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Interview Patrick Bertrand – Cegid : « Le moteur du marché, c’est le cloud et le SaaS »

En tant qu’éditeur logiciels, Cegid a fondé son savoir-faire sur des expertises métiers (commerce de détail, industrie, négoce, profession comptable, gestion fiscale, secteur public) : 267 millions de chiffre d’affaires en 2014, 2000 collaborateurs, 110 000 clients, 400 000 utilisateurs et 15 filiales ou bureaux dans le monde.

Classé en sixième position dans le palmarès Truffle 100 des éditeurs logiciels en France (2015), Cegid devient progressivement un acteur majeur des solutions en mode cloud/saas.

L’actualité de Cegid est brûlante : expansion aux Etats-Unis avec JDS, rachat d’Altaven en France…

Son directeur général Patrick Bertrand s’explique.

(Interview réalisée le 12/06/2015 avec update sur la question relative à Altaven)

ITespresso.fr : Avec la récente acquisition d’Altaven par Cegid, quels sont les intérêts respectifs des deux sociétés ?

Patrick Bertrand : Ce rapprochement entre Cegid et Altaven permet de renforcer les compétences du groupe sur l’un des principaux domaines d’activité de Cegid : les systèmes d’information de gestion de la fiscalité.

Le positionnement historique d’Altaven sur les thématiques d’intégration fiscale viendra compléter l’offre du Groupe Cegid avec l’apport d’une plateforme fiscale intégrant des outils de pilotage.

L’appui du groupe Cegid à sa nouvelle filiale Altaven lui permettra aussi d’accélérer les travaux déjà engagés visant à développer une offre qui soit disponible à l’international.

Cette alliance traduit clairement l’ambition du groupe Cegid d’accompagner toutes les entreprises dans leur volonté d’améliorer, avec le digital,  leurs process et leur efficacité interne dans tous les domaines de la gestion opérationnelle et financière.

ITespresso.fr : Quelles sont les ambitions de Cegid aux USA ? Pourquoi ce récent rachat de JDS Solutions ?

Patrick Bertrand : Il y a une interaction entre les intérêts des 2 sociétés. JDS Solutions apporte sa profonde connaissance du marché américain, sa connaissance du marché du retail américain. Elle apporte aussi le fait qu’elle est basée à St Diego aux USA alors que nous sommes basés à New York. Cela nous permet de recouvrir le riche territoire de la Californie où il y a beaucoup d’acteurs.

Pour situer les enjeux, le PIB de la Californie est à peine inférieur à celui de la France. De l’autre côté, Cegid apporte le produit qui va compléter la gamme de services de JDS.

Cet ensemble devrait nous permettre d’aller plus vite dans notre développement outre-Atlantique. Il y aura une forme de taille critique, même si je n’aime pas trop l’expression, qui fait qu’on a maintenant une équipe solide permettant d’assurer une crédibilité de la stratégie de Cegid aux Etats-Unis.

A l’international, il ne faut pas arriver avec sa propre vision des choses mais plutôt tenter de localiser les entreprises dans le métier que l’on vise.

L’objectif dans les 12 mois qui viennent est que les 2 entités n’en fassent plus qu’une seule. La difficulté quand on veut faire de la croissance externe est de trouver les bonnes entreprises, par taille et par métier.

Le marché nord-américain est important dans le monde du retail et en particulier dans le domaine habillement, mode, boutiques de luxe, biens d’équipement maison et entertainment. C’est un marché en très forte croissance, en particulier dans le domaine du cloud/SaaS.

ITespresso.fr : Quels sont les axes futurs de développement de Cegid ?

Patrick Bertrand : Le moteur du marché, c’est le cloud/SaaS. Notre premier objectif est  d’accélérer la migration des clients vers ce modèle SaaS. Aujourd’hui, nous avons 400 000 utilisateurs, dont 120 000 sur le cloud /SaaS.

Ensuite, nous allons profiter de notre avantage compétitif pour conquérir de nouveaux clients. Nous avons un taux de croissance qui est le double du marché.

Notre 3ème objectif est d’accélérer le développement externe en faisant des acquisitions. Enfin, accroître le développement à l’international où nous sommes présents dans le secteur du retail.

En 5 ans, on atteint déjà 40 % de notre objectif de CA à l’international, soit 20 millions d’euros. Si on compare ces 20 millions d’euros à 267 millions d’euros, cela peut donner l’impression qu’on n’est pas international. Mais cela correspond au choix d’aller à l’international sur les domaines de compétence pour lesquels on estimait avoir un avantage compétitif.

