche qui travaillent sur l’agriculture de demain mais aussi des agriculteurs qui ne nous ont pas attendus pour développer leurs propres idées.
LFDay est une belle réussite pour une première [environ 450 visiteurs, hors exposants, selon les premiers éléments récupérés le lendemain auprès du service presse LFDay, ndlr].
ITespresso.fr : L’une des limites à l’essor de l’AgTech ne serait-elle pas l’absence de réseaux ou le manque de réseaux performants pour l’accès Internet (fil ou sans fil) dans les zones rurales ?
Paolin Pascot : Cela s’est largement amélioré. Il y a de moins en moins de zones blanches. Chez nous par exemple [Agriconomie est installé à Coole, département de la Marne, ndlr], nous sommes branchés en satellitaire.
Bon, pour les contenus en streaming, c’est parfois encore délicat. Mais, pour les usages numériques classiques, les débits sont suffisants.
Il est évident que, plus la 4G sera étendue dans les zones rurales, plus nous pourrons profiter de l’innovation dans le secteur agricole.
ITespresso.fr : Les pouvoirs publics, à commencer par le ministère de l’Agriculture, sont-ils attentifs au potentiel AgTech ?
Paolin Pascot : Le ministère de l’Agriculture a plutôt bien accompagné des start-up dans des concours d’innovation. Les pouvoirs publics nous soutiennent via un programme AgTech de Business France. Bpifrance organise aussi de plus en plus souvent des ateliers dédiés ou des études.
Mais, concernant l’intervention des pouvoirs publics, on attend davantage un soutien au secteur agricole dans sa globalité et pas seulement aux start-up.
ITespresso.fr : Quelles sont les innovations les plus pertinentes à vos yeux dans le secteur agricole ?
Paolin Pascot : Drones, robotique, data…En fait, les usages et les technologies sont en train d’exploser. Ce qui va permettre d’améliorer grandement la productivité des agriculteurs.
On mettra dix fois moins de pesticides dans les champs grâce à des robots qui détecteront de manière affinée les parcelles de mauvaises herbes.
L’usage de drones pour faciliter l’épandage de l’engrais dans les champs.
Les capteurs IoT pour les sols nous permettront de prendre des décisions plus réfléchies et sensées en analysant le big data, au-delà du bon sens paysan qui perdurera. Car le métier d’agriculteur, c’est cela : prendre les bonnes décisions au bon moment.
ITespresso.fr : Des tracteurs autonomes dans les champs de France, c’est une réalité proche ?
Paolin Pascot : Oui, ils vont pénétrer le secteur agricole assez rapidement. On va en avoir de plus en plus au regard des systèmes RTK d’autoguidage intégrés dans les tracteurs. Tout est réalisé de manière autonome avec précision.
On est tous ébahis quand on voit la voiture autonome d’Uber mais les agriculteurs utilisent déjà ce type de procédé. Après, il y a un problème de règlementation car il faut toujours une personne installées dans le tracteur en l’état actuel.
ITespresso.fr : Quelles sont les prochaines étapes du développement d’Agriconomie.com ?
Paolin Pascot : Nous allons améliorer la qualité de service apporté aux agriculteurs français. Nous allons aborder la question de l’internationalisation, qui commencera par la Belgique et potentiellement un autre pays en 2017.
Nous sommes satisfaits de l’évolution du business. Ce mois-ci, nous allons réaliser 3,4 millions d’euros de volumes d’affaire. Nous avons atteint la barre des 10 000 clients.
————— Bonus————–
Quelques ressources supplémentaires pour comprendre les enjeux de l’agriculture connectée :
=>Ouvrage : « Agroéconomicus manifeste d’agriculture collabor’active » : plateformes, blockchains et économie collaborative de Hervé Pillaud (février 2017)
=>Vidéo YouTube : « Un tracteur FENDT entièrement autonome, regardez la première démo en France » (juin 2016).
=>Novembre 2015 : Le think tank Renaissance Numérique a publié un rapport sur « Les défis de l’agriculture connectée dans une société numérique » avec 16 mesures « pour repenser la production, la distribution et la consommation alimentaires à l’ère du numérique » (document PDF)
=>28 avril 2015 : rencontre « Jeudigital » sous la houlette d’Axelle Lemaine (secrétaire d’Etat au numérique à l’époque) au ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt. Six start-up ont présenté leurs positionnements dans le secteur AgTech (voir vidéo sur Dailymotion).
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