Depuis un an, Cegid s’ouvre sur le continent africain. Nous allons pouvoir nous développer sur d’autres domaines de compétences, comme le secteur public. Nous avons eu de beaux succès dans des pays d’Afrique du Nord et subsaharienne pour la profession comptable et le secteur des ressources humaines. Dans ce pays, nous comptons 1600 clients.

Parmi les pays qui ont connu la croissance la plus élevée figurent 7 pays africains. Le retard en matière de numérique dans ces pays est pour Cegid une opportunité.

ITespresso.fr : Quelle est la part du business cloud dans le chiffre d’affaires de Cegid ?

Patrick Bertrand:  Aujourd’hui, le chiffre du CA reconnu du business cloud pour Cegid est d’environ 48 millions d’euros (à remettre en perspective dans le CA global : 267 millions d’euros sur 2014).

Je parle ici de CA reconnu qui correspond aux contrats signés mais non-facturés. Le critère pertinent pour  évaluer le succès de Cegid, c’est le stock de contrat signés que nous allons facturer et qui se monte à environ 120 millions d’euros.

ITespresso.fr : Quels sont les enjeux pour passer d’un modèle traditionnel de licences à un modèle en cloud ?

Patrick Bertrand : Nous l’avons initiée il y a 4 ou 5 ans. On ne va pas dire : nous sommes arrivés. Maintenant nous montons en puissance mais la transformation a déjà été faite.

L’externalisation de l’informatique est connue depuis 20 ans. Elle change complètement le business model, la façon de développer les logiciels, dont le code doit être léger et utilisable dans de bonnes conditions, à cause des contraintes de bande passante.

Cela change la méthode commerciale parce qu’au lieu de vendre une licence, on vend un abonnement. Toutes choses peu évidentes pour un dirigeant car il s’agit d’abandonner la rente pour adopter un autre business model qui va être celui du marché.

Nous l’avons fait avec le conseil d’administration et le président. On a eu raison, car les taux de croissance classiques de la profession sont de 2 à 3.5 % alors que celui du cloud/SaaS est de près de 30%. Ceux qui n’ont pas adopté ce modèle vont souffrir.

ITespresso.fr : A propos de votre partenariat avec IBM sur le cloud privé (création, hébergement, etc.), pourquoi ne pas avoir fait appel à des prestataires français ?

Patrick Bertrand : Ce partenariat date de 3 à 4 ans. Il y avait assez peu d’offres à cette époque.

Nous ne souhaitions pas être sur un cloud public mais plutôt qu’un acteur nous construise une centrale numérique localisée en France (à Vichy) opérée par du personnel français et réservée exclusivement aux clients Cegid.

Pour le marché de l’époque, le développement d’un environnement complètement dédié était réellement novateur.

Il y avait assez peu d’acteurs prêts à nous proposer un tel environnement. Auparavant, nous gérions notre propre centrale numérique, mais le fort taux de croissance du nombre d’utilisateurs, supposait un investissement dans de nouveaux serveurs, dans des équipes, capables d’assurer un standard international en matière de normes ISO, de sécurité, 24h/24h et 7j/7j.

Nos clients aujourd’hui sont dans un système contractuel de niveau mondial, ce que ne peuvent pas assurer nos concurrents qui ont choisi de traiter avec d’autres acteurs x, y ou z. Au bout du compte, nous conservons la relation directe avec le client.

En termes de standards, nos clients bénéficient de normes mondiales et c’est le droit français qui s’applique en termes de protection des données.

Outre-Atlantique, la Chambre des Représentants et le Sénat ont acté que la collecte massive des données n’était pas dans l’axe du principe de protection.

Sans vaine polémique, il y a du matériel américain dans les clouds dits souverains. Les caricatures sur l’insécurité ne correspondent pas à la réalité du marché.

ITespresso.fr : On parle beaucoup de « build-up », de croissance externe, pour accélérer le développement. Cegid le fait aux USA, pourquoi pas en Europe ?

Patrick Bertrand: Nous l’avons beaucoup fait en France. La question de fond dans notre métier, c’est qu’il y a une grande fragmentation de notre marché.

Il y a des milliers de petits éditeurs qui font entre 5 et 20 milllions de CA et il y a en peu au milieu. De ce fait, nous sommes obligés de prendre en compte le marché et notre objectif est d’arriver à une dynamique d’acquisition qu’on pourrait faire plus tard en Europe.

Je voudrais juste ajouter que cette stratégie, comme Jean-Michel Aulas l’a annoncé lors de la présentation des comptes 2014, ne vise pas à ouvrir de nouveaux domaines de compétences mais à renforcer les domaines que nous maîtrisons.

ITespresso.fr : Quel est le rôle de Jean-Michel Aulas aujourd’hui pour Cegid ? Vendra-t-il ses parts pour se concentrer sur l’OL ?

Patrick Bertrand : Cette question me permet d’aborder le sujet de la  gouvernance des entreprises en France. Dans les pays anglo-saxons, si vous ne séparez pas les fonctions de P-DG et CEO, vous n’avez pas d’investisseurs, vous ne pouvez pas vous coter, etc. En France, on ne connait que le P-DG et à moindre titre, le reste de l’organisation de l’entreprise.

On ne connait pas ou très peu l’équilibre d’une gouvernance, entre un président qui préside 4 réunions du conseil d’administration à l’année et un CEO qui met en œuvre la stratégie, qui pilote au quotidien et propose au Conseil d’administration des plans stratégiques.

Et justement cette gouvernance fait que je ne suis jamais seul. Depuis 25 ans, je travaille avec Jean-Michel Aulas, magnifique capitaine d’industrie, dans un schéma ou nous pouvons échanger.

Compte-tenu de l’activité très médiatique de Jean-Michel Aulas à l’OL où l’on parle tous les jours du mercato, on a l’impression qu’il passe ses jours à l’OL. Ce n’est pas vrai, il n’a pas de bureau à l’OL, il a ses bureaux chez Cegid. Je le vois chaque lundi. Le mardi, il se consacre à l’OL. Puis les mercredi, jeudi, vendredi, il rencontre des clients, il m’aide en ce moment pour la rencontre des dirigeants d’entreprises des sociétés avec lesquelles on va se rapprocher.

C’est un rôle d’accompagnement, de stratège, un rôle de conseil, c’est extrêmement important.

Jean-Michel Aulas ne pilote pas les opérations, n’est pas au conseil de direction que je dirige. Il ne fait pas que présider le conseil d’administration, il s’assure du bon fonctionnement global et surtout du respect par les équipes de la stratégie du conseil d’administration, ce qui nous aide à faire des affaires.

ITespresso.fr : Qu’attendez-vous de votre action Digital Booster en faveur du développement de l’entrepreneuriat dans le numérique ? Quels sont les apports de Cegid aux start-up ?

Patrick Bertrand : Une société qui ne s’ouvre pas est une société qui meurt. Pour nous, il est important de comprendre comment le monde bouge, comment l’innovation se développe dans des petites structures.

L’objectif de notre fondation, c’est que nous allions  à leur rencontre. Au-delà du soutien financier de Cegid, nos collaborateurs et collaboratrices sont véritablement impliqués. Certains sont mentors de start-up, d’autres accompagnent les projets comme la Web Academy.

Je suis surpris quand je vois des tables rondes ou des dirigeants de très grandes entreprises en sont presque à vénérer les dirigeants de start-up.

Il n’y a pas de schéma univoque, les dirigeants de start-up ont besoin du contact avec les grands groupes pour vendre leurs produits, savoir comment on passe de start-up à la PME, de la PME à l’ETI.

La pensée unique, dit « c’est formidable ce qui se passe dans les start-up, nous ne savons pas développer l’innovation ». Elle ne rend pas compte de la réalité car le processus d’échange entre start-up et grosses structures est interactif.

ITespresso.fr : Quels sont les atouts de l’écosystème lyonnais pour les entreprises et l’innovation ?

Patrick Bertrand : Il y a une compétition entre territoires. L’attractivité d’un territoire est fonction d’un triangle d’or. D’une part, un environnement éducatif riche et de qualité, d’autre part un environnement d’accélération, d’incubation, de financement qui exige la proximité. Enfin, il faut disposer d’un tissu d’entrepreneurs.

Au-dessus de cet  écosystème, il y a les pouvoirs publics : accompagnement des collectivités territoriales, régions, etc. A Lyon, nous avons tout cela. Il faut faire en sorte que les gens travaillent et de porter l’attractivité de Lyon auprès des start-up, des dirigeants d’entreprises.

Il y a de magnifiques réussites sur le textile connecté, le bio-tech, des acteurs majeurs comme Visiativ, Esker dans le BtoB. C’est comme cela qu’on booste un territoire. L’accord qui a été passé entre la ville de Lyon entre l’initiative French Tech et l’accélérateur de Boston MassChallenge montre qu’il y a une dynamique de territoire.

J’ajoute que  Lyon offre aussi, une vie culturelle très active et de belles infrastructures.

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